Hier, dans les marchés de la capitale, la déprime se lisait sur les visages des vendeurs. La demande était faible et l'offre très importante. Beaucoup de moutons restaient encore «orphelins». Et n'étant pas des éleveurs, mais seulement des revendeurs, ces «apprentis maquignons» sont dans l'obligation de vendre leur marchandise à n'importe quel prix... C'est le temps additionnel pour les vendeurs de moutons. Tout se jouera aujourd'hui pour eux! Alors que d'habitude à la veille de l'Aïd ils comptent déjà leur beau pactole, cette année ils misent sur ce dernier jour pour tenter de sauver les meubles! «C'est la catastrophe», peste Belgacem, un revendeur rencontré au niveau du marché informel d'El Hamiz. «On espère vraiment que les retardataires vont sauver la mise», ajoute-t-il, très inquiet. En effet, habituellement le mouton de l'Aïd est une tradition sur laquelle les Algériens ne badinent pas, quitte à s'endetter. «L'entrée de gamme» à 20.000 DA Ce qui faisait le bonheur des spéculateurs qui ont opté pour ce «métier saisonnier» pour se remplir les poches. Ils dictaient leurs lois sur ce marché en fixant les prix que eux voulaient! Le mouton atteignait des records qui le plaçaient très loin des moyens de la majorité des Algériens. Malgré cela, les ménages continuaient à l'acheter. Ils ne l'ont jamais boycotté. Les apprentis maquignons faisaient donc de bonnes affaires, ce qui a poussé de plus en plus nombre de nos concitoyens à opter pour ce «métier». Mais voilà, cette année, contrairement à ce que pensaient les spéculateurs, les citoyens n'ont pas cédé à la tentation du «kebch»! D'ailleurs, même les marchés improvisés de bétail n'ont fait leur apparition qu'une dizaine de jours avant l'Aïd alors qu'habituellement on y a droit plus d'un mois à l'avance. Une ambiance morose règne même au niveau des marchés de bétail de la capitale. Les clients ne sont pas aussi nombreux que d'habitude et ceux que l'on rencontre sont là juste pour faire du «lèche-vitrines». Pourtant, ce ne sont pas les prix qui les refroidissent étant étonnamment abordables. «L'entrée de gamme» est proposée à 20.000 DA, alors que l'année dernière elle était à 30.000 DA. Le prix d'un mouton moyen varie entre 30.000 et 35.000 DA contre 45.000 DA à l'Aïd de l'année dernière. Alors qu'est-ce qui a refroidi les ventes, si ce n'est pas les prix? «On n'a plus trop d'argent. La crise économique a touché de plein fouet notre pouvoir d'achat», soutient, désespéré, Ali un père de famille qui hésite encore à perpétuer la tradition d'Ibrahim (Qsssl). Il n'est pas le seul dans ce cas, surtout que le budget des foyers a déjà été bien saigné par le Ramadhan qui a été suivi par les vacances et qui se sont terminées par la rentrée scolaire. «C'est très difficile pour nous. On est sur les jantes. Le mouton est une grosse dépense, si on succombe à la tentation, on risque de se retrouver dans la paille...», soutient de son côté Farid, qui dit réfléchir encore longtemps avant de prendre cette décision qui risque de lui «offrir» des lendemains difficiles. Tous les espoirs reposent sur les indécis! «En plus, on nous annonce des flambées énormes des prix en janvier. Ça sera la catastrophe pour nous. Avant de placer ses économies dans un mouton, il faut voir si on pourra survivre à la prochaine loi de finances...», poursuit-il avec la même inquiétude. Néanmoins, que ce soit les vendeurs ou les acheteurs ils s'accordent tous à dire que ce n'est pas la principale raison. «On a vécu des moments pires durant les années 1990, mais le mouton est quelque chose sur lequel les Algériens ne badinent pas», estime de son côté, Fethi, qui vendeur sans être éleveur, révèle qu'il fait ce métier à chaque Aïd depuis dix ans déjà. Lui et ses «confrères» résument cette crise en un mot: «Aadl.» Pour eux, l'annonce faite par le ministre de l'Habitat du paiement de la deuxième tranche des logements en ce mois de septembre a fait tomber la fièvre «acheteuse». «La relance des formules pour l'acquisition de logements a fait que les Algériens qui sont nombreux à avoir souscrit à ces formules, font plus attention à leurs dépenses. Fini l'argent jeté par les fenêtres. Ils économisent et gardent cet argent dans l'espoir d'être appelés pour payer les tranches de leurs logements, espoir de toute une vie», témoigne un autre maquignon qui maudit Tebboune d'avoir annoncé le paiement de la deuxième tranche pour cette rentrée sociale. «Il aurait dû attendre un peu, il a tué notre commerce», crie-t-il. Cette deuxième tranche va dépasser les 200.000 DA. Ce qui représente 15 fois le Snmg algérien (qui est de 1.8 million de centimes, ndlr). Une vraie fortune! Le mouton est donc une dépense superflue par rapport au logement. Elle n'est pas la bienvenue tant elle pourrait «saborder» ce