La réactivité a pris un caractère d'urgence. N'y aura-t-il désormais plus de «largesses inutiles» en faveur de quelques privilégiés? Annoncée il y a quelques jours par le ministre de l'Agriculture et décidée par le ministre du Commerce, l'interdiction d'importation de tout légume et agrume de saison a été suivie d'effet en un temps record. La réaction de la Banque d'Algérie a été très rapide. Dans un courrier transmis aux banques commerciales, la BA a ordonné la «suspension immédiate» des domiciliations bancaires de toutes les opérations d'importation en rapport avec les agrumes et légumes frais. Cette grande célérité dans l'exécution d'une décision ministérielle a de quoi attirer l'attention, notamment par son caractère assez «précipité», au sens où l'on a l'impression qu'il s'agit là d'une réaction immédiate à une situation conjoncturelle. Il faut dire que ce genre d'épisode est assez rare dans les annales des décisions gouvernementales pour être relevé. Dans son instruction aux banques, la BA s'est voulue on ne peut plus claire. «Consécutivement à la décision d'interdiction de l'importation des agrumes et légumes frais prise par le ministère du Commerce, les banques et les établissements financiers sont instruits de procéder à la suspension immédiate de toute domiciliation bancaire de toute opération d'importation de ces produits», rapporte-t-on dans la note datée du 23 janvier dernier. Habituellement, entre le prononcé et la mise en oeuvre effective d'une décision ministérielle, il s'écoule dans le meilleur des cas plus de deux semaines, les rouages administratifs étant ce qu'ils sont. Or, pour cette fois précisément, la réactivité a pris un caractère d'urgence. Le ton de la lettre de la BA également. «Les présidents-directeurs généraux et les directeurs généraux des banques et établissements financiers sont priés de veiller à une application rigoureuse de cette note», insiste l'institution financière nationale. Faut-il voir dans cette nouvelle posture du gouvernement un renversement très sérieux des rapports de force au niveau de la décision économique? Les importateurs ont-ils perdu toute influence au niveau des cercles de décideurs, jusqu'à ne pas pouvoir réagir à une décision qui paraissait, il y a quelques jours, à peine sérieuse? Ou alors les importateurs algériens de fruits et légumes n'ont pas le poids qu'ont leurs collègues d'autres secteurs d'activité? Il est pour l'instant, un peu tôt pour répondre à ces questions, bien que la volonté gouvernementale de ne laisser aucune brèche aux importateurs s'est faite très visible lors du feuilleton des importations de véhicules. La baisse drastique des contingents à l'import avait suscité quelques grincements, en raison de la formidable puissance financière des concessionnaires autos. La bataille des véhicules gagnée, il semble que le gouvernement soit passé à l'offensive et se permet des décisions qu'il n'aurait peut-être pas prises, il y a quelques années. Il n'y aura désormais plus de «largesses inutiles», à voir cette instruction de la BA, sachant que la part des importations des agrumes et des légumes ne représente pas grand-chose en valeur. En fait, cette interdiction d'importation apporte la preuve d'une réelle maturité de la vision du gouvernement par rapport au fait d'importer. Dans une grande majorité de pays, l'acte d'importer est toujours bien plus difficile que la production et l'exportation. En agissant de la sorte, le ministre du Commerce décourage les importateurs, dans l'espoir de les voir se muer en producteurs et pourquoi pas en exportateurs. Il reste, néanmoins, que l'on n'est pas encore arrivé à un niveau de lutte contre la spéculation, la bureaucratie et le marché informel, tel pour que l'on puisse avancer qu'on est effectivement sur la bonne voie.