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L'ultime guerre pour la paix
REPORTAGE VIREE DANS LES MAQUIS DE L'EST DU PAYS 1RE PARTIE
Publié dans L'Expression le 13 - 04 - 2005

Le mythe d'Iraguen, zone chaude aux mains des terroristes, s'est écroulé en même temps que les drapeaux blancs déployés, comme du temps de l'AIS.
Les groupuscules, qui «vivotent» de chapardage à Salma, Collo et les monts Babors, n'espèrent plus qu'une chose, rentrer un jour au bercail. De l'autre côté, les GLD (Groupe de légitime défense) ou patriotes, devenus aujourd'hui «citoyens volontaires», voient aujourd'hui leurs fusils «rouiller» à force de ne pas être utilisés. Les «repentis» qui, de leur côté, rejettent ce qualificatif, se battent comme leurs «ennemis» d'hier autour de la dure loi du travail. Souvent, ils fraternisent autour d'un bon café, moins cher et plus bon que dans la capitale. Les politiques, eux, se décrètent «apolitiques», un terme à la mode en ces temps troubles où personne ne sait sur quelle partition partisane danser.
La Cnag (Commission nationale pour l'amnistie générale) fait, à ce titre, florès dans les cafés et les places publiques dans une course folle aux éventuels postes à pourvoir. Face à cette hystérie collective, les «anciens» se souviennent, qui se racontent à demi-mots dans des quartiers uniquement peuplés de «repentis», qui du GIA, qui du Gspc et qui de l'AIS. L'espoir, dit-on, fait vivre. Il peut parfois aussi faire mourir. Or, il s'agit là d'une tout autre histoire. Ecoutons-la plutôt.
Il fait encore jour lorsque nous arrivons à Mézaïr, petite bourgade située à environ 20 km au sud de Jijel. Nous avons rendez-vous avec un jeune repenti de l'AIS dans cette ville, qualifiée d'«afghane», aux mains de «la police islamiste», il n'y a pas si longtemps de cela. Ici, comme dans toutes les régions que nous aurons à visiter plus tard, tout se règle autour d'un café. Il suffit de connaître les «gens» qu'il faut, pas toujours ceux que l'on croit, pour que toutes les portes s'ouvrent devant vous.
En attendant notre «ami», celui qui nous sert de guide avise un patriote. Il nous consulte avant de le héler. Visage émacié, yeux rentrés dans leurs orbites, barbe hirsute et vêtements trop fatigués, l'homme tente de faire bonne contenance en se bornant à n'aborder que les lieux communs. Ce «citoyen volontaire», appellation nouvelle des patriotes, devions-nous apprendre en exclusivité sur place, explique que «les interventions se font de plus en plus rares».
Idem pour les ratissages des forces combinées. Lui-même, qui n'a plus touché à son fusil depuis des mois, se demande, mi-gêné, mi-amusé, si son arme n'est pas un tantinet rouillée. Or, il ne faut surtout pas se fier à cette tranquille désinvolture, propre à ces régions où les affaires se traitent et se règlent dans le calme, loin de la précipitation, suivant les bonnes vieilles traditions orientales. Ici, la mort a encore frappé, il y a de cela deux mois. «Nous ne savons pas si ce sont les hommes de Hattab.» Une chose est sûre, parmi eux, «seuls deux ou trois visages connus sont d'ici, tous les autres sont étrangers à la région».
En fait, nous apprendrons plus tard que le groupe, composé d'environ une quarantaine de personnes, peu armé et très mal en point, se déplace le long des monts des Babors, entre Jijel, Skikda et Batna, pour faire durer l'illusion d'une large présence terroriste dans les maquis de l'est du pays. La culture des montagnes, jadis source de revenu principal des populations, tarde encore à refaire son apparition. A côté de la peur, contre laquelle il est toujours difficile de se battre, il y a les risques d'explosion des engins abandonnés ou oubliés dans les maquis.
Une famille, plus téméraire que les autres, en a fait les frais tout récemment, nous explique ce citoyen volontaire dont le souci, aujourd'hui, est de faire vivre sa famille. Quant au pardon, à la réconciliation, cela ne pose aucun problème pour lui. «Dieu lui-même donne l'exemple de la clémence et de la rédemption», explique-t-il.
Regretter? Jamais!
Il ajoute qu'il lui arrive souvent de «prendre un café avec des repentis sans le moindre problème». Là encore, nous constaterons, au cours de nos pérégrinations, que ce choix s'est imposé tout naturellement à tous. Le peuple, lassé du sang, des larmes et de la guerre, se montre prêt à payer chèrement la paix, à livrer bataille pour la recouvrer. «En fait, ceux qui refusent la réconciliation, nous explique ce citoyen, vite rejoint par d'autres, ont des rancunes personnelles antérieures à cette tragédie, mais qu'ils refuseront toujours d'admettre.»
