Voter pour l'extrême droite est un comportement qui, il y a encore quelque temps, étonnait en France. (4ème partie et fin) Lors du dernier scrutin présidentiel, les Autrichiens ont failli donner le pouvoir à l'extrême droite. Cela fait encore plus peur aux Français qui ne savent plus s'il faut ou pas s'aventurer avec le Front national. Les médias, bien entendu, ne font qu'agiter autant qu'ils le peuvent l'épouvantail Le Pen. «C'est clair, disait l'autre jour un animateur sur BFM TV, Le Pen ne sera pas élue au second tour!». Dieu comme les hommes oublient vite leurs bêtises. Le même animateur avait donné Juppé gagnant au vu des pseudos sondages. Il récidive aujourd'hui pour dire que Le Pen ne sera pas élue alors que tout, absolument tout, indique qu'elle est le candidat le plus probable pour succéder à Hollande. L'épouvantail Le Pen s'adoucit A l'image de notre animateur zélé, les Français voudraient bien ne pas l'élire, mais ont-ils vraiment le choix? Posons sérieusement la question! Une étude très sérieuse, publiée cette semaine, soutient qu'entre «20,7% et 22,2% des intentions de vote des fonctionnaires» (1) lors de la prochaine présidentielle iront à Marine Le Pen alors que «François Fillon se situe en deuxième position, avec de 18,8 à 21%»(2). Il y aurait donc un glissement des intentions de vote des fonctionnaires vers l'extrême droite et vers la droite. Le mandat de Hollande les aurait-il déçus au point de les pousser dans les bras de l'extrémisme et de l'opposition ou bien est-ce le ressentiment accumulé depuis une quinzaine d'années? Voter pour l'extrême droite est un comportement qui, il y a encore quelque temps, étonnait en France. Rappelons-nous le barrage d'empêchement lors des élections de 2002, lorsque le vote au second tour était orienté contre Le Pen père. Mais aujourd'hui, ce geste semble ne plus étonner à cause de la poussée de nouvelles valeurs durant les quinquennats successifs de Sarkozy et de Hollande. Aujourd'hui, Le Pen fille, et en plus de sembler plus fréquentable, est dorénavant créditée sérieusement d'une solide probabilité à devenir présidente de la France. A droite, Fillon a décliné son programme. Un programme jusque-là juste bon à faire table rase dans son parti et dans sa famille politique, car de ce côté-ci il faut se montrer ferme, radical parfois, et bien attaquer le modèle social mis à mal, non seulement par les crises successives, mais aussi par les échecs répétés des politiciens et des partis. Fillon s'est donc montré percutant par rapport à la primaire de la droite et du centre. Cependant, ce qu'il y a lieu de remarquer c'est que, en quittant l'arène, Alain Juppé a traîné avec lui Fillon. L'entre-deux tours avait juste servi à Juppé de s'en prendre à Fillon et à démonter son programme et c'est là qu'il eut l'occasion de faire ressortir toute la «brutalité» du programme de l'ancien ministre de Sarkozy. Il l'avait dit avec tous les mots, souligné dans tous les styles, montré sous tous les angles et largement démontré. Il a dû même s'écarter de la bienséance nécessaire en pareil cas, mais il a eu l'effet voulu. Avec du retard certes, mais il l'a eu tout de même. Aujourd'hui, les Français ont compris les paroles de Juppé. Ils sont nombreux (81%) à estimer que l'ex-Premier ministre de Nicolas Sarkozy doit adapter son programme en vue «de l'élection présidentielle et des élections législatives de 2017» (3). Ce qu'il y a lieu d'adapter? Certes, les questions liées au système de santé, à la sécurité sociale et l'éducation bien entendu, mais aussi cette histoire de réduction du nombre de fonctionnaires. La colonne vertébrale du système français, connu pour être un système social, est sans doute la solidarité. Cette même solidarité que les tribunaux de France se font un sadique plaisir de juger, notamment à Nice, ces derniers jours. Certes, ce système a eu tantôt des claquements de muscles, tantôt des soubresauts et, parfois même, des convulsions, mais n'empêche que les Français y tiennent et ce, pour trois raisons essentielles. Un système bien français D'abord, ils considèrent que ce système est le leur. Il va avec leur humeur, leur mode de vie, leur