C'est maintenant une tradition : à Boumerdès, la contrée natale de l'écrivain Rachid Mimouni , une halte est faite chaque mois de février pour célébrer dans un climat très studieux la disparition de ce fils du peuple. Ça fait 16 ans que l'auteur de "La ceinture de l'ogresse " a trépassé d'une foudroyante leucémie dans un hôpital parisien, mais ses proches et autres scribes s'en souviennent. Halte donc la semaine dernière autour d'un auteur dont les œuvres sont enseignées dans nos universités de lettres, dans cette contrée qu'on tente de ranimer après le terrible séisme qui l'a frappée en 2003. La commémoration a rassemblé des hommes de lettres comme Abdelhamid Bourayou, Djillali Khellas, Nadia Kada, Boualem Belkhis, Aït Challal Salah, et l'écrivain Tahar Benaïcha, qui ont longuement conféré dans la salle qui porte son nom autour du thème "L'image de la femme dans le roman algérien contemporain". L'écrivain Tahar Benaicha a quant a lui été honoré au milieu de cet honneur posthume pour l'ensemble de ses œuvres. Deux romans du défunt, "Le Fleuve détourné " adapté déjà au théâtre par la pote de l'auteur, Hamida Aït El Hadj, et " Tombeza " ont été retenus pour les débats et conférences. Ecrivain sobre, Rachid Mimouni qui a trépassé à l'âge de 50 ans fait partie de cette génération d'écrivains d'après-guerre. C'est lui qui a témoigné dans l'ensemble de ses œuvres sur la façon de vivre d'un peuple très déçu et littéralement opprimé par une bureaucratie imposée en période post indépendante. L'un de ses romans par lequel le succès lui était arrivé en 1982, " Le fleuve détourné ", a été adapté sur les planches à la faveur de " Alger, capitale de la culture arabe" en 2007 et a eu un relatif succès. Le casting de la pièce qui avait rassemblé un nom du chaâbi, Réda Doumaz et un nom du rapp, Lotfi Double canon pour la première fois, avait quelque chose de déstabilisant…Bref, Hamida Aït El Hadj aurait donné vie à une œuvre qui a marqué la littérature algérienne de la deuxième génération. C'est dans les années 70 que Rachid Mimouni commençait à publier ses textes dans la revue Promesses (El Wuoud) avant d'atterrir dans les programmes de certaines universités. Après l'obtention d'une licence en sciences de la faculté d'Alger en 1968, il fut recruté en tant qu'adjoint à la recherche à l'Institut national de développement industriel de Boumerdès. Par la suite, il décida de poursuivre des études supérieures en commerce à l'université de Montréal (Canada), puis à l'école du Commerce d'Alger, qu'il rejoignit en 1976. Rachid Mimouni a signé de nombreuses œuvres dont " Une Paix à vivre ", Le printemps n'en sera que plus beau " Tombeza " en 1984. " L'honneur de la tribu ", " La ceinture de l'ogresse ", " Une peine à vivre " et " La malédiction " parurent successivement en 1989, 1990, 1991 et 1993. Plusieurs fois distingué à l'étranger, Rachid Mimouni fut, tour à tour, lauréat du Prix de l'amitié franco-arabe et celui de la critique littéraire (prix Robin de la francophonie), le Prix de la littérature cinématographique du festival de Cannes pour son roman L'honneur de la tribu, le prix de l'Académie française pour son œuvre La ceinture de l'ogresse, avant d'être distingué en 1994 par le Prix de la liberté littéraire pour La malédiction puis le prix du grand Atlas en 1995 pour l'ensemble de ses œuvres. De par la situation précaire de sa famille et sa position d'unique mâle, il fut contraint à aider son père en se faisant embaucher dans les champs de tabac, parallèlement à la poursuite de ses études secondaires. Les effets de " cette double vie " apparaissent clairement dans ses premiers essais littéraires entamés à l'âge de 14 ans. Le printemps chez Mimouni En 2009, pour le 13ème anniversaire de l'auteur de " Tombeza ", l'universitaire Mohamed Lakhdar Mouagal, fidèle au rendez-vous du fils de Boudouaou, banlieue de Boumerdès, avait traité de la thématique du " printemps " dans le roman algérien, spécialement chez Camus, Mouloud Mammeri et Mimouni. Tout en expliquant le lien qui lie l'écrivain à la nature, l'intervenant avait précisé que la thématique a été " discutée " par l'écrivain et l'anthropologue algérien Mammeri comme " une réponse polémique " à Camus, dans son premier roman La Colline oubliée. Cela sera repris par Mimouni en lui conférant le sens d'une " prise de conscience ", explique-t-il, en soulignant que chez nous : " Le printemps est un vrai problème. " Dénonçant la bureaucratie et les subterfuges, Mimouni s'était surtout interrogé comme l'ont fait avant lui les écrivains maghrébins, sur le lien " entre la tradition et la modernité" C'était d'ailleurs le fil conducteur de la plupart de ses ouvrages où les anciens sont révélés comme des " gardiens du temple et de l'honneur ", alors que les autres regardent vers d'autres cieux. Il s'agit de ces questionnements dans son notamment " L'honneur de la tribu ", un livre qui met en scène l'interaction entre une génération de patriarches, gardiens des traditions et des valeurs ancestrales, et les événements de l'histoire… Dans ce puzzle désordonné, Mimouni tente, savamment, de remettre en question le mythe séculaire de la tradition, garante et gardienne des valeurs authentiques ancestrales de bravoure et d'honneur de la société. Pour Mimouni, l'acte d'écrire s'apparente à une fonction hautement symbolique, " c'est un engagement moral " disait-t-il, affirmant que l'écrivain est, avant tout, "témoin et conscience de son époque, de sa société, tant il est vrai que l'intellectuel va se définir par sa production … Il va dénoncer les maux d'une société, fustiger les injustices sociales " en les poussant volontairement au noir ". Auteur prolifique, Mimouni avait reçu, à titre posthume, le prix Albert Camus pour l'ensemble de son œuvre. Notons que les éditions Sédia ont réédité en 2008 " L'honneur de la tribu. ", l'un de ses livres les plus en vue.