Voilà enfin le jeune F., bien habillé, corps athlétique, cheveux ras et yeux scrutateurs. Il consulte des yeux notre guide avant de nous haranguer: «J'accepte de vous parler à condition de ne pas déformer mes propos et de ne jamais me qualifier de repenti.» Oui, ce jeune, monté au maquis à l'âge de 18 ans, affirme ne rien regretter. Il ajoute l'avoir fait depuis que l'oncle qui l'a élevé a été emmené un jour, et sa maison détruite pour «collaboration avec les terroristes».«Le nom de mon oncle figure sur la liste de Farouk Ksentini», clame-t-il fièrement. Aujourd'hui SDF, contraint de travailler dur pour subvenir à ses besoins, comme le prouvent ses mains, F. jure que «les gens des maquis ne se sont pas enrichis». Ce n'est pas l'avis des citoyens volontaires qui ne comprennent pas que des repentis, du jour au lendemain, se retrouvent avec maison, voiture et commerce. F., comme les autres repentis que nous rencontrerons, jure n'avoir jamais rien volé. «Ceux qui étaient riches le sont restés. Les autres, ben, voyez vous-mêmes.» De fait, à Mézaïr, Texenna, Salma ou Collo, la misère se déclame sur les murs, la démarche résignée des gens et les épiceries qui vendent tout à crédit, même la vie.
«Nous avons connu la peur, la faim, la nudité, la maladie, la détresse dans les maquis, nous raconte F. Je ne crois pas qu'il y ait un seul Algérien aujourd'hui qui soit prêt à tenter de nouveau cette suicidaire expérience.»
Aujourd'hui, F. vit de petits expédients, en attendant des jours meilleurs. «Nous savions que nous allions être les moutons de Panurge lors de la trêve. Mais personne n'avait le choix.» Ce n'est quand même pas une raison pour ce jeune, qui prétend ne pas faire de politique, de s'y adonner copieusement et passionnément.
«Beaucoup d'entre nous n'ont pas encore reçu tous leurs papiers, conformément aux accords. Moi-même ne reconnais pas ces autorités.»
Etonné par tant de haine, alors que l'on vient d'apprendre de sources certaines que leurs casiers judiciaires numéro trois sont vierges, nous lui demandons s'il vote quand même. «Oh oui, je vote, mais avec un bulletin blanc. Car j'en serai un jour comptable devant le Seigneur.»
Un langage inquiétant qui rappelle que l'esprit de l'ex-FIS n'est pas tout à fait éteint. Or, là encore, il faut sinon croire, du moins espérer, que les apparences sont une fois de plus trompeuses. F., en effet, s'oublie tout à fait en ne tarissant pas d'éloges sur Bouteflika grâce à qui les caisses de l'Etat sont pleines comme jamais et sous le règne de qui une vraie réconciliation, dans laquelle la dignité ne sera pas remisée au placard, est peut-être possible. Lorsque nous disons à F. que nous le soupçonnons d'avoir voté pour Bouteflika, il sourit en coin, un tantinet gêné, avant de trouver une quelconque diversion et finir par nous fausser compagnie. Ici, il y a un peu plus d'une vingtaine de repentis pour un hameau de quelques centaines de personnes. L'heure de la prière est sacrée pour tous ces gens. Les rues se vident. Les magasins se ferment. Les hameaux retiennent leur souffle, se demandent souvent si le drame est bel et bien laissé loin derrière. Ténue sera toujours la frontière entre le rêve et la réalité.
Dans l'«antre» de Madani Mezrag
C'est ainsi que nous concevons les choses lorsque nous arrivons à Kaous, lieu de résidence de Madani Mezrag, ancien émir national de l'AIS. Notre guide, après avoir épuisé les tentatives d'approche indirectes, décide d'y aller franco. A Jijel, la sincérité paie presque toujours. Un homme, un vrai, y a toutes les chances de se faire une place au soleil. Quant aux autres, très dure est toujours leur chute. Madani Mezrag, farouche aux médias et aux sunlights, dont les photos sont aussi rares que les déclarations publiques, accepte de nous recevoir le lendemain, en dépit de quelques menus incidents de parcours. La crédibilité des «solliciteurs» a fini par peser très lourd dans la balance, puisque Mezrag, dans une tenue impeccable, accepte même de poser devant notre photographe, dans son modeste bureau, qui fait aussi office de magasin d'oeufs. Mezrag, très bien conservé, en dépit de ses années de maquis, porte une «bourka» d'un genre spécial, ainsi qu'une tenue traditionnelle irréprochable. Il prend longuement le temps de nous sonder, au moment où nous le mettons en confiance en lui rappelant toutes les rencontres antérieures que nous avons faites avec des hommes politiques de renom. Le test semble tellement concluant (lire l'entretien dans notre édition de samedi), que Mezrag nous livre même certaines de ses réfléxions politiques les plus intimes.
A suivre.


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