Contre toute attente, le taux de participation est historique Le centriste pro-européen Emmanuel Macron et la candidate de l'extrême droite anti-Europe Marine Le Pen, arrivés hier soir en tête du premier tour de la présidentielle française, s'affronteront lors du second tour, marquant le rejet des partis traditionnels. Les 47 millions d'électeurs français étaient attendus hier pour le premier tour d'une élection présidentielle au résultat imprévisible, mais crucial pour l'Union européenne, placée sous haute surveillance en raison de la menace terroriste. Avant la fermeture des derniers bureaux de vote à 20 heures locales, la participation était estimée à 80%, record spectaculaire depuis une quarantaine d'années et qui illustre la forte mobilisation des Français en fin de compte décidés à faire valoir leur choix. Ces premières estimations à peine dévoilées, on sait d'ores et déjà que le choix des électeurs français va incontestablement bouleverser la carte politique, traditionnellement partagée entre la gauche et la droite. Depuis l'élection de 2002, avec l'intrusion brutale de Jean-Marie Le Pen au deuxième tour, aux dépens du candidat de la gauche Lionel Jospin on savait que le FN et l'extrême droite avaient pris une option sérieuse dans les suffrages au point d'influencer le devenir de la Vème République. Ajoutée au «malaise» qui n'a pas cessé, depuis, de miner une coalition socialiste encrassée dans les malentendus et les trahisons ressassées, la descente aux enfers est devenue inexorable jusqu'à donner, ce spectacle affligeant qu'animent les gourous du social-libéralisme incarnés par François Hollande et Manuel Valls. Les voilà qui savourent, en dépit de leur défaite personnelle, une «revanche» qu'ils échafaudaient depuis le congrès de Reims où avait germé la «clique» des frondeurs. Justement, un des porte-étendards de cette clique, le «pauvre» Benoît Hamon, pourtant si juste dans ses élans de justicier solidaire, si vrai dans ses appels à la raison et ses tentatives courageuses de barrer la route aux croisés de la «haine» qui s'en prennent systématiquement aux jeunes des banlieues sous prétexte qu'ils sont musulmans, arabes ou noirs, Hamon doit se résoudre à porter, presque tout seul, et c'est injuste, le fardeau de la dislocation d'un PS parti à vau-l'eau. Après une campagne pleine d'incertitude jusqu'à la dernière minute et caractérisée par une hystérisation du discours politique de certains candidats, voici l'heure de vérité. Fini donc le processus du tripartisme qui aura duré une bonne vingtaine d'années. Macron, avec 23,7%, est devant Marine Le Pen, avec 22%, talonnés par Jean-Luc Mélenchon avec 19,5% et François Fillon à presque égalité, tout cela selon les estimations de 20 heures des principaux instituts de sondage. Première question, la gauche au sens classique du terme, se rangera-t-elle derrière le candidat de la France En Marche? Donc, voilà le commencement de la fin pour les partis traditionnels dont l'érosion s'accélère avec le retournement de vestes de nombreux militants, qui happés par l'extrême droite et qui dégoûtés par une certaine manière de faire de la politique. Le nombre important des indécis, près d'un quart disaient les sondages, aurait pesé fortement sur ce résultat. Mais de quelle manière? Se sont-ils dispersés, en proportions presque égales, sur les quatre ténors comme nous y ont habitué les élections présidentielles précédentes? Ou ont-ils massivement porté un candidat et, dans ce cas, quel en est la prochaine conséquence prévisible? Autant de questions, sinon que Benoît Hamon a fait un très mauvais score (6%) et que Macron s'impose comme le porte-étendard d'une nouvelle «race d'électeurs». Dès le départ, on savait qu'Emmanuel Macron, avec sa candidature atypique, allait bouleverser sérieusement l'équilibre habituel. Car, jusqu'à cette campagne de 2017, il y avait cette certitude que, pour parvenir à l'Elysée, il fallait disposer d'un grand parti, avoir roulé sa bosse, durant de très nombreuses années, dans les méandres de la politique politicienne, approché la quasi-totalité des franges de la population et avoir franchi avec succès plusieurs paliers des élections locales et régionales. Avec Macron, toutes ces conditions ont été superbement balayées. Il n'a occupé aucun mandat parlementaire et, ministre de l'Economie pendant moins de deux ans, il a relevé le défi du suffrage universel pour la plus importante des élections, après avoir lancé un mouvement En Marche qui n'emprunte aucune des clés habituelles aux vieux partis qu'il affronte. Sauf que ce «fils idéal» ne plaît pas à tout le monde et que la campagne du deuxième tour risque fort de ressembler à ce que l'on a vu cette saison en Grande-Bretagne, pour le Brexit, et aux Etats-Unis, marquée par l'élection cataclysmique de Donald Trump, avec cette dimension revisitée d'un procès en règle contre «l'establishment», c'est-à-dire contre des «élites» arc-boutées à leurs privilèges acquis de longue date. C'est le discours populiste par excellence, resservi en France au cours des prochains jours. A cela s'ajoute la condition selon laquelle une victoire à la présidentielle n'a de sens que si le vainqueur est capable de relever le défi des législatives des 11 et 18 juin, en se constituant une majorité dont il aura impérativement besoin pour gouverner. Et sur ce plan, la position de Emmanuel Macron paraît, de prime abord, assez inconfortable. Sauf que, là encore, on n'est pas à l'abri d'une surprise même si la droite compte sur ce troisième tour pour rétablir l'équilibre et imposer, faute d'occuper l'Elysée, une nouvelle cohabitation! Fort objectivement, la tâche ne paraît pas simple pour Emmanuel Macron, qui s'est engagé à présenter 50% de têtes nouvelles aux législatives. Par contre, François Fillon pourrait avoir plus de facilité à transformer l'essai législatif grâce à l'ancrage des électeurs de droite, au désordre dont pâtit la gauche, et à l'effet post-élection présidentielle. A peine quadragénaire, Macron serait le plus jeune président de la Ve République. Vainqueur probable du second tour, il redistribuerait toutes les cartes de la campagne. Dernière observation, le pronostic des instituts de sondage est confirmé: depuis des semaines, Ipsos, OpinionWay, Kantar TNS, BVA, Ifop et Odoxa donnaient le même second tour: Emmanuel Macron, Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon et François Fillon. Dès aujourd'hui, les états-majors des deux candidats qui vont s'affronter au cours des prochains jours devront fourbir leurs armes pour des joutes qui s'annoncent sans merci. La France, quant à elle, se retrouve à nouveau piégée dans l'exigence du vote utile...