La démarche, dans sa globalité, répond au besoin d'en finir avec ce fléau. Finalement, le projet de loi de lutte contre la corruption, adopté mercredi dernier en conseil de gouvernement, apporte un nombre important d'innovations tout au long des 74 articles, dont nous avons obtenu une copie hier. Des mesures de la plus haute importance sont ainsi prises. Dès l'exposé des motifs, il est indiqué que «dans son programme politique, le président Bouteflika a fait de la lutte contre la corruption un défi majeur à relever». C'est aux mêmes objectifs, comme souligné dans le texte lui-même, que répondait la loi, récemment entrée en vigueur et dont nous avions rendu compte en exclusivité, relative à la lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme. Dès son premier article, la loi affiche la couleur puisqu'elle se fixe pour mission «de promouvoir l'intégrité, la responsabilité et la transparence dans la gestion des secteurs public et privé». Il pourrait même être question de «recouvrement des avoirs» frauduleusement sortis du pays. Le second article, pour sa part, revient sur les définitions liées à ce domaine. L'article suivant revient sur le secteur public. Il en codifie les promotions internes avant d'annoncer la mise en place «des procédures appropriées pour sélectionner et former les personnes appelées à occuper des postes publics». Il est ainsi question de salaires suffisants, mais aussi d'un «programme d'éducation et de formation qui leur permette de s'acquitter de leurs fonctions de manière correcte, honorable et adéquate...». La première nouveauté de taille est portée par l'article 4. Celui-ci, en effet, stipule qu'«il est institué une obligation de déclaration de patrimoine envers les agents publics, en vue de garantir la transparence de la vie politique et administrative ainsi que la préservation du patrimoine public et la dignité des personnes chargées d'une mission d'intérêt public.» L'article 6 précédent, pour sa part, fixe les modalités pratiques pour chacun des concernés. Ainsi, «la déclaration de patrimoine du président de la République, des parlementaires, du président et des membres du Conseil constitutionnel, du chef et des membres du gouvernement, du président de la Cour des comptes, du gouverneur de la Banque d'Algérie, des ambassadeurs et consuls et des walis, s'effectue auprès du premier président de la Cour suprême et fait l'objet d'une publication au Journal officiel (...) dans les deux mois qui suivent leur élection ou leurs prises de fonction». La déclaration (...) des élus des assemblées locales fait l'objet de publicité par voie d'affichage au siège de la commune ou de la wilaya, selon le cas. La déclaration (...) des magistrats s'effectue auprès du premier président de la Cour suprême. (Enfin), les modalités de déclaration (...) concernant les autres agents publics sont déterminées par voie réglementaire. La loi vient également instaurer un «code de conduite» chez les agents publics, notamment dans la passation des marchés publics, mais aussi la gestion des finances publiques. Il sera également question de plus de transparence et de communication à l'adresse des citoyens. Pour ce qui est du secteur privé, l'article 13 prévoit que celui-ci devra «prendre des mesures pour prévenir la corruption et de prévoir, s'il y a lieu, des sanctions disciplinaires efficaces, proportionnées et dissuasives en cas de non-respect desdites mesures». Il en va de même pour les normes comptables et d'audit. Désormais, il sera interdit «d'établir des comptes hors livres, des opérations hors livres ou insuffisamment identifiées, d'enregistrer des dépenses inexistantes ou des éléments de passif dont l'objet n'est pas correctement identifié, d'utiliser de faux documents et (enfin) de détruire intentionnellement des documents comptables plus tôt que ne le prévoit la loi». Des déclarations de fortune à la pelle Afin de mettre toutes les chances en faveur de la réussite de cette lutte, la loi prévoit également de faire participer la société civile à cette lutte. Plus important encore, il est attendu «l'accès effectif des médias et du public à l'information concernant la corruption sous réserve de la protection de la vie privée, de l'honneur, de la dignité des personnes et impératif de sécurité nationale, de l'ordre public ainsi que de l'impartialité de la justice». De même que les banques ont été obligatoirement associées à la lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme, elles seront là encore appelées à contribution. Sur le plan organique, il est prévu «la mise en place d'un organe chargé de la prévention et de la lutte contre la corruption». Celui-ci est placé, en principe, sous l'autorité du président de la République, de celle du chef du gouvernement ou du ministre de la Justice. Il sera indépendant financièrement et administrativement. Une