Le mouvement citoyen est directement sorti des entrailles de la société civile. Le mouvement citoyen représente sans doute l'une des entités de grande envergure les plus innovatrices en matière de revendications politiques et socio-économiques qui a émergé au cours des dernières décennies. Né en Kabylie, bastion du mouvement national de libération, dans le feu de l'action ayant entraîné le tragique décès du jeune Massinissa Guermah, prélude à des émeutes soldées par la perte de 126 personnes, le mouvement citoyen est ainsi directement sorti des entrailles de la société civile. Il peut être considéré, à juste titre, comme le précurseur des réformes de l'Etat algérien. Vouloir expliquer le mouvement citoyen par la seule revendication identitaire, c'est diluer d'abord et évacuer ensuite la réelle question posée par une société en quête de démocratie et d'Etat de droit et réduire la complexité de la crise algérienne puis passer sous silence la réalité des rapports sociaux ayant prévalu avant les événements du 5 Octobre 1988. Ayant compris les dangers de la récupération politique où les jeux se font dans les coulisses, voire au sein des instances décisionnelles des partis politiques, les animateurs du mouvement citoyen ont tout fait pour sauvegarder l'essence démocratique et résolument pacifique du mouvement, se refusant à toute forme d'allégeance ou substitution aux formations politiques et aux institutions de l'Etat. Par ailleurs, le mouvement citoyen a toujours su échapper aux tentations de diversions voulant le pousser vers de fausses pistes idéologiques sur les bases identitaires et régionalistes. Sur ce point, il y a lieu de rappeler que les manifestations ont de tout temps été conduites autour des mots d'ordres nationaux. Pour preuve, le mouvement citoyen a su exposer par le biais de la plate-forme d'El-Kseur, la problématique de la politique générale qui touche la société et par là même, une revendication qu'il est impossible d'écarter tant elle exprime le refus d'aliénation culturel imposé au peuple par l'arobo-baâthisme. La plate-forme d'El-Kseur matérialise le rejet par la société d'un système honni et dépassé. Depuis le début des événements, les manifestants sortis dans la rue n'ont cessé de crier «Ulac smah ulac» ( pas d'impunité). Un slogan très significatif et comportant une symbolique révélatrice d'un attachement indéfectible à un Etat de droit et d'un défi à ne plus céder devant l'amnésie et l'oubli, d'une part, et bannir l'impunité, d'autre part. En outre, le mouvement citoyen a permis de voir les questions réelles posées par la société civile. Ainsi, cette dernière devient le seul instrument efficace pour tout changement qualitatif en raison du fossé qui la sépare de la classe politique. Devant une position effritée de cette classe politique incapable de se poser comme alternative dans sa majorité, le mouvement citoyen a permis l'émergence de conditions de production d'un projet politique démocratique basé sur l'Etat de droit et la volonté de le faire aboutir. De ce fait, en quelques mois, le mouvement a fait exister des objectifs politiques que beaucoup de partis avaient abandonnés ou refoulés. Aujourd'hui, avec la prise en charge par l'Etat de la plate-forme d'El-Kseur et la satisfaction de plusieurs points, notamment la constitutionalisation de tamazight, les choses ont beaucoup évolué au plus grand bien de la région qui devrait profiter d'un plan de relance spécial à même de permettre son essor économique. Le dialogue initié par le chef de l'Etat a permis en quelque sorte de «désamorcer» la crise de Kabylie. En effet, l'actuel locataire d'El-Mouradia a su, a contrario des autres politiques, décoder le langage de la révolte citoyenne et décrypter ses significations sociales dans le cadre de la politique de réconciliation nationale du fait que seule la mutation de la pensée assurera un saut qualitatif à la société algérienne. En donnant satisfaction à la plate-forme d'El-Kseur, les pouvoirs publics ont reconnu un mérite au mouvement citoyen dans le combat pour la démocratie et la citoyenneté. Sur le plan stratégique, c'est l'Algérie entière qui en tire le plus grand profit dans le sens où la volonté populaire s'est exprimée de manière franche. Il est utile de souligner qu'à travers la protestation pacifique, il est clair que seuls les mouvements sociaux émanant des entrailles de la société peuvent être les garants de la démocratie et susceptibles de transformer les luttes populaires en projet positif. Sur ce chapitre, le mouvement citoyen est devenu par la force des choses la matrice de nouveau défi que s'est lancé l'Algérie du XXIe siècle dans sa quête de développement et des mutations imposées par la mondialisation et l´adhésion de l´Algérie à l´Organisation mondiale du commerce (OMC), ainsi que la signature de l´accord d´association avec l´Union européenne.