Près de deux mois après la chute du régime baasiste, les «politiques» n'arrivent pas à émerger. La dissolution, samedi, par l'armée britannique du Conseil (communal) de Bassorah, moins de deux mois après son installation par les forces d'occupation de la coalition; l'impossibilité de mettre sur pied, pour des raisons ethniques, un Conseil pour Kirkouk, est révélateur des difficultés qu'éprouvent les forces politiques irakiennes à dépasser les divergences et autres cloisonnements qui les ont empêchées, durant trois décennies, à s'organiser face à la dictature du Baâs. Alors que l'urgence en Irak est de remettre sur pied un pays exsangue, longtemps soumis à la poigne de fer de Saddam Hussein, l'ancienne «opposition» irakienne donne surtout le spectacle de l'immaturité politique. Nombreux sont les candidats à un destin «national», ou local, qui se bousculent pour le pouvoi - déjà aux mains des vainqueurs de Saddam Hussein - oublieux que les Etats-Unis ne se sont pas investis financièrement et militairement pour confier l'Irak à des forces politiques qui s'illustrent par l'incurie voire l'incompétence, mais, sans doute, aussi par une certaine prétention à l'autonomie. C'est du moins le grief que fait l'autorité occupante britannique au Conseil de Bassorah, lequel est tancé «pour son autonomie d'action». Ce qui amena le commandement britannique, qui «gouverne» la grande métropole du sud, à le remplacer par «un comité de technocrates», présidé par un officier britannique. Explicitant ces changements, un porte-parole de l'armée britannique a indiqué qu'«il s'agira d'une entité non politique qui prendra des décisions sur des questions techniques comme l'eau, l'électricité». Il semble qu'il soit reproché à l'ancien titulaire du poste, cheikh Mouzahem Al-Tamimi, homme d'affaires et chef de tribu, «de faire de la politique», sans doute aussi de faire de l'ombre aux forces occupantes. Ce dernier s'en défend, alors que ses partisans affirment que «c'est le Conseil qui avait remis en route tous les services (publics)». Un des partisans de cheikh Mouhazem, y va même de son avertissement affirmant que s'il «n'y avait pas de Conseil à Bassorah, ce serait un désastre». La situation est presque identique au Nord de l'Irak, compliquée davantage par des problèmes ethniques où Kurdes, Arabes, Turcomans (minorité turcophone) et Assyriens (chrétiens) n'arrivent pas à composer entre eux. Cette mosaïque humaine bute sur des difficultés à s'entendre sur la composante de la future direction communale, bloquant ainsi la mise sur pied du conseil local dans l'importante ville pétrolière de Kirkouk. Ces deux exemples, qui se répètent un peu partout dans les villes irakiennes «libérées», illustrent, on ne peut mieux, le vide politique et structurel, dans lequel se trouve aujourd'hui l'Irak. Le fait qui émerge depuis la chute du régime de Saddam Hussein, est que les personnalités qui ambitionnent un destin national, n'ont généralement pas d'assise nationale, leur potentiel reposant souvent sur leur appartenance ethnique, tribale, voire religieuse ou clanique. Ce qui ne diffère pas beaucoup du schéma mis au point par le pouvoir du Baâs irakien, basé sur le clan des Al-Tikriti formé autour de Saddam Hussein Al-Tikriti (originaires de la ville de Tikrit). Dans ce marécage politique, c'est encore les forces chiites de l'ayatollah, Mohamed Baqer Al-Hakim, et son Assemblée suprême de la Révolution islamique en Irak, (Asrii) qui sont les mieux organisées et les plus à même de présenter la plus sérieuse alternative de pouvoir en Irak. C'est encore ce groupe qui a réagi avec promptitude aux derniers développements de la situation, notamment au plan international, avec la levée des sanctions, dénonçant la «mise sous tutelle de l'Irak». En fait, une confirmation par l'ONU de l'occupation de l'Irak par le duo américano-britannique. Au moment où les forces d'occupation s'organisent et contrôlent de mieux en mieux le pays, -pour la première fois, depuis le 9 avril et la chute du régime de Baghdad, les nouvelles autorités d'occupation ont commencé, hier, à procéder au payement des fonctionnaires, l'argent (dollars) ayant servi à ces paiements, provient, a indiqué Jay Garner, directeur de l'Orha (Office de reconstruction et d'aide humanitaire) - «des fonds irakiens gelés aux Etats-Unis» - les forces politiques irakiennes, n'arrivent pas, en revanche, à dépasser leurs divergences pour construire un front politique à même de mettre sur pied un gouvernement intérimaire. Aussi, l'appel aux partis politiques, du vétéran des opposants irakiens, l'ancien ministre des Affaires étrangères, Adnane Pachachi, 80 ans (rentré après un exil de 33 ans), «à travailler ensemble et oublier (leurs) différences» risque fort de demeurer sans écho.