Les tractations menées pour former un nouveau gouvernement butent sur des difficultés que les acteurs du champ politique irakien espèrent dépasser. Deux ans, jour pour jour, après l'invasion des forces de la coalition américano-britannique ayant entraîné la chute du régime baasiste de Saddam Hussein à Bagdad, et l'occupation du pays, la situation en Irak reste dramatique, marquée par des violences récurrentes et la montée en puissance des extrémismes. La chute, le 9 avril 2003, de Bagdad à en fait ouvert un nouveau chapitre dans la vie de ce pays, qui est depuis à la recherche d'une improbable stabilité. De fait, loin d'avoir été accueillis en «libérateurs», de l'Irak, les Américains se sont, a contrario, rapidement heurtés à une vive résistance, orchestrée tant par les lambeaux subsistant des milices du Baas, que par des citoyens irakiens qui n'ont pas accepté l'occupation de leur pays, alors qu'un opposant autrement plus préoccupant, les islamistes, ont trouvé dans la guerre imposée par les Etats-Unis, le moyen de se replacer dans l'échiquier politique irakien, duquel ils ont été exclus par le régime laïc de Saddam Hussein. Aussi, loin d'avoir éclairci la donne politique en Irak, les élections générales, du 30 janvier dernier, l'ont en revanche brouillée, sinon compliquée à l'extrême, notamment par la mise sur la touche d'une composante importante de la population irakienne, les sunnites, puisqu'il faut bien souligner aujourd'hui l'appartenance tribale, ethnique ou religieuse des Irakiens remise au goût du jour par l'occupation, alors qu'elle avait disparue du champ politique irakien sous le régime laïc du Baas. Comme si en Angleterre on parle des chrétiens catholiques, protestants, anglicans, anglo-saxons ou normands, ou qu'aux Etats-Unis l'ethnie et la religion sont les critères d'appréciation du contexte politique, ce qui serait absurde. Pourtant, c'est ce phénomène, alors inconnu en Irak, qui a été ressuscité par l'occupation, qui aura pour effet d'embrouiller davantage les choses et de compromettre un retour à la normale dans l'ancienne Mésopotamie. De fait, les tractations, entre les chiites de l'Alliance unifiée irakienne, (AUI) et les Kurdes du PDK et de l'UPK, qui traînent en longueur, disent combien il est ardu de trouver un compromis politique entre ces deux groupes, principaux vainqueurs du scrutin du 30 janvier, qui s'estimaient, par ailleurs, victimes de l'exclusion de la part du régime de Saddam Hussein. Pourtant, le numéro deux du pouvoir baasiste, était un Turkmène, Taha Yacine Ramadan, l'un des principaux piliers du régime, le chrétien, Tarek Aziz. Aussi, ces divisions tribales ou ethniques sont-elles artificielles et ne participent pas à la construction de la démocratie qui est, et reste, le fait des citoyens et de la classe civile, sans notification ethnique ou religieuse. De fait, le peu de résultats induits par la première réunion du nouveau Parlement, fut-elle protocolaire, donne un aperçu des difficultés qui attendent les négociateurs pour former un gouvernement crédible et représentatif de toutes les forces politiques du pays. La nouvelle Assemblée nationale qui a tenu une séance le 17 mars, date symbolique, en mémoire du gazage des habitants de Halabja, au Kurdistan, par l'armée irakienne en 1985, n'a pas fixé de date pour la désignation de son président, et des trois membres du Conseil présidentiel qui auront à choisir à l'unanimité un Premier ministre. De fait, la première tâche de l'Assemblée, qui s'avère cruciale, reste la rédaction d'une Constitution permanente et aussi, de préparer les élections de décembre. S'estimant longtemps exclus du pouvoir, les chiites voient s'ouvrir à eux des perspectives inédites de réparer ce qui a constitué, à leurs yeux, une injustice. C'est à quelques nuances près, le cas des Kurdes qui voient s'offrir à eux l'occasion de revenir aux affaires du pays. Mais, sentant tout ce que cela aura de dangereux pour l'unité et la cohésion du pays, beaucoup de chiites s'élèvent contre l'idée de former un gouvernement à base confessionnelle, comme le souligne un religieux chiite qui affirme, «il n'est pas dans l'intérêt des chiites de former un gouvernement à base confessionnelle en Irak», précisant: «En tant qu'ouléma chiite, je n'adhère pas à l'idée qu'il faudrait un gouvernement chiite en Irak parce que les chiites y sont majoritaires.» De fait, dans la nouvelle configuration politique en Irak et les inquiétudes suscitées dans les pays arabes du Moyen-Orient par l'émergence des chiites comme force politique en Irak, ces derniers cherchent avant tout à rassurer, s'affirmant prêts à travailler avec les forces du nouveau champ politique irakien. Il n'en reste pas moins que les tractations entre chiites et Kurdes butent sur de nombreux point induits notamment par les revendications kurdes, afférentes au statut de la ville de Kirkouk, que les Kurdes veulent voir rattacher à la région du Kurdistan, ou encore leurs réticences quant à la suppression des «peshmergas», - milices kurdes - par leur intégration à la nouvelle armée irakienne. Un premier accord semble toutefois avoir été fait, quant aux candidatures de Jalal Talabani, président de l'UPK (Union patriotique du Kurdistan) pour le poste de président, celui de Premier ministre qui doit échoir au Dr.Jaâfari, numéro deux du parti chiite Da'wa, et les deux postes de vice-présidents réservés à un sunnite et sans doute au Premier ministre sortant, Iyad Allaoui, lequel ne semble pas très chaud pour occuper une fonction protocolaire, alors qu'il se voyait se succéder à lui-même au poste de Premier ministre. De fait, les débats ont été élargis ces derniers jours à d'autres groupes, dont celui d'Iyad Allaoui, dont la représentation parlementaire est très mince. Toutefois, selon un participant aux négociations, les discussions se «sont bien déroulées», des clarifications ayant été données aux représentants de M.Allaoui, ce porte-parole insistant cependant sur la nécessité pour le groupe Allaoui de participer au futur gouvernement. De fait, le souci de l'Alliance unifiée irakienne, (chiite) vainqueur des élections et majoritaire au Parlement, reste la participation de l'ensemble des forces politiques irakiennes à un gouvernement dont la mission, périlleuse dans les conditions actuelles qui sont celles de l'Irak, est la mise en place des nouvelles institutions du pays. Ainsi, selon Jawad Al-Maliki, un membre de l'Alliance unifiée irakienne, qui a indiqué qu'«en principe, l'Assemblée nationale tiendra une session le jeudi prochain (24 mars)», il a déclaré à propos des pourparlers en cours: «Nous nous sommes mis d'accord sur les principes du gouvernement, mais nous n'avons pas encore d'accord final sur sa composition, nous espérons que cela arrivera avant la session de l'assemblée». De fait, la réunion de l'Assemblée est conditionnée par un accord de gouvernement auquel les négociateurs de l'Alliance unifiée irakienne et les représentants kurdes de l'UPK (Jalal Talabani) et du PDK (Massoud Barzani) espèrent parvenir au plus dans les huit à dix jours à venir.