Cinquante ans après, qu'est le non-alignement devenu ? Le rassemblement cette semaine en Indonésie des représentants des pays se revendiquant du concept du non-alignement, qui a vu le jour en avril 1955 à Bandung, a toutes les apparences d'un Té Deum, un chant du cygne, qu'à des retrouvailles célébrant le cinquantenaire d'une dynamique qui a donné, à ce que l'on appelait alors le tiers-monde, d'avoir son mot à dire dans la marche des affaires d'un monde alors dominé par l'antagonisme du bloc occidental, mené par les Etats-Unis, et communiste, mené par l'ex-Union soviétique. L'idée de rassembler des peuples, dont la majorité pliait sous le joug de la domination coloniale, était novatrice et le concept de non-alignement (sur les blocs) et de neutralité était porteur d'une vision nouvelle des rapports internationaux. C'est sous l'impulsion d'hommes exceptionnels qu'ont été les présidents indonésien Ahmed Soekarno, -qui accueillait chez lui à Bandung ce rassemblement inédit-, yougoslave, Josip Broz Tito (seul Européen présent à cette conférence tiers-mondiste), égyptien, Gamal Abdel Nasser, le Premier ministre indien, le Pandit Jawaharlal Nehru, ou encore le chef de la diplomatie chinoise, le flegmatique Chou En Lai (Zhou Enlai) que le mouvement des pays non-alignés prit alors corps. L'idée était novatrice, certes, mais dès l'avènement du Non-alignement, le ver était dans le fruit du fait même qu'en brassant large, en regroupant des Etats asiatiques, africains et latino-américains indépendants, (moins d'une trentaine à cette époque, alors que le mouvement est fort aujourd'hui de plus de 120 adhérents), sans tenir compte de leur engagement par rapport à la donne géopolitique de l'époque, les initiateurs de la notion de neutralité ont pris la risque (calculé?) de se faire déborder tant à droite qu'à gauche. En effet, le rassemblement de Bandung du 18 avril 1955 était une réunion à tout le moins hétéroclite réunissant des pays franchement engagés dans le bloc occidental ou sous influence occidentale notoire, tel l'Iran du Shah Réza Pahlavi, l'Arabie des Ibn Saoud, ou des pays engagés dans le Pacte de Bagdad, (créé quelque mois avant la tenue de la conférence de Bandung et placé sous la houlette des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne), alors que plusieurs autres sympathisaient avec le communisme, l'idéologie antagoniste de l'impérialisme occidental. Par ailleurs, nombre de pays membres du non-alignement étaient dirigés par des dictatures, ce qui n'augurait pas de lendemains de liberté pour des peuples qui n'avaient pas en réalité droit au chapitre. Cela dit, il faut reconnaître, toutefois, que le mouvement des non-alignés a puissamment contribué à répandre l'idée de décolonisation, notamment au sein des Nations unies, (c'est sous son action que fut adoptée par l'Assemblée générale de l'ONU en septembre 1960, la résolution 1415/XV donnant droit aux peuples coloniaux à s'autodéterminer), devenant ainsi une tribune de choix pour les peuples en lutte pour leur indépendance à faire entendre leur voix. Ainsi, quelques six mois après sa création, le FLN algérien, invité en tant qu'observateur à Bandung, a pu promouvoir la Révolution du 1er Novembre 1954 faisant connaître au monde la lutte d'un peuple qui payera le lourd tribu pour recouvrer sa liberté. Cependant, il faut bien relever que, nonobstant la part prise par le non-alignement dans la libération des peuples de la domination coloniale, le Mouvement des pays non-alignés, ne parvint pas cependant à atteindre ses autres objectifs : sortir les peuples afro-asiatiques et latino-américains de la pauvreté et du sous-développement qui, dès les indépendances, mettaient nombre de pays africains, notamment, en marge de la société mondiale. En fait, le non-alignement a beaucoup promis, mais peu tenu, du fait même qu'il était infiltré par des pays qui ne cachaient pas leurs sympathies pour l'un ou l'autre bloc dominant le monde, rendant tout effort de distanciation par rapport à l'Ouest et à l'Est vain, influant de la sorte négativement sur la construction d'une véritable politique et stratégie du non-alignement, qui auraient donné au Mouvement des non-alignés, au vu des potentialités intrinsèques de certains de ses membres, de jouer le rôle d'arbitre dans les questions politiques qui divisaient le monde. Ce qui n'a jamais pu être le cas. De fait, les non-alignés n'ont pu influer ou interférer, d'aucune manière, dans le contentieux israélo-palestinien, pris exclusivement en charge par les Etats-Unis. De fait, ces derniers ont su utiliser les atouts que sont ces pays ayant un pied dans le non-alignement, l'autre dans les blocs occidental ou communiste, pour atomiser de l'intérieur un mouvement qui n'a pas su faire les choix stratégiques que le contexte international lui imposait. Cinquante ans après, les représentants des pays non-alignés célèbrent surtout un mouvement dévitalisé, sans projet politique alternatif, dans un monde dominé de fait par l'unilatéralisme américain. Bandung aura été un rêve, aujourd'hui bien passé.