Omar Louzi est lauréat des HEC de Lausanne. Issu d'une famille révolutionnaire contre le colonialisme français, mais aussi contre Hassan II. Son père Haddou Louzi, était l'un des chefs de la révolution du 3 mars 1973. Omar Louzi est aussi, un des fondateurs du Congrès mondial amazigh à Tafira, aux îles Canaries. Il préside depuis 10 ans le Festival international des droits humains. Il est patron de plusieurs entreprises et enseigne le marketing dans plusieurs hautes écoles de management L'Expression: On dit que l'animateur, Nasser Zefzafi, est inconnu des bataillons de la contestation et manipulé de l'étranger. Eest-ce vrai? Quel est votre avis sur cette question? Omar Louzi: Nasser Zefzafi n'est pas un politique, c'est un leader né de la contestation qui a suivi l'assassinat de Mohsen Fikri, broyé dans une benne à ordures, il y a 7 mois à Al Hoceima dans le nord du pays... Zefzafi avait su galvaniser les foules et les faire persévérer dans le combat pour que justice soit faite. Durant sept mois, Zefzafi avait conduit des manifestations monstres pour la dignité dans sa ville Al Hoceima. Il n'a pas été écouté. Pis encore, il a été snobé par le Makhzen. Nasser Zefzafi a-t-il des tendances islamistes ou séparatistes? La révolte s'essoufflera-t-elle maintenant qu'il est sous les verrous? Nasser Zefzafi est un musulman, pas un islamiste. Il a utilisé dans ses discours des «Ayat» (versets coraniques) et des «Hadiths». C'est ce que le Makhzen avait utilisé pour dire qu'il est islamiste. Alors qu'il utilise aussi des citations de Marx, de Nelson Mandela et autres. L'utilisation des «hadiths» et du Coran dans les discours politiques est monnaie courante ici au Maroc, le roi Mohammed VI, lui-même, les utilise. Est-ce pour autant qu'on pourrait parler d'un roi islamiste? Quant à votre question sur la continuité du mouvement de contestation après Zefzafi, la réponse est oui, il continuera, car c'est un mouvement populaire qui émane du peuple du Rif. Zefzafi est toujours en taule, depuis six jours, et les manifestations sont toujours là, dirigées cette fois-ci par deux jeunes femmes dont l'une est mariée et mère de quatre enfants. Dans quelles conditions a éclaté cette révolte du Rif et que veulent les Rifains? Comme je l'avais signalé auparavant, c'était l'assassinat de Mohsen Fikri, le marchand de poisson, qui a allumé le feu... Mais le feu couvait déjà. Le Rif est une région sensible, qui a connu des événements historiques importants et le souvenir de la République du Rif est toujours vivace dans l'esprit des gens. Quelles sont les revendications des manifestants et que veulent-ils? Ils veulent vivre dans la dignité, ils revendiquent des droits socio-économiques et culturels. Ils veulent des hôpitaux, des universités, des routes, des usines pour travailler... La répression qui s'abat sur les Rifains, assassinats, arrestations, en votre qualité de militant des droits de l'homme quelle est votre réaction? C'est inadmissible, c'est une dérive autoritaire qui pourrait nous amener à la catastrophe. Il faut arrêter toutes les poursuites contre les militants rifains et relâcher tous les détenus politiques. Le mouvement rifain est-il pour vous un mouvement de contestation séparatiste ou un mouvement global qui veut éclabousser le roi? Le mouvement populaire dirigé par Zefzafi est actuellement un mouvement pour réclamer des droits socio-économiques et culturels amazighs pour le Rif. Mais avec la répression et la violence du Makhzen contre des manifestants pacifiques, le mouvement pourrait évoluer dans une autre direction. Et si le roi n'intervient pas pour régler ce problème, le Rif pourrait retrouver des velléités séparatistes... Les vents de la révolte rifaine qui se répandent à travers tout le Maroc ne risquent-ils pas d'en finir avec la monarchie chérifienne? La monarchie marocaine est millénaire, elle était d'abord amazighe avec les dynasties almoravides, almohades, les Mérinides et autres... la dynastie alaouite a presque quatre siècles. Donc, la royauté est ancrée dans la tête des gens. Mais, les nouvelles générations n'accordent pas beaucoup d'importance au régime politique en place. Ce qui les intéresse, c'est d'avoir leurs droits socio-économiques, culturels et politiques et si la monarchie ne les satisfait pas, elle sera mise en danger de disparition. Le discours officiel marocain indique que ces actions sont le fait «de mains étrangères»... Le mouvement populaire du Rif est un mouvement autochtone. Il est né de la volonté des citoyens du Rif qui veulent dire «halte à la hogra». Ils veulent un partage équitable des richesses de ce pays. Ils veulent vivre dans une démocratie où la liberté de parole est garantie. Quant aux accusations du Makhzen, les Marocains sont habitués à ce genre d'alibis complètement inventés pour discréditer le mouvement. Ces accusations sont collées à tous les Marocains qui demandent leurs droits. C'est une méthode makhzanienne pour légitimer le recours à la violence et aux arrestations arbitraires. Certains observateurs vous accusent de rouler pour les Européens et d'autres pour le régime algérien... Il n'y a rien de tout cela. Le Makhzen a tout essayé en inventant des scénarii pour impliquer et surtout discréditer les militants. Il a mis sur le coup tous ses sbires, mais la réalité est claire. Le mouvement du Rif n'est téléguidé par aucune puissance, ni algérienne, ni européenne, ni iranienne... Croyez-vous vraiment que les peuples du Maghreb ont une chance dans ces logiques séparatistes? Les peuples d'Afrique du Nord tiennent à l'unité de leur pays et même à l'union entre ces pays dans une Union d'Afrique du Nord. Mais hélas! les gouvernements ne suivent pas ou ne veulent pas suivre. Ils sèment le chaos partout dans ses pays pour continuer à régner. C'est lamentable, mais c'est comme ça. Les peuples et des régions pour se soustraire à leurs dictatures choisiront les extrêmes, donc des indépendances ou des autonomies. Est-ce une nouvelle conception du combat pour un Maghreb des peuples? Oui, car les dirigeants de ces peuples ont été laxistes, ils n'ont rien fait pour leur pays depuis l'indépendance. La misère matérielle et intellectuelle continue à faire des ravages. Alors, chacun essaye de sauver sa peau. Concrètement, quelles sont les perspectives de la révolte du Rif? Personne, ne pourra prédire l'avenir. Car la violence féroce avec laquelle ont été traités les manifestants a renforcé le sentiment d'exclusion et de hogra. C'est une brèche ouverte pour que les extrémistes puissent s'incruster dans ce mouvement et en faire un mouvement séparatiste, alors qu'il n'était au départ qu'un mouvement citoyen qui demande des droits socio-économiques et culturels, la démilitarisation du Rif et la libération des détenus politiques. Cette révolte fait tache d'huile. Elle touche de plus en plus de villes en dehors du Rif. Quelles sont aujourd'hui les villes touchées et celles qui crient également leur colère et leur solidarité? Effectivement, le mouvement s'étend vers d'autres villes. Car les mêmes causes produisent les mêmes effets. Une vingtaine de villes manifestent quotidiennement et la plupart sont réprimées par les forces de l'ordre. Le Makhzen a peur que la contestation s'installe dans d'autres régions. Alors, il fait tout pour empêcher cela. Mais, sans solutions radicales concernant les revendications populaires, personne ne pourra prédire l'ampleur de ces manifestations. Le feu couve partout au Maroc, il suffit d'une étincelle pour allumer le feu!