L'acte de signer est un fait positif, mais la mise en oeuvre de la plate-forme d'El-Kseur est autrement plus payant pour le pays. L'accord global signé avant-hier est censé tourner définitivement la page de la crise de Kabylie. Moment historique s'il en est, la poignée de main entre Belaïd Abrika et Ahmed Ouyahia était inimaginable, il y a à peine quelques mois. Aujourd'hui, l'Algérie ouvre une nouvelle page de son histoire qui consacre le principe de la lutte pacifique. Celle du mouvement citoyen a été payante. Le porte-parole de la délégation des archs qui a abouti à ce résultat, relève néanmoins qu'un grand travail reste à accomplir. L'acte de signer est un fait positif, mais la mise en oeuvre de la plate-forme d'El-Kseur est autrement plus payant pour le pays, disent l'ensemble des délégués qui ont fait le déplacement d'Alger. Belaïd Abrika qui a été l'un des artisans de cet accord, nous en parle avec passion, mais également avec beaucoup de lucidité qui en dit long sur la détermination, toujours intacte des militants de la citoyenneté. Ecoutons-le. L'Expression: Vous venez de signer avec le gouvernement, l'accord global pour la mise en oeuvre de la plate-forme d'El-Kseur. Qu'est-ce que cela vous inspire? Belaïd Abrika:Nous venons de signer un début d'accord avec le représentant de l'Etat, en l'occurrence le chef du gouvernement. Dans notre optique, nous avons toujours dit que nous sommes partie prenante dans la mise en oeuvre de la plate-forme d'El-Kseur, telle que définie dans le document d'explicitation, établi en 2001 à Larbaâ Nath Irathen. Depuis samedi dernier, nous disposons d'un document qui permettra de mettre en oeuvre la plate-forme d'El-Kseur. Nous allons installer un mécanisme qui définira les modalités d'application de l'accord que nous avons conjointement signé avec le chef du gouvernement. Il est clair que les acteurs qui animeront ledit mécanisme auront à travailler durant des jours, des mois, voire des années pour appliquer sur le terrain la totalité du projet. Parce que la plate-forme d'El-Kseur n'est pas simplement des points de revendications, mais elle véhicule un projet de société démocratique, républicain et moderniste qui nécessite des changements, dont certains sont radicaux et exigent des amendements de la loi fondamentale de la République. Il s'agit aussi de définir ensemble les dispositifs qui devraient accompagner cette mise en oeuvre. Car ce vaste chantier impliquera l'Etat et la société civile, représentée par le mouvement citoyen à travers ses structures locales et nationales. Lors de notre rencontre avec le chef du gouvernement, nous avons défraîchi le terrain. Nous espérons que nous poursuivrons sur cette voie, afin de faire aboutir notre projet et partant, faire avancer notre pays. Peut-on connaître les propositions du mouvement dans ce domaine? Nous allons nous concerter en prévision de la réunion que nous tiendrons avec le chef du gouvernement la semaine prochaine. Pour l'heure, le mouvement n'a pas encore défini la forme que prendra le mécanisme. En quoi la plate-forme d'El-Kseur constitue une avancée pour la République? D'abord le mouvement citoyen en lui-même constitue une avancée considérable pour l'Algérie. C'est un mouvement qui a énormément donné pour le pays. Il a permis d'entrevoir la nécessité de s'organiser pour prendre en charge les problèmes de la société. De plus, nous avons initié la pratique démocratique à la base, ou du moins, nous l'avons ranimée puisque cette pratique existait déjà dans nos sociétés ancestrales. Nous avons aussi ancré un esprit de lutte pacifique, et c'est fondamental pour nous, parce que l'Algérie a traversé une période noire. Il fallait montrer que par la voie pacifique, l'on pouvait faire aboutir des revendications et nous l'avons fait. Ce sont là autant d'acquis pour la nation. Pour ce qui concerne la plate-forme d'El-Kseur, celle-ci est effectivement porteuse d'espoir, au sens où elle propose des solutions à la crise multidimensionnelle que vit l'Algérie. Cela dit, si on se situe du point de vue historique, la plate-forme est bien sûr porteuse d'une vision démocratique et républicaine, à même de définir clairement le concept d'Etat nation, pour qu'on puisse avancer vers la modernité en ce nouveau millénaire. Il y a également l'aspect socio-économique, un autre chapitre que le mouvement citoyen intègre dans la plate-forme, pour qu'on puisse dépasser la paupérisation, la clochardisation de la société avec son lot de fléaux. L'essentiel enfin est d'en finir une bonne