A Jijel, des éléments des services de sécurité, nous ont formellement confirmé que l'opération des redditions, se déroulait bien, selon les plans préétablis. Ils nous ont également confirmé les redditions qui ont eu lieu à Texenna, mais ont toutefois, tenu à nous préciser qu'il était impossible, du moins à l'heure actuelle, d'établir un bilan exact avant l'aboutissement de l'ensemble des opérations. Pendant notre séjour dans cette région, nous avons constaté une forte présence de militaires affairés à installer leur camp. Ville touristique par excellence, à la nature généreuse, Jijel est dotée aussi d'une luxuriante forêt aux nombreuses caches. L'une des plus belles, cependant des plus sauvages et des plus compliquées du pays. Pour visiter toute la région, il faut au moins une dizaine de jours et des moyens appropriés. Cette ville, qui compte l'un des plus important ports d'Algérie, aussi conservatrice qu'elle soit, a vu nombre de ses enfants verser dans l'islamisme aveugle. Ce sont des années, durant lesquelles la région vivra les plus indescriptibles des crimes. Des dizaines de militaires y laisseront la vie. Ils ont été pour la plupart égorgés. Des femmes ont été violées puis déchiquetées de la manière la plus cruelle et la plus horrible. Des enfants sont passés par le couteau. Des bébés ont été brûlés. Ce fut l'horreur! Les derniers attentats remontent au mois de Ramadan dernier. «... Les crimes les plus lâches et les plus ignobles ont été commis dans la presque totalité des régions de Jijel. Bien des assassinats ont été perpétrés», nous a déclaré l'un des habitants de la région. Avant de pénétrer dans la wilaya de Jijel, le voyageur est frappé par le caractère lugubre d'un endroit. «C'est là qu'on a égorgé dix personnes... un peu plus loin, à cet endroit, les deux frères Kazouit, terroristes notoires, ont été abattus. Leurs corps sont restés exposés pendant plusieurs jours», nous informe l'un des témoins de la barbarie terroriste. Certains lieux donnent encore la chair de poule. On y sent même une atmosphère de psychose. Les habitants rencontrés au cours de notre reportage exprimaient une certaine passivité, ils semblaient désintéressés. Sur d'autres visages, on lisait tout simplement la peur! Villages fantômes Dans la voiture qui nous conduit à Jijel, il nous est impossible de ne pas remarquer les massifs d'Ouled Rabah surplombant Sidi Maârouf. Ces lieux étaient le fief de Boulaâcheb, un ancien élu de l'ex-FIS abattu par les services de sécurité en 1998. En face, se dressent les hauteurs de Ghezala, passage obligé pour déboucher sur les communes de Ghebala au sud de Bordj Ali et Settara au nord. Une fois dans la daïra d'El Milia, située à 60 km de Jijel, nous nous sommes arrêtés à un petit café, juste à Taskif. Sur les lieux, nous avons appris que c'était la propriété d'un patriote. L'homme à l'expression timide, nous a confirmé que depuis les opérations de reddition, la situation s'est nettement améliorée. Cela dit, ses propos étaient empreints de méfiance. Lors de notre halte d'une heure à El Milia, la plus vieille daïra d'Algérie, nous avons appris par des sources crédibles que les terroristes agissant entre Béni Bélaïd, Béni Ferguène et Ouzane au nombre de 20, ont hissé le drapeau blanc. Plus bas, au piémont du massif de Mechat, Béni Mahboub se trouvent toujours des hors-la-loi dirigés par le sinistre Lemboum. Un groupe d'irréductibles de douze individus continue à défier l'Etat. Ces terroristes sont réfugiés dans un douar enclavé entre les hauteurs dont l'accès est miné. Durant notre court arrêt à El Milia, deux hélicos de combat survolèrent la région à basse attitude. Ces vols ne suscitaient la curiosité de personne. Sur le trajet de Jijel, on peut distinguer les monts de Mechat à l'est et ceux de Ouled Aouate à l'ouest. 10 km plus loin, nous tombons sur un barrage fixe de la Gendarmerie nationale, à deux kilomètres des lieux, où justement le sinistre Boulaâcheb a assassiné 7 gendarmes dans une embuscade meurtrière en 1995. Sur le même itinéraire, précisément dans la région d'El Sucer, le douar Ouled Boufaha déserté par tous ses habitants depuis 1993, se dresse et s'impose à la vue des voyageurs de passage, comme pour rappeler une barbarie toute récente. Ce douar se trouve à l'est d'El Ancer et est situé sur un massif qui se prolonge jusqu'à Collo. C'est encore le fief de groupuscules du GIA de Tayeb Soufi, des sinistres frères Fanit et Baâbaâ. C'est à cet endroit qu'un garde forestier fut enlevé en 2001 et dont le corps a été découpé à la tronçonneuse. Au-dessus d'El Ancer, on peut voir les maquis de Tayelounan, en contrebas de Béni Aïcha et Belhadef. Au nord d'El Ancer, à quelques kilomètres, s'élèvent les monts de Djemaâ Béni H'bibi à l'ouest. Là, nous y avons fait une halte de 30 minutes. Abordant des habitants de passage sur la nature des opérations, ils nous déclarent tout en souhaitant garder l'anonymat : «Jeudi dernier, entre 18 h et 20 h, un groupe de terroristes s'est rendu aux gendarmes qui les attendaient. Le groupe a été récupéré et emmené, mais on ne sait pas où...» A l'ouest se trouve la route menant à Béni Bélaïd, commune d'Oued Aâjoul-Kaunir. Ce douar est précédé par Béni Meslem. Ces deux lieux ont vécu des années infernales, de 1993 à 1995, lorsque de nombreux éléments du GIA sont venus du centre