Voici trois ans disparaissait, un 1er avril 2002, le regretté Sid -Ali Maloufi, ancien directeur technique du quotidien El Moudjahid. u moment du souvenir, comment ne pas évoquer le milieu professionnel dans lequel a baigné Sid Ali Maloufi, les ateliers techniques, coeur et poumons d'El Moudjahid? C'est aussi une manière de rendre hommage à cet homme, - et tous ceux aujourd'hui disparus -, qui ont beaucoup donné pour impulser une presse alors naissante en retraçant quelques séquences dans ces premières années post-indépendance de la pratique journalistique. Sid-Ali en a été incontestablement l'une des chevilles ouvrières, période durant laquelle les techniciens et les journalistes se formaient sur le tas autour de quelques vétérans comme Sid-Ali. Vétérans qui ont fait leurs armes à la dure école du Livre, héritage de la période française, comme en témoignait la toute-puissante Fntl-Ugta de l'époque (Fédération nationale des travailleurs du Livre, riche des traditions de lutte de la Fédération du Livre de la CGT française). Un homme convivial Ces prémisses du journalisme algérien symbolisent, en fait, les dures années d'apprentissage d'un métier passionnant certes, mais ô combien aléatoire. Il est vrai que le journal n'était pas alors produit sur des micro-ordinateurs, dans des salles climatisées fraîches, aseptisées et aérées, mais dans une espèce de vaste local tout en longueur, - c'était le cas à El Moudjahid -, au climat sibérien en hiver, caniculaire en été, le tout baignant dans les miasmes de plomb et d'encre. D'ailleurs, l'absorption d'au moins un litre de lait par jour, pour tous ceux qui étaient en contact avec le plomb, était obligatoire, pour dire les conditions combien contraignantes dans lesquelles se créait un produit combien périssable : le journal quotidien. Les grosses linotypes, (machines de composition mécanique utilisant un clavier pour produire des lignes justifiées fondues en un seul bloc), monstrueuses au regard des minuscules ordinateurs d'aujourd'hui, occupaient tout l'espace de la grande salle de la rue de la Liberté, sur lesquelles s'escrimaient les typographes (ouvriers qui composent, à l'aide de caractères mobiles, les textes destinés à l'impression typographique) sous l'oeil vigilant des chefs d'atelier, dont Sid-Ali Maloufi. Une grande table en plomb, appelée le « marbre », occupait toute la longueur de l'atelier, sur laquelle étaient posés les blocs, dénommés châssis, qui reçoivent les caractères en plomb qui forment le texte. Ce «marbre» était le territoire, le domaine réservé de Sid-Ali Maloufi qui avait l'oeil à tout. C'était un personnage inénarrable, d'une humeur égale et doté d'un humour souvent caustique, plutôt facile à vivre, mais en revanche inflexible pour ce qui est de la ponctualité et le travail. De fait, sous ses dehors rigides, Sid-Ali cachait en vérité un coeur en or. Car, une fois le journal bouclé, -le bouclage, dans les normes, par le respect de l'heure, voilà la hantise des responsables au niveau du labeur et de la rédaction-, le «bon à tirer» donné, et la morasse (dernière épreuve d'une page de journal, tirée avant le clichage des formes pour une révision générale) corrigée, le décor change, une nouvelle journée est achevée sans accroc et Sid Ali retrouve calme, sourire et urbanité, redevenant ce qu'il était en réalité, un homme convivial, aimable et plein d'entrain. De fait, la journée, plutôt la soirée terminée, Sid-Ali invite parfois, -aux alentours d'1 heure, 2 heures du matin, (eh oui à l'époque Alger vivait la nuit)- toute l'équipe de nuit à se retrouver autour d'un café ou d'un rafraîchissement, au Palma, à L'Europe ou au Tahiti à la rue Abane Ramdane, parallèle à la rue de la Liberté, siège d'El Moudjahid. C'était tout cela Sid-Ali Maloufi, qui a toujours agi en professionnel consciencieux ne mélangeant jamais amitié et travail, aussi rigoureux lors du service qu'il est affable et bon enfant une fois le journal bouclé. En fait, loin d'être une aventure intellectuelle, comme on dit aujourd'hui, le journalisme était, à cette époque héroïque, plutôt un acte de foi, du fait même des conditions matérielles et techniques ardues, de la marge (politique) étroite qui était celle des journalistes dans leur profession. Quarante ans après, on peut affirmer qu'El Moudjahid, post-indépendance, héritier du journal Le Peuple, (créé le 21 juin 1965 à l'issue de la fusion avortée entre Le Peuple et Alger Républicain), a été une école irremplaçable pour les journalistes, et les techniciens, (c'est dans ce journal que l'auteur de ces lignes a fait ses premières classes, au milieu des années soixante, côtoyant des messieurs tel Sid-Ali Maloufi, qui ont donné ses lettres de noblesse à la presse algérienne). Le quotidien de la rue de la Liberté a formé en fait des générations de professionnels - dont Ahmed Fattani, fondateur de l'Expression et de Liberté - qui font aujourd'hui les beaux jours de maints quotidiens indépendants. C'était celui-là le milieu d'un certain journalisme fait d'humanisme et d'abnégation, où la solidarité et la confraternité avaient encore un sens, dans lequel ont évolué les anciens, dont le regretté Sid-Ali Maloufi qui a su, dans ses relations de travail, allier rigueur professionnelle -imposant une discipline de fer dans son atelier - et souplesse de bon aloi, -sachant mettre ses subordonnés à l'aise. Un journalisme fait d'humanisme L'important, ne cessait-il de répéter, c'est l'observance du temps imparti à la confection des pages du journal par le respect de la feuille de route, qui programme les livraisons des pages, le tout, restant conditionné par la sacro-sainte heure de bouclage. Tout le reste, affirmait-il, se discute. C'était son leitmotiv, à cette époque d'apprentissage d'une presse nationale naissante où l'observance de l'heure de bouclage conditionnait tout le travail technique et journalistique. Des notions et normes quelque peu perdues de vue aujourd'hui à l'heure de l'informatique envahissante qui a bouleversé les conditions de travail de la presse de même qu'elle a endurci les rapports humains devenus plus distanciés et impersonnels. Hier, c'était un autre monde où les principes conduisaient les actes des hommes! Sacré Sid-Ali, dont nous restera à jamais le souvenir de cet homme pondéré et travailleur qui, dans le fond, était plutôt timide mais savait cacher cette timidité sous des dehors bougons qui ne trompaient personne. En réalité, c'était là les temps héroïques de la presse algérienne avec des précurseurs qui ont su donner l'exemple, dont nombre d'entre eux nous ont quitté. Au moment où l'on commémore la mémoire de Sid-Ali Maloufi, nos pensées émues vont également aux feus Abderrahmane Bellal, Abdelmadjid Hadji, Mohamed Abderrahmani, Hamid Kadri, Mokhtar Chergui, Halim Mokdad, Omar Boudia, Abdelaziz Hassani, qui ont participé à écrire le premier chapitre de la presse de l'indépendance. Parmi ces devanciers, on ne peut manquer de saluer des confrères qui goûtent aujourd'hui une retraite bien méritée à l'instar de Noureddine Naït Mazi, Abderrahmane Bedroun, Mohamed Nasri, Hadj Mahfoud Bouamra...Trois ans déjà que tu es parti Sid-Ali. Dors en paix, Que Dieu le Tout-Puissant t'accueille en Son Vaste Paradis.