Le tourisme algérien plongé dans un long marasme, et dans une léthargie endémique vivote de temps à autre par des velléités et par des actions ponctuelles, puériles et sporadiques. Souvent des «violoneux» orfèvres dans des symphonies inachevées essayent de le faire sortir de son aspect cadavéreux et moribond en se substituant au thanatopracteur dont le métier, la thanatopraxie, consiste à injecter dans le corps d'un défunt un liquide à base de formol qui le conserve beaucoup plus longtemps, de quinze jours à trois semaines au minimum. Ce liquide fait revivre les cellules, et garde au teint un aspect normal. La «pratique de la thanatopraxie» dans le secteur touristique est monnaie courante depuis 3 décennies. A chaque rendez-vous important, il y a une mobilisation générale des hommes et des énergies afin de préparer, avec les moyens du bord, l'événement en question, en colmatant les brèches, en saupoudrant par-ci et par-là, juste pour être à la hauteur et tenter d'épater le jour «J», les visiteurs de haut rang. Après l'inauguration, un «ouf» de soulagement est lâché. On replonge dans la quotidienneté du bricolage, en attendant que se profile un autre événement important et se remettre à donner des apparences de vitalité au secteur. Ceci dénote de l'absence d'une réelle volonté politique qui laisse le département ministériel concerné se débattre, seul dans des problèmes inextricables émanant du secteur lui-même, de l'environnement et des autres secteurs impliqués dans la problématique touristique mais qui ne se sentent guère concernés. Le ministre du Tourisme sortant, volubile à souhait, euphorique parfois, atteint par la logorrhée quelquefois, n'a pas trouvé mieux que d'inaugurer une kheïma et un restaurant franchisé d'une célèbre marque au logo d'hippopotame, a lancé lors d'une conférence de presse : «L'Etat s'intéresse à notre secteur, la preuve le président nous a adressé une lettre lors de la Journée mondiale du tourisme en septembre 2004». Soit c'est une vue étriquée de la chose soit c'est de la démagogie. Car le secteur touristique n'a pas besoin d'un geste épistolaire du chef de l'Etat, mais d'une enveloppe budgétaire conséquente. Ramener la relance du secteur à l'aune d'une lettre présidentielle, cela est désespérant. «Sans la liberté de blâmer, il n'est point d'éloge flatteur». Beaumarchais. Depuis l'antiquité, le déplacement a été le propre de l'homme, toujours en quête de meilleures conditions de vie, il a constamment été à la recherche de points d'eau, de nouveaux pâturages, de climats plus doux, de terres fertiles. Puis apparurent d'autres motifs de déplacement, des voyages furent entrepris pour visiter des sites sacrés, assister à des jeux (spartiates, olympiques d'Athènes), découvrir de nouveaux horizons, étudier, se cultiver. Ainsi un embryon du tourisme pris forme. En 225 avant Jésus-Christ, Philan de Byzance (qui devint Constantinople puis Istanbul) chroniqueur et historien décrivait et inventoriait les sept merveilles du monde (jardins de Babylone, phare d'Alexandrie, tour de Pise) il témoignait que des voyageurs avaient sillonné le monde et avaient été impressionnés par les richesses et la splendeur des civilisations passées ou en cours, à l'époque. Bien après, d'illustres voyageurs s'aventurèrent à travers les océans. Ibn Batouta, Magellan, Christophe Colomb, Marco Polo. Avec le temps, la pratique des voyages devenait un critère de distinction sociale, que seules des personnes aisées pouvaient se permettre (les déplacements étaient longs et onéreux). A la Renaissance, les déplacements étaient motivés par des activités culturelles et scientifiques des grandes villes européennes. Au début du XIXe siècle la révolution industrielle a généré l'apparition du chemin de fer et de la machine à vapeur. Les déplacements étaient devenus