La Troïka rejette en bloc les conclusions du rapport de la commission ad hoc et interpelle le chef de l'Etat sur les dangers engendrés. Trois contre un. SOS-Disparus, Soumoud et l'Anfd, trois associations forment désormais un bloc uni, farouchement opposé au rapport sur les disparus que le président de la commission ad hoc - il préside également la Commission nationale consultative de protection et promotion des droits de l'Homme - s'apprête à remettre, le 31 mars, au chef de l'Etat, comme cela a été mentionné dans les règles régissant le fonctionnement de ce mécanisme provisoire installé le 20 septembre 2003. Dans une conférence de presse tenue hier au siège de SOS-Disparus à Alger, la troïka dénonce les grandes lignes que Farouk Ksentini aurait, dans ce cadre, retenues et qui se résument, selon Melle Ighil présidente de l'Anfd, en deux points distincts, à savoir «l'indemnisation» et l'«impunité» dans le document où sont recensés quelque 6 145 disparitions. «Il préconise aux familles qui veulent connaître la vérité de faire des pressions pour une justice plus indépendante» car, lit-on dans la déclaration des trois mouvements, M.Ksentini aurait conclu dans le rapport qu'«il ne faut pas attendre de l'Etat qu'il organise son propre procès» et «de tourner la page par l'amnistie générale», projet que le président de la République entend soumettre prochainement au peuple par voie référendaire. De fait, les conférenciers accusent le président de la Cncppdh de vouloir, alors que se précise l'organisation du référendum sur l'amnistie générale, clore le dossier et tirer un trait définitif sur les «milliers» de requêtes qui sont restées, à ce jour, en instance. M.Merabet, président de Soumoud, association des disparus du fait du terrorisme, lui, alerte l'opinion sur les conséquences «dangereuses» qui en découleraient d'autant, ajoute-t-il, que les solutions proposées au président de la République ont été inspirées de modèles appliqués auparavant en Afrique du Sud et au Maroc. Les lance-flammes projetés avec acharnement sur Me Ksentini ne s'arrêtent pas à ce stade et la présidente de l'Anfd s'en est faite l'émanation et le chef d'orchestre. Elle récuse les justifications formulées par le président de la commission ad hoc quant aux dossiers classés sans suite, et selon lesquels la faute échoit aux familles des victimes qui n'auraient pas saisi, pour ce faire, les instances judiciaires. Faux, rétorque Mlle Ighil. Selon elle, 90% des familles ont déposé des plaintes auprès des tribunaux, et ce, depuis plus de dix ans: «Bien que nous ayons des preuves irréfutables sur les cas d'enlèvement par les corps de sécurité, la plupart des plaintes introduites ont fait l'objet de non-lieu», a-t-elle indiqué pour balayer d'un revers de main les arguments de Ksentini. Celle-ci appelle d'ailleurs le chef de l'Etat en «attirant son attention sur la manipulation et les mensonges contenus dans le rapport» car «la commission ad hoc a échoué dans sa mission». La solution que propose aux pouvoirs publics le triumvirat des disparus s'appuie avant tout, sur la volonté et la décision politiques dont le premier magistrat du pays est appelé à faire montre. Elle doit, se traduire, expliquent-ils, par la création d'une commission indépendante qu'ils baptisent Vérité et Justice. Cette instance, en cas de suite favorable, aura la tâche notamment «d'examiner les dossiers au cas par cas et de confronter les différentes parties à travers des audiences contradictoires entre les auteurs présumés et les victimes». M.Merabet suggère à cet effet la mise en place d'une justice de transition, seul instrument, dit-il, à même de régler définitivement le problème. Sur l'amnistie générale, la position des trois associations n'en fut pas moins conciliante tant les reproches ou plutôt les griefs ont été aussi incisifs à l'égard de ce projet qui défraie la chronique depuis plusieurs semaines. Aux yeux de SOS-Disparus, il ne saurait y avoir d'amnistie sans que les pouvoirs publics n'aient au préalable dévoilé la vérité sur le sort de milliers de disparus à ce jour. La démarche, telle que suggérée, n'a d'autre vocation que d'ouvrir grande la porte à l'impunité d'autant plus, souligne-t-elle, qu'elle n'est d'aucune utilité dans le règlement de la crise que le pays vit depuis plus d'une décennie. L'oratrice réaffirme la détermination des familles qu'elle représente de continuer le combat «jusqu'à ce que la justice soit rendue et la vérité établie». Bien avant Mme Dutour, la responsable de l'Anfd est revenue longuement sur ce qu'elle appelle l'affaire Justicia Universalis. Il s'agit, a-t-elle expliqué, d'une ONG basée en Hollande qui après avoir pris contact avec certains membres des associations a élaboré une plate-forme de soutien à l'amnistie générale signée, à leur insu par l'Anfd et Soumoud, qu'elle a adressée, par la suite, au président de la République. M.Merabet et Melle Ighil ont tenu conjointement à se démarquer de cette organisation dont seraient membres, selon des sources, d'anciens responsables de l'ex-FIS installés en Europe ayant des démêlés avec la justice algérienne. Ces derniers avaient proposé aux trois associations la mise en place d'une instance de coordination. Une suggestion aussitôt rejetée par la présidente de l'Anfd qui y voit derrière une tentative de récupération.