pareille autonomie est garantie par «la sécurité et la protection des fonctionnaires de l'organe contre toute forme de pression ou d'intimidation, de menaces, outrages, injures ou attaques de quelque nature que ce soit, dont ils peuvent être l'objet lors ou à l'occasion de l'exercice de leur mission». Pour ce qui est des missions de cet organe, celui-ci est chargé de proposer une politique globale de prévention, de dispenser des conseils, d'élaborer un processus éducatif adéquat, de collecter, centraliser et exploiter toute information qui peut servir à détecter ou à prévenir les actes de corruption, d'évaluer périodiquement les instruments juridiques et les mesures administratives en la matière, de recueillir périodiquement les déclarations de patrimoine, de recourir au ministère public en vue de rassembler les preuves et de faire procéder à des enquêtes, d'assurer la coordination et le suivi des activités et actions engagées sur le terrain, de veiller au renforcement de la coordination intersectorielle et, enfin, de susciter toute activité de recherche et d'évaluation des actions des entreprises dans le domaine de la prévention et de la lutte contre la corruption. Doté de très larges prérogatives, donc, l'organe en question peut également exiger n'importe quel document de n'importe quel organisme public ou privé, s'il juge qu'il peut lui servir à établir un cas de corruption. Tout refus est assimilable à une entrave à la justice. Dans le cas où des faits de corruption sont établis, l'organe a pour pouvoir et pour devoir de saisir le ministre de la Justice, lequel en instruit le procureur général. Des méthodes américaines d'investigation Le chapitre des sanctions est des plus importants. Il prévoit, tout au long d'une dizaine d'articles, des peines «d'emprisonnement de 2 à 10 ans (ainsi qu'une) amende de 200.000 de dinars» pour qui se serait rendu coupable des faits suivants: «Promettre d'offrir ou d'accorder à un agent public, directement ou indirectement, un avantage indu (...) le fait pour un agent public de solliciter ou d'accepter, directement ou indirectement, un avantage indu (...)». Autre nouveauté, et non des moindres, il s'agit du financement des partis politiques et associations à différents caractères. Ainsi, l'article 28 de la présente loi s'énonce-t-il comme suit: «Sans préjudice des dispositions pénales en vigueur, relatives aux financements des partis politiques (et des associations), toute opération occulte destinée au financement de l'activité de ces partis (ou associations) est punie d'un emprisonnement de 2 à 20 ans et d'une amende de 200.000 à 1.000.000 DA.» La loi enchaîne, par la suite, sur les cas de corruption d'agents publics étrangers et de fonctionnaires d'organisations internationales publiques, mais aussi la soustraction ou autre usage illicite de biens par un agent public. Il en va de même pour la concussion, les exonérations et franchises illégales, le trafic d'influence, l'abus de fonction, le conflit d'intérêt, la prise illégale d'intérêt, le défaut de déclaration au patrimoine, l'enrichissement illicite ainsi que les cadeaux. L'article 48, qui revient sur les circonstances aggravantes, souligne que «si le coupable de l'une des infractions prévues par la présente loi, est magistrat, fonctionnaire exerçant une fonction supérieure de l'Etat, ou membre de l'organe (de lutte contre la corruption), ou officier ou agent de la police judiciaire ou ayant des prérogatives de police judiciaire ou greffier, il encourt la peine d'emprisonnement de 10 à 20 ans assortie de la même amende prévue pour l'infraction commise». Le recours aux moyens modernes d'investigation y est décrit largement. L'article 56 prévoit ainsi que «pour faciliter la collecte de preuves relatives aux infractions prévues par la présente loi, il est possible de recourir, de manière appropriée, à la livraison surveillée ou à d'autres techniques d'investigation spéciales, telles que la surveillance électronique ou les infiltrations». L'article ajoute que «les preuves recueillies au moyen de ces techniques font foi conformément à la législation et à la réglementation en vigueur en matière de preuve». Le dernier chapitre, lui, s'intéresse à la coopération internationale. L'entraide judiciaire, prévue à l'article 57, prévoit que «sous réserve de réciprocité et autant que les traités, accords et arrangements pertinents et les lois le permettent, l'entraide judiciaire la plus large possible est particulièrement accordée aux Etats parties à la convention, en matière d'enquêtes, poursuites et procédures judiciaires concernant les infractions de corruption prévues par la présente loi». Tout porte à croire que l'entrée en vigueur prochaine de ce projet de loi saura réduire grandement de l'importance de ce fléau dont il est quand même impossible de venir à bout totalement.