plus confortables et plus rapides. C'est ainsi que les Anglais en 1811, inventèrent le mot «tourist» pour désigner celui qui effectuait le «grand tour» en traversant la manche pour aller visiter la patrie de Jeanne d'Arc. En 1841, l'Angfais Thomas Cook réalise le premier voyage organisé, par train spécial, pour un congrès contre les méfaits de l'alcool. Ce fut un succès qui l'incita à créer la première agence de voyages au monde en 1851, le Voucher (bon d'échange à remettre aux hôteliers) en 1863, la première croisière en 1866 et le tour du monde en 1871. De nos jours, le label Thomas Cook possède plus de 3000 agences réparties à travers les cinq continents. Ensuite, vers 1920, furent crées les tourings club d'Allemagne et de France. En parallèle, une hôtellerie de luxe voyait le jour grâce à Charles Ritz, qui lui donna une impulsion sans précédent, en ouvrant le Grand Hôtel de Rome en 1893, le Ritz de Paris en 1898, le Carlton de Londres en 1899. En 1936, après de longues luttes sociales des travailleurs, la loi Léo Lagrange (secrétaire d'Etat) accordait en France, 15 jours de congés payés. C'était le début de la démocratisation des voyages en Europe et les rivages de la Méditerranée étaient pleins d'estivants qui profitaient de leurs vacances en famille. La modification profonde du caractère élitiste du tourisme s'est traduite par le droit aux vacances aux masses laborieuses. L'amélioration du niveau de vie, la hausse des revenus ont provoqué une croissance et une diversification de l'offre touristique, et une élasticité constante et grandissante de la demande. En 1949, le 1er voyagiste français Fram (fer, route, air, mer) naissait grâce à une bande de copains. Il organisa son premier voyage international la même année par route, de Toulouse à Fatima, site religieux au Portugal. Son P-DG et membre fondateur recevait une cinglante réplique en 1980 de la part d'une personnalité algérienne: «Gardez vos touristes et vos devises, l'Algérie est assez riche pour recevoir des leçons de tourisme de votre part !» Après le débarquement à Sidi Fredj le 5 juillet 1830, des troupes coloniales françaises qui, au fil du temps, ont découvert une immense contrée aux paysages diversifiés et magnifiques, les autorités coloniales ont mis en place un certain nombre d'infrastructures et de structures avec toutes les commodités pratiques nécessaires à la prise en charge et au confort d'une certaine aristocratie française et britannique (celle-ci séjournait surtout à Biskra pour la beauté de son site, ses sources thermales et ses cures d'ensablement). Nous citerons: - le comité d'hivernage de l'Algérie en 1897 qui organisait des caravanes à itinéraires combinés à tarifs forfaitaires. - le syndicat d'initiative du tourisme en 1914 avec 2 bureaux à Constantine et à Oran. - la fédération du tourisme en 1919 - le crédit hôtelier en 1929 - l'Ofalat (Office algérien d'action économique et touristique) en 1931. Toutes ces structures avaient pour mission de gérer et de développer les investissements hôteliers, les commercialiser et assurer leur promotion. C'est ainsi qu'en 1898, le Saint Georges (El Djazaïr) a vu le jour et au cours de cette période ont été construits le grand hôtel Cirta Constantine, le grand hôtel d'Orient Annaba, l'hôtel Albert 1er Alger qui a vu en 1957 son veilleur de nuit algérien agressé et torturé par un lieutenant parachutiste français en état d'ébriété, qui a exigé d'être servi après la fermeture du bar. C'eut été un fait divers anodin qui n'aurait pas mérité d'être relaté, si l'agresseur n'avait pas pour nom Jean-Marie le Pen (3) ! Ensuite d'autres établissements : le Grand hôtel d'Oran, la chaîne des Transat, Constantine, Boussaâda, Ouargla, Ghardaïa, Béchar, l'hôtel Césarée à Cherchell qui a reçu le 1er charter (caravelle) en 1947, organisé par