fois pour toutes avec la hogra à tous les niveaux. Aussi, le mouvement appelle à l'instauration d'une justice véritablement indépendante des autres pouvoirs et qui mette tous les Algériens sur un pied d'égalité. Donc, ceux qui sont responsables des drames du Printemps noir doivent connaître leur châtiment. Notre insistance à voir ces gens comparaître devant des tribunaux est mue par le souci de ne plus voir de morts d'hommes à cause de calculs bassement personnels. Le mouvement entend donner un sens concret à la notion de citoyenneté. Et qui dit citoyenneté dit évolution au sein de la société. La nôtre est traversée par plusieurs courants, parfois contradictoires et parfois complémentaires. Un mélange de modernité et d'archaïsme qui donne de la société algérienne l'image d'une mosaïque encore floue. Nos aînés ont su dépasser les contradictions au sein de l'Algérie profonde pour conduire une révolution qui s'est imposée comme un exemple pour l'humanité. Le mouvement citoyen est porteur d'un saut qualitatif à la dynamique historique par sa résistance pacifique. Nous espérons que notre exemple sera perpétué, reproduit, amélioré... pour que l'humanité entière puisse en bénéficier. L'émergence du mouvement citoyen est intervenue dans un contexte historique où l'on a largement constaté l'échec de la classe politique. Comment voyez-vous la place de ce mouvement dans le paysage politique futur du pays? La naissance de notre mouvement n'est pas due à la seule défaillance de la classe politique. En matière de multipartisme, l'Algérie capitalise une très faible expérience. Chaque acteur politique a fait sa propre expérience et l'on espère que cha irera les leçons de son parcours. Pour ce qui nous concerne, nous nous sommes définis, dès le départ, en tant que mouvement transpartisan qui adhère pleinement au principe du multipartisme. C'est ce qui va justement contribuer à apporter des solutions aux problèmes du pays, à travers des programmes politiques, censés répondre aux attentes des citoyens. Aujourd'hui, nous continuerons à soutenir que la diversité, le droit à la différence et à l'expression sont autant de piliers fondateurs de la nation au regard du mouvement citoyen. Donc des partis il faut qu'il y en ait en Algérie, mais des partis forts sur le plan idéologique, de la représentation et de l'intérêt qu'ils portent au pays. Presque cinq ans de lutte ont été, ce vendredi, couronnés par la victoire du mouvement. Quel bilan faites-vous des combats menés par les délégués de l'interwilayas? Ce n'est pas facile de faire un bilan de notre combat. Les quatre années qu'on vient de traverser représentent pour nous une quarantaine d'années. C'était tellement intense en termes d'actions, de réunions, de réflexion...Le rythme était infernal. C'est donc une expérience très difficile à résumer en quelques mots. Cela dit, globalement il y a essentiellement beaucoup de choses positives qui ont été réalisées. Evidemment, il y a eu par moments des carences et, à ce niveau, le mouvement n'a jamais craint de relever les défauts. Dans tous nos documents, nous avons toujours relevé nos points forts et nos points faibles. En tout état de cause, je considère que nous avons accompli quelque chose de très important en arrêtant l'effusion de sang. Nous nous sommes dotés d'un cadre organisationnel qui a fait ses preuves et a permis de synthétiser des revendications exprimées dans la rue. A côté de cela, nous avons réussi à définir les moyens de notre lutte. Nous sommes passés par des phases de répression, d'assassinats, d'emprisonnement, de gestion de nos blessés...et enfin, on arrive à une phase où on va passer à la mise en oeuvre de la plate-forme d'El-Kseur. Aujourd'hui, il est évident que cette expérience constitue un capital pour le mouvement qui lui-même est dynamique. Certes, nous sommes passés d'une période de confrontation à une autre d'application, mais rien ne dit que nous n'allons pas entrer dans un second cycle de confrontations. Nous en tant que mouvement, nous nous inscrivons dans la dynamique de la société qui a sans doute formulé de nouvelles demandes et nous serons là pour les porter. Face à cette dynamique, il est important que l'on ait affaire à un Etat fort qui sache faire des projections pour répondre aux attentes sociales actuelles et futures avant que la situation ne dégénère. L'Algérie est suffisamment nantie. Elle est riche et dispose d'un grand potentiel, à travers ses cadres, sa jeunesse, ses universités...Il y a de quoi faire de l'Algérie une grande nation.