Il y a près de deux ans, il avait été admis au CHU Benbadis. Il venait tout juste de boucler ses 26 ans. Sa vie a complètement basculé suite à un diagnostic «erroné». Un des médicaments qui lui ont été prescrits a failli lui être fatal. Car au bout de quelques jours, il a commencé à perdre ses cheveux et ses dents. Et son visage a été complètement défiguré. Des effets irréversibles qui lui ont fait prendre «un coup de vieux» d'une vingtaine d'années. Un désastre. Sous d'autres cieux, ce cas aurait provoqué un «scandale du tonnerre», s'indigne une personne de l'entourage du jeune homme. En Algérie, il a fini par être passé sous silence. Il s'agit bel et bien d'une erreur médicale. Elle est appelée «erreur», par «fausse pudeur». En vérité, ses conséquences sont multiples et certaines sont passibles de lourdes sanctions professionnelles. Une autre histoire. Un autre drame, évité de justesse celui-là, d'une jeune fille pour laquelle on a diagnostiqué une appendicite, alors qu'en vérité, elle souffrait d'un kyste au niveau de l'utérus, révélé par les résultats d'un bilan complet. Signe des temps, il a fallu l'intervention énergique d'une connaissance assez influente, pour que cette jeune fille subisse un bilan complet. Un fait qui relève de l'absurde et qu'il est urgent, toutefois, de relater : l'anesthésiste refuse carrément de la prendre en charge, car il ne s'entendait pas avec une proche parente de la patiente, employée à l'hôpital. Il a fallu l'intervention du médecin chef pour que les choses rentrent dans l'ordre. Aujourd'hui, elle est encore traumatisée par cette «mésaventure» qui a failli lui coûter la vie. Si cette jeune fille a pu s'en sortir vivante, ce n'est pas le cas pour cet homme, devant être opéré en urgence. Celui-là est décédé sur la table d'opération, après avoir reçu une forte dose d'anesthésie. Autre décès enregistré, celui d'une jeune fille âgée de 23 ans. Etant diabétique, Ibtissem devait recevoir des antibiotiques aussitôt après l'intervention qu'elle avait subie suite à un accident de la circulation. Cependant, ce n'est que 48 heures après qu'elle sera prise en charge, ce qui lui a coûté la vie. Ces cas ne sont pas, hélas, isolés. Et le CHU Benbadis de Constantine en a vu d'autres. Pour des raisons multiples, objectives et subjectives, on refuse de dénoncer et de témoigner publiquement. La plupart du temps, le manque de preuves tangibles et scientifiquement vérifiables, et le long et harassant processus d'expertise dissuadent les parents des victimes d'aller plus loin. La situation du CHU Benbadis n'est pas du tout reluisante. Le bilan de l'année 2004 a révélé le décès de 2286 patients. Un chiffre effarant qui aurait dû inquiéter les autorités sanitaires. Un taux de près de 5% aurait carrément donné lieu à la désignation d'une commission d'enquête de haut niveau pour déterminer les causes de cette «catastrophe» pour un CHU qui a reçu, en une année, plus de 58.000 malades. Les problèmes de cet hôpital ne s'arrêtent pas au manque d'hygiène, à l'absence de moyens lourds et à la dégradation des relations de travail. Le départ d'un grand nombre de spécialistes, partis rejoindre les cliniques privées, a accentué le malaise d'une structure qui croule sous le poids du laisser-aller. Le mal est tellement profond qu'il est à craindre que la bonne volonté de ceux qui ont donné vie à la coopération avec les CHU et universités de Grenoble et de Strasbourg ne s'émousse vite. L'erreur médicale est évoquée en aparté, d'une manière plus ou moins clandestine ou intime, mais elle est rarement exprimée publiquement. Certains parents de victimes hésitent à s'engager dans des démarches revendicatives, par peur de voir des preuves «disparaître», déclarent-ils. C'est dire toute la confiance qui règne. Les quelques cas d'erreurs médicales qui ont été médiatisés ont réussi à faire beaucoup de bruit, mais sans plus. En fait, ce n'est que la partie visible de l'iceberg. Au vu de la situation qui prévaut dans nos hôpitaux, il faut une véritable révolution pour que les choses bougent. Le problème ne se résume pas uniquement à une question de gros sous. Certes, le CHU et les différentes structures sanitaires de Constantine souffrent du manque de moyens, mais la crise, elle, est aussi morale et déontologique. Pour humaniser l'hôpital, il faut mettre fin à la banalisation de fait de l'erreur médicale. Il est impératif que des médecins intègres s'engagent dans ce combat et apportent tout leur soutien à des parents de victimes, souvent sans appui et sans moyens. C'est à cette condition que l'erreur médicale redeviendra «l'exception» et non «la règle». Le constat amer caché est celui-là, mais apparent, il est lié à une crise administrative et morale, manque d'effectifs, de moyens, dégradation des perspectives médicales et conscience professionnelle, communication défectueuse. Le bilan de ce dysfonctionnement et les difficultés qui rongent inéluctablement le secteur sanitaire au niveau du second CHU du pays est un fait réel. Le taux de vétusté dépasse les 80%, sachant que ce CHU date de 1948.