culture... Bref, avec leur façon d'être. Ensuite, il y a lieu de reconnaître que ce système a d'immenses avantages, entre autres celui de traiter tous les citoyens de la même manière. Une égalité que beaucoup de pays et de sociétés envient à la France et aux Français «viscéralement attachés à l'égalité»(4). Il n'y a qu'à voir comment, aux Etats-Unis, les gens meurent dans l'indifférence totale, sans soins, loin de toute préoccupation de la société et des institutions. Ensuite, ce que Fillon leur propose à la place ne semble pas meilleur. Du coup, le programme de Fillon qui semblait pourtant assez intéressant au départ, devient désormais un mauvais programme à partir du moment qu'il faut le soumettre, non pas à la droite qui n'y lorgne que sur certains aspects, mais aux Français qui le regardent sous toutes ses coutures. Fillon se trouve alors piégé. Changer de position serait faire preuve de recul et donc de non-sérieux pour une partie des électeurs. Continuer sans tenir compte des signaux envoyés signifierait tourner le dos à une autre partie des électeurs et ainsi courir à l'échec. Que fera-t-il? Il a déjà retiré certaines propositions de son site, provoquant quelques commentaires pas très favorables. Il tentera sans doute d'arrondir quelques angles mais «la brutalité» de son programme, comme qualifiée par Juppé, lui colle désormais à la peau. Ses chances pour être au second tour sont, pour l'instant du moins et contrairement aux analyses de plateaux de TV, assez minces. De Valls à Le Pen en passant par tous les autres, ses adversaires se font d'ailleurs un malin plaisir à retourner leurs doigts dans cette plaie. A l'extrême droite, un seul, une seule, candidate. La fille à son père et la tante à sa nièce car au FN c'est d'abord une affaire de famille. Malgré les bâtons dans les roues que lui mettent quelques banques et quelques médias, et malgré les affaires qu'on lui sort chaque fois, Marine a l'air décidé d'aller de l'avant. Avant de faire un pas, elle prend toujours le soin de regarder où poser le pied. Sur le corps de quel homme de droite, sur la nuque de quel autre de gauche. Elle essaie de monter cyniquement sur les têtes. Elle décoche ses flèches, crache son venin, mais avance certainement dans l'esprit brouillé des Français. Sa cote est plus forte que jamais. C'est d'ailleurs, je crois, ce qui aurait empêché les médias de publier les intentions de vote car, à ce jour, une seule étude a été publiée par un Centre de recherche de Sciences Po et elle donne des résultats favorables à Le Pen. Excitée par l'élection de Trump, échauffée par le score des extrémistes autrichiens au dernier scrutin, rassurée par la faiblesse des candidats du PS et par la brutalité du programme de Fillon, elle avance tranquillement, presqu'en dansant, un sourire de location gros comme ça! Mais l'épouvantail Le Pen s'adoucit chaque jour désormais en attendant ce que donnera l'avenir. A gauche, Mélenchon court seul dans son couloir. Il veut incarner, lui aussi et à sa manière, cette France en colère, cette «France insoumise» comme il l'appelle. Benoit Hamon rappelle étrangement un certain Bruno Le Maire. Malgré le coup de pouce à peine caché de certains médias, il est loin de peser sérieusement. Il pourrait, peut-être, devenir un candidat sérieux dans une dizaine d'années, mais pas maintenant. L'autre, Arnault Montebourg paraît moins solide, en tout cas pas assez pour aller au second tour de l'élection présidentielle si jamais il était élu lors de la primaire. Certains sondages le donnent allant au second tour de la primaire, mais attendons pour voir. Seuls trois candidats semblent sérieux: Mélenchon, Valls et Macron. Or un «TSV», tout sauf Valls, telle une méchante OPA est lancé pour barrer la route lors de la primaire à celui qui fut Premier ministre de Hollande et, dans de pareilles circonstances, il semble, à notre avis, ne plus avoir de grandes chances de passer. Tout donc semble vouloir dire que c'est Mélenchon et Macron qui auraient à représenter la gauche pour affronter Le Pen au premier tour. Or, la question, la bonne question à poser, est la suivante: Macron et Mélenchon, pourront-ils battre Le