Les Algériens n'ont pas l'esprit revanchard, mais il y a un devoir de mémoire, pour nos aînés, pour l'histoire, pour nos enfants. L'Europe fête dans un faste assez grandiose la victoire sur le nazisme. C'est normal, direz-vous, sauf que pour les Algériens, la défaite d'Hitler avait coïncidé avec le massacre collectif de près de 45.000 Algériens dans l'Est du pays : Guelma, Sétif, Kherrata. Tout le Constantinois, quoi. Les soldats de la France avaient réprimé dans un bain de sang une manifestation pacifique pour l'indépendance, une promesse que la France des partisans avait faite lors du combat contre le Führer. Il se trouve que justement les soldats algériens avaient pris part à la libération de la France, tout comme ils étaient dans les tranchées pendant la Première Guerre mondiale. Aujourd'hui que tout le monde demande pardon à tout le monde: le pape Jean-Paul II, celui de l'Eglise vis-à-vis des Juifs, l'Allemagne réunifiée vers les mêmes Juifs, les Turcs vis-à-vis des Arméniens, il reste que la France n'a toujours pas reconnu sa responsabilité coloniale en Algérie. Dernièrement, à Sétif, l'ambassadeur de France avait fait un premier geste dans la bonne direction. Le maire de Paris Bertrand Delanoë aussi, lors de sa visite à Alger. Certes, l'ambassadeur est le représentant officiel de la République française. On peut donc considérer qu'il a eu l'aval du Quai d'Orsay et de l'Elysée avant d'exprimer un point de vue aussi important et qui engage la diplomatie de son pays. C'était un geste courageux. Une chose doit être dite : les Algériens n'ont pas l'esprit revanchard, mais il y a un devoir de mémoire, pour nos aînés, pour l'histoire, pour nos enfants, qui doit être fait. Même si on pardonne, on n'oublie pas. Le pardon est nécessaire, mais l'oubli est déconseillé. Pour partir sur de nouvelles bases, au moment où on parle le plus de la signature d'un traité d'amitié algéro-français, la reconnaissance des méfaits colonialistes en Algérie est indispensable. Sinon, on fera dans l'hypocrisie. Cachez-moi cette histoire que je ne saurais voir. Reste que soixante ans après, on peut considérer que l'anniversaire de cet important événement n'est pas célébré à sa juste mesure. D'autant plus qu'il est l'un des actes fondateurs du mouvement national. Le 8 Mai 1945 annonce déjà en filigrane le 1er Novembre 1954, d'autant que beaucoup de chefs du FLN, parmi ses fondateurs justement, ainsi que parmi les centaines de militants du PPA-MTLD, qui vont constituer son encadrement au lendemain du déclenchement de la lutte armée, avaient fait leurs classes dans les combats contre l'armée hitlérienne. Ils y avaient appris la discipline militaire, l'art du combat et le maniement des armes. C'étaient donc des guerriers aguerris, qui avaient fait leur baptême du feu dans les tranchées de Normandie, ou ailleurs, d'autant plus qu'Alger avait été désignée comme capitale de la France par De Gaulle, qui y avait établi son quartier général, et c'est à partir du sol algérien qu'il avait dirigé la résistance et les actions des maquisards. Car si à Londres, il n'était qu'un hôte de Churchill, à Alger, il était chez lui, et il pouvait s'organiser à son aise. La base militaire de Mers-El-Kébir avait joué un rôle de premier plan. Beaucoup de films ont été réalisés sur les hauts faits d'arme de la Seconde Guerre mondiale. Du débarquement de Normandie à la bataille d'El Alamaine, mais les cinéastes ne se sont pas beaucoup penchés sur le rôle joué par les soldats nord-africains durant toute la Seconde Guerre mondiale, ni sur la place qu' a tenue Alger en tant que capitale de la France, au moins pour quelques courtes années, qui étaient très longues en vérité. Pour les Algériens, cette journée du 8 Mai 45, qui était au départ prometteuse et pleine d'espoir, a vite tourné au cauchemar, c'était le jour le plus long, mais elle a sonné le glas pour le devenir du colonialisme et de son corollaire l'indigénat, en Algérie.