Le décor est peut-être planté pour des turbulences de longue durée. Un éminent spécialiste américain des zones-crise l'avait bien annoncé: l'Irak est au bord de la guerre civile. Depuis la chute du régime de Saddam Hussein, c'est la résistance sunnite qui mène la guérilla et c'est encore elle qui met à rude épreuve les GI's et les troupes américaines, et c'est toujours elle que le Congrès américain sollicite pour suspendre les hostilités. Sur le terrain, donc, ce sont les sunnites qui mènent le jeu. La seule exception chiite s'appelle Moqtada Sadr, un djihadiste chiite très proche des djihadistes salafistes, mais qui a fini par déposer les armes, quitter Fallouja et se plier aux exigences «pacifisantes» de la référence n°1 du monde chiite irakien : ayatollah Ali Sistani. Sur le terrain, ce sont encore les groupes sunnites qui font l'actualité: rapt, kidnapping, menaces, décapitations filmées, chantage et libération, revendications et chasse à l'Américain. Des groupes réduits, mais terriblement mobiles, efficaces et quasi invisibles, comme Ansar es-Sunna, les Etendards noirs, Brigades d'Aba Baqr, Armée islamique en Irak et le très meurtrier groupe d'Ez-Zarkaoui sont les vedettes d'une guerre en pleine décomposition. Les positions politiques ambiguës des religieux chiites, l'hostilité qu'ils affichent vis-à-vis de Iyad Allaoui (un «chiite laïc», comme il se plaît à se définir), et surtout les résultats des dernières élections irakiennes ont fini par convaincre les sunnites que les chiites ne sont pas des alliés dans leur guerre contre les Américains, et qu'au contraire, ils semblent profiter de leur avantage. Les élections irakiennes avaient complètement reconfiguré le paysage politique et ethnique: les chiites se trouvent de fait en pole position et les Kurdes en outsider. Les sunnites qui ont dirigé le pays pendant un long demi-siècle, se retrouvent hors cadre politique, alors que sur le terrain, ils mènent réellement et efficacement la résistance. Qualifiés de «terroristes» par Allaoui, les groupes armés salafistes et sunnites n'en continuent pas moins de croire qu'ils sont les vrais nationalistes en Irak. Voilà donc le décor planté pour une guerre civile de longue durée. Armes à la main, foi dans le coeur, les uns observent les autres mourir et Bagdad brûler. Les troupes américaines peuvent alors s'y maintenir pour longtemps, car les crises se créent et se gèrent. Se gèrent surtout.