le 2e tour operator suisse hôtel-Plan Zurich. Les touristes helvétiques étaient venus pour le musée archéologique, les ruines romaines et la station mer et soleil de Tizirine. Au total, l'Algérie, à l'été 1962, a hérité de la France coloniale, de 5 922 lits qui se répartissaient ainsi : - Balnéaire (mer) 2 969 lits, urbain 2 377 lits, saharien (oasis et Saoura) 486 lits, climatique (Chréa, Blida et Séraïdi/Annaba) 90 lits. A ce patrimoine s'ajoutait l'ensemble des bars, brasseries, restaurants des grands centres urbains. Leur gestion et leur suivi ont été confiés à l'Onat (Office national algérien du tourisme), rattaché au ministère de la Jeunesse, des Sports et du Tourisme dirigé par un jeune de 25 ans. Ce département ministériel avait pour préoccupations essentielles : - le recensement des établissements et des biens à caractère touristique sur l'ensemble du territoire national, - la préservation du patrimoine touristique hérité, - les études relatives aux zones d'expansion touristiques susceptibles d'être aménagées (Moretti, Sidi Fredj, Zéralda, Tipasa, Oran/Andalouses, Tichy/Béjaïa, EI Kala...) et la mise en place de structures chargées du développement du secteur touristique. En complément à l'Ofalat maintenu, existent l'Onat, la Cogehor (Compagnie de gestion des hôtels et des restaurants) et l'ATA (Agence touristique algérienne) spécialisée dans le réceptif des touristes étrangers et de l'organisation de circuits touristiques dans le Sud algérien. Par la suite, la Sonatour (Société nationale de l'hôtellerie et du tourisme) a vu le jour début 1970 afin de gérer une soixantaine d'unités hôtelières appartenant à l'Etat (balnéaire, saharien, urbain). Le Touring Club de France en Algérie, créé en 1947, se transforma en octobre 1963 en association algérienne TCA, ce qui fait de lui le doyen en Algérie. D'emblée, on remarquait qu'il n'y avait pas de volonté politique car, après avoir construit des complexes balnéaires et des hôtels dans le Sud, les pouvoirs publics dégageaient une impression de nolens volens (3). Certains décideurs étaient même hostiles au tourisme. Alors, nous avons jugé utile de relater quelques faits vécus, et des péripéties anecdotiques qui illustrent quelque peu l'indigence de la perception de la problématique touristique en Algérie depuis 1976 (laxisme, impéritie, mentalité réfractaire à la notion de service et d'hygiène). Il est à préciser que ce genre de faits ne se sont jamais déroulés ni en Tunisie ni au Maroc. Et on ne peut pas imaginer qu'un jour cela puisse s'y produire. Car ces deux pays, maghrébins par excellence comme le nôtre, quand ils avaient décidé de se lancer dans l'industrie touristique dans les années soixante, ont pensé et dégagé une véritable politique touristique bien structurée à tous les niveaux sans aucun maillon faible, reposant sur une volonté politique réelle et fiable (aménagement de zones touristiques, budget colossal idoine, construction d'hôtels, formation du personnel, sensibilisation de la population et des collectivités locales, promotion touristique à l'étranger...). De leur côté, il n'y a pas eu d'atermoiements, ni de tâtonnements, ni de plans tirés sur la comète, ni de péroraisons oiseuses qui ont caractérisé le tourisme algérien au cours des trois décennies écoulées. Des compétences, des idées, des budgets, de la conviction, de la motivation ont constitué le socle et les leviers des immenses chantiers projetés, entamés et achevés, sous l'impulsion des pouvoirs publics de ces pays. Aujourd'hui, ils sont classés parmi les premières destinations en Afrique et dans le monde arabe. En outre, ils ont acquis une notoriété internationale indéniable. Une Agence de voyages française, Cosmovel, (aujourd'hui absorbée par une autre marque plus importante) mentionnait cela en 1974 dans l'éditorial