«De la barbarie en général, à l'intégrisme en particulier.» Il fallait, à l'époque, une dose inouïe de courage pour pouvoir écrire et publier un tel pamphlet. Il y a déjà vingt-deux ans, le 12 février 1995, l'écrivain Rachid Mimouni, l'un des meilleurs qu'a enfantés l'Algérie, est décédé au Maroc suite à une maladie. Quand on voit comment et où Rachid Mimouni a quitté ce monde, on est en droit de s'interroger: «Peut-on fuir la mort?». Rachid Mimouni, après avoir publié un livre sur l'intégrisme qui frappait de plein fouet sa chère patrie, dès le début des années quatre-vingt-dix, a évidemment été la cible d'une interminable série de menaces de mort proférées par les groupes islamiques armés. Le livre de Rachid Mimouni s'intitulait: «De la barbarie en général, à l'intégrisme en particulier». Il fallait, à l'époque, une dose inouïe de courage, pour pouvoir écrire et publier un tel pamphlet. La dose de courage, Mimouni l'avait suffisamment. Non seulement contre l'intégrisme, mais aussi à l'endroit du pouvoir de l'époque du parti unique qui a fait de l'Algérie un pays où tout ou presque fonctionnait mal. Rachid Mimouni a, dès le début de sa carrière d'écrivain, décrit avec une force littéraire indéniable les dédales de l'Algérie postindépendance. Indépendance chèrement acquise, mais vite détournée. Ce qui donne le titre à l'un de ses meilleurs romans: «Le fleuve détourné». Rachid Mimouni, s'inspirant sans doute de sommités dans le domaine de l'absurde à l'instar du tchèque Frantz Kafka, écrit son recueil de nouvelles «La ceinture de l'ogresse». A une époque où la nouvelle n'avait plus le vent en poupe, étant dévoré par le succès phénoménal du roman, Rachid Mimouni a réussi à imposer «La ceinture de l'ogresse» sur la scène éditoriale littéraire en Algérie et en France. La force de l'écriture de Rachid Mimouni a aussi donné naissance à un autre roman troublant: «Tombéza» où l'auteur dépeint les méandres enchevêtrés et le monde crasseux des hôpitaux algériens des années quatre-vingt et du début des années quatre-vingt-dix. Rachid Mimouni y expose, avec une verve littéraire remarquable, les conditions inhumaines dans lesquelles étaient hospitalisés et soignés les malades. Plus que les sujets traités dans ses romans, c'est aussi et surtout sa manière d'écrire, qui émerveillait les lecteurs. En plus des romans et du pamphlet cités plus haut, Rachid Mimouni est également l'auteur de nombreux autres romans de la même veine que tout Algérien et maghrébin doivent lire: «Une paix à vivre», «Le printemps n'en sera que plus beau», «La malédiction», «Une peine à vivre», «L'honneur de la tribu»... Ce dernier titre est aussi celui de l'un de ses romans fétiches. Durant la période où paraissait les romans de Rachid Mimouni, le succès était immédiat et systématique. Il ne s'agissait pas uniquement d'un succès en librairie, mais surtout de l'admiration unanime de la critique littéraire d'ici et d'ailleurs. Rachid Mimouni s'était imposé en si peu de tant comme l'un des meilleurs auteurs algériens aux côtés de Rachid Boudjedra et Tahar Djaout. C'est lui qui inspirera bien plus tard Boualem Sansal, devenu lui aussi une sommité en la matière. Ils étaient tous les deux des enfants de Boumerdès et collègues à l'Inped (Institut national de la productivité et du développement industriel) sis à la même ville. Rachid Mimouni, en fuyant les menaces terroristes, n'a pas voulu ni pu trop s'éloigner de son Algérie, ce beau pays. Il n'a pas choisi la France, comme beaucoup d'autres intellectuels algériens qui fuyaient la menace terroriste. Au contraire, il est allé juste à côté: au Maroc, un pays voisin dont la société et la nature sont si proches des nôtres, avait-il expliqué. Il y a animé une émission à Radio Tanger. Il compila ses chroniques dans un livre: «Chroniques de Tanger». C'était son dernier cri. Un papier en papier.