rêve de toute une vie. La priorité est donc à l'Aadl... Cette situation a provoqué un déséquilibre du marché avec une offre qui a largement dépassé la demande. La bulle spéculative habituelle n'a pas pris! Flairant la bonne affaire, tout le monde a voulu devenir vendeur de bétail. L'offre est abondante. Mais la demande n'a pas suivi. Les citoyens n'ont pas sauté le pas pour les raisons citées plus haut. «Ce qui fait qu'on s'est retrouvés avec beaucoup de moutons sur les bras et personne à qui les vendre», souligne avec amertume Mustapha «trabendiste» du mouton qui compare cette situation avec ce qui s'est passé avec les automobiles. En plus de tous ces éléments, ces vendeurs de moutons doivent faire face à une concurrence qui leur vient d'où ils s'attendaient le moins, à savoir l'Internet. Ce dernier est en train de détruire les marchés classiques qui sont sous le contrôle des intermédiaires qui dictent leur loi. Les maquignons craignent le plus, du fait qu'ils ont le pouvoir de vie ou de mort sur leur marchandise. Ils ont le contrôle des marchés et si un éleveur «ose» se révolter, il pourra être sûr qu'il ne réussira pas à vendre sa marchandise dans les créneaux habituels. Cette situation a donc poussé certains à trouver l'ingénieuse idée de vendre ces moutons sur d'autres plateformes. Quoi de mieux que ce qui est devenu le marché préféré des Algériens, à savoir l'Internet. Les voitures d'occasion et les produits électroménagers sont zappés et le bélier squatte l'écran, avant qu'il ne passe au couteau! A l'approche de l'Aïd El Kébir, les moutons sont la vedette des sites de vente par Internet. Eh oui, désormais notre mouton de l'Aïd est au bout du clic! C'est une nouvelle tendance qui s'est installée depuis deux ans en Algérie. Les «kbechs» de l'Aïd sont ainsi mis en vente sur les sites d'annonces commerciales, tels que «Ouedkniss. com». Ces annonces pullulent ces derniers temps au point où ces sites sont en passe de devenir les marchés aux moutons des temps modernes. «URGENT =Moutons à un Prix imbattable. Etat: Bon état...Je mets en vente des moutons de la catégorie (kherfane) pour la fête de l'Aïd El Adha à un prix imbattable, rapport qualité/prix dédié pour un budget familial. On est situé à Belcourt. Vous êtes les bienvenus pour visite/achat. Prix: 31.500 DA. Négociable»,est le genre d'annonces qu'on trouve. Elle est en plus agrémentée par la photo des moutons dans leurs plus belles «postures». Mais comme la concurrence est très rude, ces annonces sont plus innovantes les unes que les autres! Comme pour la vente de voitures, ces annonceurs n'hésitent pas à donner la provenance du mouton comme référence. Mouton de Naâma, de Tiaret ou encore, ce qui est considéré comme le «millésime» pour cette espèce animale de Djelfa, sont mis en évidence par ces vendeurs pour distinguer leur marchandise des autres! Mais ce n'est pas tout! Lisez cette annonce, vous allez comprendre. «Vente de moutons de l'Aïd très bonne qualité de Djelfa ne mange que du ZRA3E (EL ch3 ire) (orge, Ndlr) prix qui varient entre 27.000 et 47.000 DA, qualité garantie», propose «un maquignon de la Toile». L'Internet bouscule les «marchés» traditionnels Celui-ci met donc en évidence la nourriture avec laquelle a été alimentée le mouton pour se distinguer de la concurrence. D'autres véritables spécialistes du marketing, vont même jusqu'à proposer la livraison à domicile! «Vends de beaux moutons 'kebche el Aïd'' à des prix raisonnables. Livraison à domicile possible», est-il écrit dans une autre annonce. Malgré le fait que ce genre d'annonces paraissent loufoques et sortent de l'ordinaire, il n'en demeure pas moins que nous avons constaté que le mouton du Net est moins cher que celui qui se vend dehors. Les prix sont fixes, dans certains cas, même négociables. Ils échappent à la spéculation du marché des moutons. La marchandise virtuelle, peut en plus être vue en vraie. Et cerise sur le gâteau, on n'a plus besoin de faire le tour des marchés de bétail et le tralala qui va avec pour trouver notre mouton. Ce qui «tue» encore plus les «marchés traditionnels» déjà bien moroses! Hier, au Hamiz et d'autres marchés de la capitale, la déprime se lisait sur les visages des vendeurs. La demande était faible et l'offre très importante. Beaucoup de moutons restaient encore «orphelins». Et n'étant pas des éleveurs, mais seulement des revendeurs, ces «apprentis maquignons» sont dans l'obligation de vendre leur marchandise à n'importe quel prix afin de récupérer leur investissement. Ils espèrent voir les indécis faire le grand saut, tout en misant sur les habituels retardataires. Le temps est en train de filer. Tic-tac, tic-tac, plus qu'une journée avant l'Aïd, mais déjà ils savent que la fête aura pour eux un goût des plus amers...