de sa brochure dans laquelle figuraient 16 pages sur l'Algérie. A ce sujet, durant toute la décennie, notre pays n'a pas eu plus de 8 pages toutes agences et brochures confondues! «Un ministre éclairé et un architecte de génie ont permis à l'Algérie de se doter d'une infrastructure hôtelière bien adaptée aux régions d'accueil et à l'architecture magnifique. S'il fallait deux ans et de l'argent pour construire un hôtel, il faudrait vingt ans pour former un directeur. Alors nous vous demandons d'être indulgents car les services hôteliers ne sont pas toujours parfaits mais l'hospitalité des Algériens vous fera oublier les petits détails....» En 1969, le Club Méditerranée charmé par le site de Tipaza village (70 km à l'ouest d'Alger), loua le complexe touristique en entier et en fit un autre club à l'instar des autres qu'il avait ouvert au Maghreb, en Afrique, avec toute l'organisation et la philosophie des vacances qui sied à cette marque. Mal lui en prit, car il ignorait la mentalité de certains des nôtres. Notamment, un jeune officier éméché en civil voulait entrer dans le centre, les gardiens lui ont expliqué que ce n'était pas possible car il fallait réserver et payer en France pour y avoir accès. Ils lui ont conseillé le complexe touristique de Tipaza Matarès, situé pas loin et dont l'accès était libre à tout le monde. «Je suis chez moi et je rentre là où je veux, en les menaçant avec son arme.» L'affaire s'ébruita et parvint au Club Med Paris qui décida de ne plus continuer l'expérience et se retira dare-dare de Tipasa et de l'Algérie des sixties. C'était la goutte qui avait fait déborder le vase! En 1973, pour le Sommet des pays non-alignés, en plus des hôtels d'Alger toutes les structures hôtelières de Moretti, de Sidi Fredj et de Djamila (La Madrague) avaient été réquisitionnés bien que des touristes étrangers y séjournaient et refusaient de quitter les lieux (Suédois, Français, Allemands). Ils ont été forcés de déguerpir par les gendarmes, ils ont été délogés manu militari et emmenés au complexe de Tipaza. «La réquisitionnite» était née ! Elle fera beaucoup de mal au secteur touristique par la suite car à l'intérieur du pays, au sud ou sur la côte, on réquisitionnait sans se soucier des groupes de touristes étrangers qui ont réservé longtemps à l'avance. «Vous les emmenez ailleurs, notre séminaire, notre congrès, notre réunion sont plus importantes!» Parfois, Altour avant ou l'Onat après n'avaient aucune solution de rechange appropriée car la réquisition se faisait parfois 48 heures avant, si ce n'est la veille ! Tipasa, Cette belle ville côtière à l'histoire antique très riche réputée pour ses ruines et son musée archéologique et qui inspira Albert Camus pour la rédaction des Noces, souvent a été victime de la bêtise humaine. En 1974, le CET de Tipaza (ex-Club Med) recevait beaucoup de touristes européens, notamment ceux du plus grand tour operator britannique, Thomson Holidays, qui affrétait des charters pour acheminer de Londres ses clients en Algérie. Un beau jour, quelques Britihs eurent une désagréable surprise, une hideuse vue s'offrait à eux, des égouts se déversaient juste à côté de leurs bungalows à la Corne d'or ! Indignés, ils plièrent bagages et retournèrent chez eux. Les tabloïds londoniens en parlèrent. Ce qui eut des conséquences graves, quelques touristes anglais (qui ne lisent pas la presse peut-être) vinrent l'année suivante en 1975, puis depuis, jamais plus un seul englishman en voyage organisé n'a mis les pieds dans un complexe balnéaire algérien ! Depuis 1976 jusqu'à aujourd'hui, soit près de 30 années, seulement 2000 touristes britanniques environ, adeptes d'aventures via des agences de voyages sont venus pour visiter uniquement l'Extrême Sud algérien (Hoggar, Tassili...). ancien cadre dirigeant 1975-2000, Tourisme