Entre les deux, pourtant, il y eut une longue querelle qui dura trente ans. On peut évaluer avec plus ou moins de précision que les groupes salafistes qui dirigent la guérilla en Irak sont largement favorables à l'ancien président Saddam Hussein. Le paradoxe est qu'après l'avoir critiqué, fustigé, « excommunié », les organisations djihadistes posent aujourd'hui sur lui un regard bienveillant, conciliant, non pas admiratif mais complice. Pendant plus de trente ans de règne sans partage sur l'Irak, Saddam avait bel et bien muselé les islamistes jusqu'à les faire disparaître du paysage quotidien baghdadi. L'idéologie du régime était baâthiste, une doctrine nationaliste radicale développée par Michel Aflaq et mise en application par Saddam Hussein, et de laquelle l'islam politique était exclu. Mais depuis 1990 et la première guerre américano-irakienne, les choses ont changé. Saddam passe pour celui qui a tenu tête à la première puissance mondiale et qui refuse l'hyper-hégémonie imposée par Washington. Sur ce plan-là, il rencontre les islamistes. Une collusion tacite s'installe. Mieux, en 1990, il frappe le drapeau irakien de l'effigie «Allah Akbar» et la télévision le montre en plein guerre s'agenouiller dans une prière qui fera le tour du monde arabe. Aujourd'hui, les protagonistes de la scène irakienne ont changé de nom: face aux Etats-Unis, on retrouve le groupe d'Al Zarkaoui, les Ansar Es Souna, l'Armée islamique en Irak, les Brigades d'Abou Bakr, les Etendards noirs, etc., autant de groupes de résistance ou djihadistes qui portent un accoutrement religieux pour mener la guerre contre les Etats-Unis. Les groupes armés mènent la vie dure aux Américains en Irak, avec près de 2000 GI's et soldats tués depuis le début de l'invasion. Le procès de Saddam intervient à ce moment précis et c'est pour cela que les groupes armés suivent avec intérêt le procès de Saddam, et qu'ils ne rateront pas une seule occasion pour le faire libérer. La manière dont a procédé l'armée américaine en présentant Saddam Hussein au tribunal renseigne sur leur crainte d'assister à une attaque surprise. L'ancien président a été emmené par voie aérienne et sous forte escorte de militaires superéquipés, en prévision de toute attaque terrestre. Cette alliance inattendue entre Saddam et les groupes de résistance reste, bien entendu, de conjoncture. Si, demain, l'Irak retrouve sa liberté et les choses rentrent dans l'ordre, entre Saddam et les groupes armés, il n'y aura rien qui puisse les lier. En fait, le «rapprochement» s'est fait en deux phases. La première est le fait de l'invasion américaine. Sitôt une terre musulmane envahie, les docteurs de la foi, théologiens et autres exégètes décrètent automatiquement le djihad contre l'envahisseur. La jonction entre Saddam et les djihadistes s'est faite à ce niveau-là. La deuxième phase de «rapprochement» avait consisté dans la brusque ferveur de Saddam, depuis 1990. L'homme est plus bienveillant envers les islamistes, mieux disposé à les écouter, il lit le Coran plus que de mesure et soigne son image d'ancien défroqué qui remet son habit de musulman. Si les chiites, pour des raisons évidentes, ne le portent pas dans leur coeur, les sunnites, qui sont les véritables meneurs de la résistance (l'exception de Moqtada Sadr est un cas), ne l'écraseraient pas, au contraire. 4 millions d'anciens baâthistes ont été exclus de toute activité politique, et près de 100.000 anciens militaires, officiers et membres des services spéciaux du régime de Saddam et de ses différents corps de sécurité, dont la mythique Garde républicaine, sont aujourd'hui dans la résistance. C'est bel et bien tout ce monde qui peut faire pièce à la volonté américano-kurdo-chiite de mener Saddam devant le peloton d'exécution.