Dans cet entretien, il dresse un constat sévère de la crise qui secoue depuis de nombreuses années le tourisme. L'Expression. Que répondez-vous aux commentaires qui disent: «Tant qu'il y aura du pétrole, jamais l'Etat ne s'intéressera au tourisme?» Saïd Boukhelifa; C'est une vision inepte et une erreur qui remontent à 3 décennies déjà, car les réserves actuelles, gisements d'hydrocarbures épuisables, portent sur une durée de 30 années qui sont l'équivalent temporel du retard accumulé et difficilement rattrapable par notre tourisme. Par ailleurs, à titre d'exemple, le pays de Diderot qui reçoit plus 75 millions de touristes par an, engrange des recettes colossales qui classent le secteur du tourisme dans la balance des paiements en seconde position après l'agroalimentaire et avant l'aérospatiale (Airbus) et l'armement. En France, ce n'était pas une priorité mais une nécessité incontournable. Par conséquent, il faudrait que l'Etat se décide aujourd'hui pour dégager, enfin, une véritable politique touristique bien pensée, bien structurée et bien projetée qui reposera surtout sur une intersectorialité fiable, convaincue et convaincante. Alors, on pourra espérer en 2020 atteindre le niveau de nos 2 voisins maghrébins. Pas avant, hélas! Peut-on parler de politique touristique dans un secteur qui a consommé plusieurs ministres en peu de temps? Le fait que ce secteur ait consommé plusieurs ministres n'est pas le véritable vecteur pour illustrer une politique touristique. Depuis 1976, il y en a eu une seule, à travers la charte nationale qui accordait la priorité au tourisme interne en faveur des nationaux au détriment du tourisme international générateur de rentrées en devises. Depuis 3 décennies il n'y a eu que des velléités, des tentatives puériles ponctuelles et sporadiques, sans lendemain. Sur le terrain cela est visible, les nationaux se plaignent de la médiocrité des services et les étrangers se sont raréfiés depuis 1976 et bien avant 1991, année du début de la décennie terrible. Le tourisme fait-il rentrer beaucoup d'argent dans les caisses de l'Etat. Sinon pourquoi? Très très peu en l'état actuel des choses, car il ne faut pas se leurrer, seul le tourisme d'affaires génère actuellement en amont des rentrées en devises assez appréciables mais qui malheureusement ressortent en grande partie, en aval. Je m'explique, les entreprises algériennes privées ou publiques sont importatrices dans leur majorité, les hommes d'affaires étrangers qui leur rendent visite dépensent des devises dans les palaces algériens. Ces frais sont prévus et inclus dans le montant des contrats de vente de fournitures signés. Cela fait partie de ce qu'on appelle les «comptes extérieurs du tourisme» . Par ailleurs, les recettes engendrées par les 10.000 touristes étrangers, en moyenne, reçus par an, en voyages organisés (Sud algérien ) ou dans le cadre du tourisme de mémoire (pieds-noirs), sont insignifiantes, elles ne couvrent même pas le montant des containers de bière importés annuellement. Boissons nécessaires au secteur touristique, quand même! Dans une conférence qu'il a donnée récemment à Alger, le ministre du Tourisme a affirmé vouloir faire du tourisme balnéaire le cheval de Troie de sa politique. Peut-on, à la lumière de ces propos, tenir ce pari et prétendre prendre le pas sur nos voisins tunisiens et marocains? J'ignore si c'est réellement sa pensée et sa volonté. Dans l'affirmative, il faut lui demander avec quoi? comment? et où? Depuis 1976, le tourisme balnéaire est souffreteux, c'est-à- dire en mauvaise santé. Les infrastructures hôtelières étatiques sont dans un état sénescent, à l'exception de 3000 lits qui peuvent être proposés aux étrangers face à une concurrence dense et de qualité (7 millions de lits environ pour l'Italie, l'Espagne, la Croatie, la Turquie, la France, la Grèce, la Tunisie et le Maroc) ; celles récentes construites par le privé sur la côte algérienne sont d'une architecture hideuse et sans conformité aux normes internationales. De Marset Ben M'hidi, Ghazaouet (Ouest algérien), en passant par Bordj El Kiffan (Alger) Jijel et à El Kala, aucun hôtel privé de 3 et 4 étoiles ne possède de piscine aux standards admis. Aucun ne sera retenu dans une brochure touristique des tour-operators étrangers pour des séjours balnéaires. Même le Grand Sud avec ses richesses uniques au monde, dont le Tassili du Hoggar et de Ajjer, n'a pas suscité l'attention requise... Effectivement, la relance de notre tourisme peut se faire au niveau de l'Extrême Sud (Hoggar, Tassili, Tanezrouft, erg Echech .....) par les circuits d'expéditions, en véhicules tout-terrain et trekking, et par le tourisme itinérant, en autobus, à travers la boucle des oasis et celle de la Saoura comme cela c'est déjà fait entre 1973 et 1990. Ensuite, le tourisme culturel (Tipaza, Djamila, Timgad, Hippone, Madaure, Taghaste). Mais ces deux produits sahariens et culturels ne peuvent toucher et drainer que de petits segments de clientèle (pas plus de 100.000 touristes/an en voyages organisés). Encore faudrait-il les inciter à venir par des campagnes promotionnelles bien pensées, soutenues et réalisées dans les principaux marchés émetteurs de tourisme en Europe (Allemagne 35 millions/an, Grande-Bretagne 18 millions/ an, France 14 millions/ an, Pays-Bas 6 millions/ an). Au niveau de ces pays, il y a environ 10% d'adeptes du tourisme d'aventure, d'expéditions, d'exotisme et 5% pour le tourisme culturel, soit au total 8 millions pour deux produits touristiques existant en Algérie. Si on arrive à cibler par des études marketing 10% de ces 8 millions potentiels et à les convaincre et les inciter à venir en Algérie, cela représenterait 800.000 touristes/an. Chiffre qui n'a pas encore été atteint ou dépassé en voyages organisés en 43 années cumulées depuis 1963. Le Sud algérien et les vestiges culturels ont drainé en moyenne 4000 touristes/ an. C'est la triste réalité. Plus de 20 projets et quelque 717 demandes d'investissement... n'est-ce pas là un signe de la reprise tant attendue de l'activité touristique? Cela ne reste que des projets et des demandes d'investissement. Pour pouvoir évoquer la reprise tant attendue de l'activité touristique, il faudrait que tout cela se concrétise sur le terrain selon les normes admises. Cela pourrait prendre 10 ans pour parachever le tout. En parallèle, il faudrait former le personnel, sensibiliser la population, inculquer une culture touristique aux collectivités locales (wilayas, daïras, mairies), initier et instruire les écoliers et les lycéens à une pédagogie touristique (histoire, géographie, arts ...). Le ministre a affirmé lors de sa dernière conférence de presse que à fin 2015, les capacités d'accueil atteindrait 200.000 lits environ (80.000 lits répertoriés en 2005), soit un apport de 120.000 lits sans aucune précision. Combien pour le balnéaire, le saharien, l'urbain, le climatique ? de quelle catégorie, 3,4,5 étoiles? Dans quelle forme architecturale et urbanistique? Si cela se faisait dans la même lignée des nouveaux hôtels privés (près de 15.000 lits) ouverts ces dernières années, on irait droit à un autre désastre de l'image de marque de la destination Algérie. Très peu correspondent aux normes internationales et beaucoup feront fuir les étrangers. On envisage de faire privatiser les hôtels de l'Etat, tant décriés, mais 90% des hôtels privés sont défaillants en toute impunité et participent grandement à la déliquescence générale. Par ailleurs, le ministre a évoqué que 20.000 lits (soit les capacités de 70 hôtels à 280 lits) seraient investis à Zéralda par un groupe saoudien, Sidar. Si c'est pour de l'immobilier (genre Capritour Tichy - Béjaïa) ce serait peut être réalisable. Encore faudrait-il « manhataniser » le rivage par des apparts-hôtels dans des tours de 15 à 20 étages comme cela a été réalisé dans la station espagnole de Benidorm (220.000 lits) dans les années 70. 20.000 lits sur quels terrains et sur quels espaces à Zéralda? Il faudrait piocher à l'ouest sur les terres de Tipaza et déblayer sur le territoire de Staoueli à l'est. Pour illustrer tout cela, 20.000 lits cela représente, 22 complexes similaires à celui de Tipaza-Village (ex-Club Med) pour l'heure, cela reste pour les avertis qu'une projection «orientale» reposant sur des «salamalecs...», «bousseboussades» et des «inchallah». Ces 20.000 lits ne pourraient être réalisés que sur la côte qui va de Cherchell à Mostaganem et celle de Béjaïa à Skikda en passant par Jijel. A Zéralda, soyons drastiques, ces 20.000 lits ne seront jamais réalisés (maximum 5000 lits).20.000 lits bouleverseront radicalement cette commune sur le plan sociologique, économique, culturel, écologique... Les chiffres officiels annoncent plus d'un million de touristes qui ont visité le pays l'année dernière... Plus d'un million de touristes reçus annoncés en 2004 et 2003. Ce ne sont que des entrées aux frontières prélevées sur les statistiques des PAF et qui incluent les bi-nationaux, les Tunisiens, les Chinois, les Orientaux....., ce sont des chiffres trompeurs et peu crédibles. Combien de touristes réels qui sont venus en voyage organisé par le biais des tour- operators étrangers, pas plus de 10.000 par an ! Le reste de ces pseudo-touristes ou ¾ de touristes, c'est-à-dire plus de 900.000, cela sert ailleurs dans d'autres pays à faire gonfler les statistiques. Quand notre belle Algérie millénaire recevrait dans l'avenir près de 2 millions de touristes qui auraient choisi notre pays sur des catalogues de voyages organisés, on pourrait rajouter le million des ¾ de touristes pour évoquer 3 millions de touristes. Mais en recevoir moins de 10.000 et évoquer 1200.000 touristes que personne n'a vus, ni rencontrés, c'est quelque part, vouloir se maintenir dans la profonde léthargie endémique que connaît ce secteur. Pour la énième fois, nous rappelons et nous précisons que depuis 1963 et jusqu'à 2005, l'Algérie n'a pas encore dépassé 1 million de touristes étrangers, en 43 années cumulées, reçus en voyages organisés par les tour-operators étrangers. C'est un indice très très important à ne pas occulter. L'Algérie a très peu reçu de touristes et elle en reçoit toujours très peu. C'est un atout pour nous, car certaines destinations voisines peuvent connaître la saturation. La Turquie et la Croatie, nouvelles destinations en vogue, en profitent. L'Algérie touristique délaissée attend toujours sa luminescence.