Pen? Sincèrement, non. Et à moins que les Français s'entendent pour barrer la route comme en 2002 au FN lorsqu'ils avaient élu Chirac face à Le Pen le père, rien ne semble empêcher la victoire de Le Pen la fille. Comme on dit, autres temps, autre moeurs! Après tout, pourquoi pas? C'est de cela que les Français ont peur. Ils le sentent. Ils le savent. Ils ne voudraient pas voter Le Pen, mais ils y vont quand même sous l'impulsion de ces nouvelles valeurs. Les mécontents de Sarkozy, les déçus de Hollande, les traumatisés des attentats, les laissés-pour-compte d'une classe politique en total déphasage, les déçus de la justice... tout ce beau monde ira chercher une alternative, un refuge auprès de Le Pen. «Après tout, pourquoi pas?» tel est le leitmotiv qui pourrait désormais pousser les Français dans les bras de Marine, devant une gauche super divisée et une droite rouillée par les restes de la haine de Sarkozy, une politique de B.c.b.g. et un programme «brutal». A cela, il est important d'ajouter l'exaspération des Français vis-à-vis des règles de l'Europe qu'ils sentent contraignantes, invasives et porteuses d'une limitation de libertés à un moment où la mondialisation exige plus de mouvement, d'innovation et d'initiatives. Interviewé par le magazine Challenges, l'ancien ministre des Affaires étrangères sous Jacques Chirac, Dominique de Villepin, a eu cette belle analyse à propos de l'Europe, mais qui s'applique aussi bien à la France: «Deux facteurs se conjuguent. D'un côté, la montée des passions négatives au sein d'une partie de la population des pays occidentaux, qui pense ne pas avoir d'avenir dans la mondialisation et souffre de ne plus être entendue. De l'autre, les Etats affaiblis, des démocraties libérales incertaines d'elles-mêmes et des gouvernants hésitants qui paraissent incapables aux yeux des gouvernés de les protéger face aux deux grands défis que sont la crise des migrants et le terrorisme» (5), avant d'ajouter plus loin: «Nous ne disposons pas, aujourd'hui, des outils, des institutions à même d'apporter des réponses à l'inquiétude des peuples. (6) Lorsque les peuples se rendent compte que leurs institutions ne peuvent pas les rassurer face à leurs inquiétudes, il est tout à fait normal qu'ils se tournent vers celui qui leur dit être capable de le faire. Fut-il le diable même!». Toutes dents dehors, Marine Le Pen se dit la protectrice du peuple. Qu'elle veut apporter son soutien au faible, qu'elle veut rassurer les inquiets. A défaut d'autre chose... que feront les Français? Une élection de Marine Le Pen n'est plus à écarter malgré l'assurance trompeuse des médias. Elle n'est plus à écarter, malgré les analyses d'ici et d'ailleurs qui, s'appuyant sur l'expérience autrichienne, croient que les Français agiraient de la même manière oubliant cependant que les Autrichiens n'ont pas connu les attentats et qu'ils n'ont pas connu la déception des Français. Les Français pourraient aussi se jeter dans les bras de Le Pen, juste pour échapper à l'emprise de l'Europe qui les oblige à recruter des Polonais pour beaucoup moins cher que les Français, laissant ces derniers patauger dans les longues listes des chômeurs? Ils pourraient élire Le Pen, juste pour voir, comme disent les joueurs de poker. Après tout, tant de pays ont tenté, pourquoi pas eux? La France est à la croisée de ses chemins. Malmenée par une longue période de mauvaise présidence, de débats futiles et de politiques inutiles, elle risque sérieusement de prendre le mauvais sentier. Une élection du FN confirmerait alors que la société française aurait connu une mutation importante ces dernières années. Une mutation dans le mauvais sens, et c'est ce qu'on appelle bien une décadence. Références: (1), (2) étude menée depuis le début décembre 2016 et publiée début janvier 2017 par le Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof). Cevipof-2017-élections- LA NOTE / #28 / vague 9 (3)http://www.bfmtv.com/politique/sondage-huit-francais-sur-dix-souhaitent-que-francois-fillon-modifie-son-programme-1077735.html (4) Emmanuel Macron, (2016), La révolution, XO éditions. (5) Challenges, n°503 du 05 au 11 janvier 2017, p.34 (6) idem, p.35