Un patrimoine en danger Les «douirette» de la ville des Roses, un pan important de l'histoire de cette cité, sont menacées de disparition. Malgré ses cinq siècles d'existence, le vieux quartier des Douirette», un des premiers ensembles urbains de la «ville des Roses», est aujourd'hui dans un état d'abandon quasi général qui efface chaque jour un peu plus ce repère important dans l'histoire et la mémoire de Blida. Le visiteur de ce vieux quartier de l'époque ottomane, que les Blidéens appellent «le quartier de Ouled Soltan» ou la «Casbah de Blida», est vite frappé par le désordre qui règne dans ses rues et le délabrement avancé des façades de ses vielles demeures dont l'histoire est intimement liée à celle de la ville et sa région. Considéré comme le plus important bien culturel de la capitale de la Mitidja, ce quartier présente des caractéristiques architecturales semblables à celles de la casbah d'Alger, mais s'en démarque par ses toitures de tuile et ses portes étroites -similaires à celles de la Souika de Constantine ou de la casbah de Dellys- et ses patios, souvent agrémentés de fontaines, ainsi que ses jardins intérieurs qui évoquent la lointaine Andalousie. Les maisons, de style mauresque, se caractérisent par de grandes chambres rectangulaires, longues et étroites. Elle sont généralement désignées selon leur emplacement géographique, en rapport avec les quatre points cardinaux: «charqya» (orientée vers l'est), «gharbya» (vers l'ouest), «qablya» (vers le sud) et «bahrya» (vers le nord). Selon de nombreux témoignages d'anciens habitants, le quartier avait abrité de nombreuses réunions de militants durant la guerre de Libération nationale et des figures historiques, à l'instar de Laârbi Tbessi et cheikh El Okbi qui y ont fait des passages, rappelle le chercheur en histoire Youcef Ouraghi qui regrette le manque d'engouement pour les recherches historiques sur la ville, surtout celles portant sur la période ottomane, «très rares», affirme-t-il. Les «Douirette» sont également célèbres pour avoir vu naître de grands artistes, à l'image de Keltoum, Mohamed Touri, Farida Saboundji ou encore le chanteur Rabah Deriassa. Autre paradoxe: le quartier qui abrite plus de 30.000 âmes, selon des riverains et qui semble avoir accueilli une des communautés citadines des plus anciennes et des plus raffinées de la région, ne compte pas un seul centre culturel ou association de sauvegarde de son patrimoine. Cette vieille cité abrite aussi «le palais du roi Behanzin Kondo», 11ème roi du Dahomey (Bénin actuellement), une demeure ottomane où le monarque africain avait été assigné à résidence par l'administration coloniale française de 1894 à 1906, date de son décès. Le palais à l'abandon, est aujourd'hui fermé. Au fil des ans, le délabrement s'aggrave et le tissu urbain du quartier se disloque sous l'effet conjugué des intempéries et des interventions irréfléchies de l'homme, auxquelles s'ajoute une absence manifeste d'entretien. Sans compter, les constructions anarchiques et les nombreuses modifications qui ont mis à mal le cachet architectural typique des «Douirettes». Pour exemple, des bâtisses, parfois centenaires, ont été restaurées par leurs propriétaires sans le moindre respect des normes de réhabilitation et de l'architecture initiale des lieux, si particulière de cet ensemble citadin, que la brique et le béton ont achevé de défigurer. Portes en bois, arcs, colonnes et faïences anciennes ont tous été remplacés par des matériaux «modernes» pour aboutir à des «modifications» qui jurent avec l'harmonie pensée par les bâtisseurs originels des «Douirette». Et au vu de leur état et la désolation qui règne aux abords, de nombreuses demeures semblent avoir été désertées par leurs occupants depuis de nombreuses années. Les métiers d'artisanat comme la poterie, la fabrication de savon, l'ébénisterie ou encore la dinanderie, un savoir-faire ancestral qui faisait la renommée du quartier, ont, eux aussi, complètement disparu. Surtout inquiets, des habitants du quartier affirment qu'ils ne cessent d'alerter sur le «danger» que représente la «majorité» des bâtisses en raison de leur vétusté, en insistant sur l'intervention des pouvoirs publics pour aider à leur restauration, une opération qui s'avère complexe, s'agissant de constructions en terre, disent-ils. Une étude est «actuellement en cours» afin d'ériger un secteur sauvegardé du centre-ville de Blida, comprenant le quartier des «Douirette» comme «monument secondaire», selon le responsable du service du patrimoine à la direction de la culture de la wilaya, Mourad Messika. Le directeur du patrimoine au ministère de la Culture, Mourad Bouteflika, a précisé, pour sa part, qu' «il faut avant tout créer un périmètre sauvegardé» de la vieille ville de Blida, un projet «en cours d'élaboration», selon lui, avant de mettre en place un plan permanent de sauvegarde et de mise en valeur. L'Algérie compte, à ce jour, trois secteurs sauvegardés: celui de la casbah d'Alger (2012), de la vieille ville de Constantine (2014) et du vieux quartier de Sidi El Houari à Oran (2015). Seules Alger et Constantine bénéficient, chacune, d'un plan de sauvegarde.