du pays, fuyant l'étau des services de sécurité qui se resserrait sur eux. A Béni Bélaïd, coexistaient les troupes de l'AIS et ceux du GIA. Ces derniers ont commis des crimes odieux et horribles contre la population civile qui a, en partie, quitté les lieux. Des femmes et des jeunes filles ont été sauvagement égorgées, parce qu'elles avaient simplement adressé la parole aux militaires. Des dizaines d'hommes de troupe de l'ANP ont été terrassés par des explosions des mines placées par des terroristes dans cette région. Il a fallu faire appel aux anciens de l'ALN pour réussir à faire fuir les groupes du GIA. Beaucoup de ces lieux sont toujours minés. Après Djemaâ H'bibi, au-dessus de laquelle s'étendent les monts Babors, nous sommes arrivés à Sidi Abdelaziz, un petit village balnéaire qui n'a repris vie que depuis l'année 2000. Quelques kilomètres plus loin, le hameau d'El M'zaïr, lieu déserté et craint par la population pour les faux barrages qui y étaient dressés quotidiennement, jusqu'à ce que les services de sécurité de la Gendarmerie nationale aient pu arrêter 26 individus, tous agents de café, de restaurant ou même fellahs. Les faux barrages ont cessé en 1998. Tout près de M'zaïr, à moins de trois kilomètres, se trouve le village agricole d'El Kennar. De ce lieu, selon les témoignages recueillis, pas moins de 400 individus ont pris les armes. Cela s'est produit en 2000 seulement. Mais des sources sécuritaires nous ont indiqué qu'il n'en reste seulement qu'une quarantaine. Ils agissent sur les hauteurs situées à l'ouest du village. Plus en avant, se trouve la petite localité de Bazoul au nord-est de Jijel, il y a la daïra de Taher, Chekfa surplombée par les monts de Seddate, Djimar, Chahna et des dizaines de hameaux entourés par les monts de Ouled Askar et Béni Yeder ont énormément souffert, subissant les affres les plus inimaginables, durant la période s'étalant de 1993 à 2000. Les redditions se multiplient Selon des sources locales chargées de la lutte antiterroriste, ces lieux sont demeurés infestés par le groupe du tristement célèbre, Salah Zelbah alias El Balafré et celui de l'ex-gendarme Enouri, qui y ont installé terreur et désolation. A l'entrée de la wilaya de Jijel, se trouve la bifurcation menant à Texenna, se trouvant à une trentaine de kilomètres et dont l'accès est très difficile. Selon un patriote, un groupe de 12 terroristes dont sept sont accompagnés de leurs femmes et leurs enfants s'est rendu jeudi dernier. A Jijel, des sources militaires, contactées par nos soins nous ont formellement confirmé que les redditions se déroulaient selon des plans préétablis et nous ont confirmé les redditions que nous avons rapportées dans nos précédentes éditions. Elle ont également évoqué les redditions de Texenna que nous n'avons pas pu visiter par manque de temps. Ces mêmes sources ont indiqué qu'il était impossible d'établir un nombre exact des opérations de reddition effectuées jusqu'à l'heure. Il faut donc attendre l'aboutissement de toutes les opérations à travers le pays. Aux environs de 12 h 30, nous nous sommes dirigés vers El Aouara, à l'ouest de la wilaya de Jijel. Une magnifique plage qu'il est inutile de présenter. Nous avons traversé les lieux en un coup de vent. Nous avons poursuivi notre chemin jusqu'à Ziama Mansouriah. Un véritable paradis sur terre. Au-delà de cette localité aux splendeurs naturelles étalées, c'est la wilaya de Béjaïa. A Ziama Mansouriah, nous avons pris attache avec un patriote très actif et ex-élément de l'ALN. Au sujet des redditions récemment enregistrées dans cette région, le patriote, sans hésiter, nous affirme : «J'ai assisté personnellement à l'une d'entre elles. Beaucoup de terroristes ont déposé les armes. Ces opérations ont commencé avant l'élection présidentielle, mais n'ont pu aboutir, du moins pour certaines, qu'après le scrutin du 8 avril... Ziama Mansouriah, poursuit notre interlocuteur était devenue la chasse gardée des terroristes. Personne ne pouvait s'aventurer sans le risque d'y laisser sa peau. La dissolution et le départ de l'AIS n'a apporté qu'une timide amélioration sur le plan sécuritaire... La vie dans cet endroit n'a commencé à devenir normale qu'à partir de 2000. Avant cette date, les habitants ont vécu un véritable enfer. La peur constituait leur lot quotidien.» Cependant, déclare encore ce patriote aux traits épuisés, «des groupes terroristes existent toujours et ils ne sont pas près de se rendre, mais nous continuerons à travailler nuit et jour, pour éradiquer la horde sauvage». Ainsi donc, si l'on se fie aux différentes déclarations, les redditions ne signifient pas forcément que le terrorisme a été vaincu. Des tentatives subversives persistent encore, sauf que leurs objectifs sont inscrits davantage dans le plus macabre des banditismes que l'humanité ait jamais connus. En dépit de la régression du rythme et de l'intensité des attentats, la vigilance est plus que jamais de rigueur. La région de Jijel, à l'instar des autres régions du pays, a été profondément touchée par les actes criminels. Elle a été meurtrie dans sa chair et dans son âme et les séquelles des années de sang existent encore. La trêve de l'AIS, même si elle a relativement contribué à ramener une paix plus ou moins précaire, d'autres régions demeurent toujours prisonnières de la terreur.