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"Je ne suis pas partisan de la création d'une Académie"
KAMEL BOUAMARA, ECRIVAIN EN TAMAZIGHT, À L'EXPRESSION
Publié dans L'Expression le 08 - 06 - 2017

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Kamel Bouamara est un écrivain d'expression amazighe. Professeur de langue et culture amazighes à l'université de Béjaïa, il vient de publier Issin, la deuxième édition du premier dictionnaire de langue amazighe (variante kabyle). Kamel Bouamara est aussi l'auteur de nombreux autres livres en tamazight dont un recueil de nouvelles Nekni d wiyid, Ilugan n tira n tmazight, Amawal n tesmukyest... C'est lui qui a traduit Jours de Kabylie de Mouloud Feraoun du français vers le tamazight. Il nous a accordé cet entretien à l'occasion de la sortie récente de son dictionnaire Issin, aux éditions L'Odyssée de Tizi Ouzou.
L'expression: La première chose qui frappe l'attention à la vue de votre livre (dictionnaire) c'est le sous-titre. Vous précisez qu'il s'agit d'un dictionnaire de kabyle. Vous ne parlez pas de tamazight. Peut-on donc conclure que vous êtes contre ceux qui plaident pour la réunification et la standardisation de la langue amazighe en prenant en considération toutes ses différentes variantes?
Kamel Bouamara: Je pense qu'à ce propos, il est temps de faire le départ entre les voeux de militants berbéristes et les projets ou les travaux qui sont proposés ou faits par des linguistes berbérisants. Le terme «tamazight», que l'on emploie ces dernières décennies en Algérie, doit être, du moins pour l'heure, entendu seulement comme un terme générique qui regroupe des usages certes locaux ou régionaux, mais tous réels cependant. On employait naguère encore le terme «berbère» (au lieu et place du vocable «tamazight»), et on dit bien «berbère de Kabylie, «berbère du Sous», «berbère du Sahara», etc. En ce qui concerne cette question de standardisation de «toutes» les variantes amazighes, il faut être le plus clair possible. Certains militants berbéristes parlent du «tamazight» à l'échelle de L'Afrique Du Nord (ADN). C'est peut-être légitime d'y penser, mais il faut être réaliste et raisonnable! Qui s'en occuperait dans ce cas de figure? Ce serait les Etats de l'ADN et dans cette hypothèse, un minimum de conditions sociopolitiques est requis. Il faudrait, entre autres, que les Etats de l'ADN se mettent d'accord sur: 1) une politique linguistique commune et 2) une institution spécialisée, d'ordre transnational. Et lorsqu'on connaît la nature des régimes politiques de ces Etats, on n'oserait même pas envisager ce genre d'hypothèses. L'autre option de la standardisation, possible et envisageable cette fois, est celle qui a été retenue ces dernières décennies par l'Algérie et le Maroc, principaux pays de l'ADN où la berbérophonie est relativement dense. Mais les «réalités» (socio)linguistiques dans ces deux pays se présentent sous des formes sensiblement différentes. Expliquons-nous. Il y a, d'un côté, l'aménagement du statut de cette langue et, de l'autre, l'aménagement de son corpus ou, mieux, sa normalisation-standardisation. Le premier volet a été abordé et traité presque de la même façon par les pouvoirs publics de ces deux pays, il est vrai à des dates différentes; ceci dit, ils ont tout de même fini par se «mettre d'accord» sur le statut juridique (constitutionnel) à accorder à cette langue, devenue depuis peu 2e «langue nationale et officielle» après l'arabe. Par contre, le second volet de la question est plus difficile à aborder, notamment en Algérie où la «réalité» linguistique de cette langue est plus complexe qu'elle ne l'est au Maroc. Pour rappel, il n'y a que trois grands dialectes (entendu au sens de «variétés linguistiques» d'une même langue) au Maroc. Et l'une des missions de l'Ircam est l'élaboration - sur la base de ces trois usages réels -d'une et seule norme, appelé «l'amazigh», que l'on enseigne depuis peu à l'école. L'avenir nous apprendra plus sur cette «norme» en matière d'adhésion des locuteurs marocains mais également de son rejet. En Algérie, la «réalité» de cette (même) langue est plus compliquée. D'un côté, la langue, par ailleurs beaucoup plus éclatée et dialectalisée, est inégalement connue et décrite; de l'autre, il n'y a pas encore d'institution spécialisée, digne de ce nom, qui prendrait sérieusement en charge cette question de standardisation. Mais cela ne signifie pas qu'il y a moins de production et de travail en Algérie sur cette langue, ni moins de pratiques en matière d'enseignement, ni moins de recherche en la matière.
Sept ans après la parution de Issin-I vous publiez Issin-II. S'agit-il d'un tome deux ou bien d'une édition revue, enrichie et augmentée?
Comme précisé sur la couverture, il ne s'agit pas d'un autre tirage de l'édition de 2010, mais d'une édition revue, corrigée et augmentée.
Il y a des différences d'une région à une autre concernant les mots employés pour désigner des choses. Et quand le mot est le même, il y a des différences dans la prononciation. Comment avez-vous travaillé pour régler ce problème en réalisant votre dictionnaire?
Les problèmes que vous soulevez sont traités par la linguistique et la lexicographie. La variation concerne toutes les langues du monde, elle n'est pas spécifique à taqbaylit ou à tamazight. Cette variation peut se situer au niveau phonético-phonologique ou lexical (forme et sens). Le premier type de variation que vous soulevez est traité dans les champs notionnels de la synonymie -homonymie-polysémie. Quant au second type de variation, je crois qu'en gros il est déjà réglé par les travaux de grammaire et de linguistique kabyle et par les manuels d'enseignement du tamazight à l'école. En outre, lorsque j'estime que c'est nécessaire, je donne la prononciation du terme (mot-entrée) entre crochets.
D'après-vous, qu'est-ce qui fait qu'il y ait peu d'efforts en matière de recherche dans le domaine amazigh en Algérie à tel enseigne qu'il a fallu attendre 2010 pour que vous publiez le premier dictionnaire au sens propre du terme, alors qu'avant, il n' y avait que des lexiques, amazigh-français-arabe?
Entendons-nous bien sur le sujet que nous traitons. Issin est le premier dictionnaire... unilingue. Avant, il y avait bien des lexiques de terminologies bi- ou trilingues, comme vous le dites, mais également des dictionnaires (de langue) bilingues. Les deux dictionnaires bilingues de Jean-Marie Dallet datent de 1982 et 1985; les dictionnaires de Kamal Nait Zerrad datent des années 1990. Mais cela s'explique, en partie, par le fait que le tamazight (toutes variantes confondues) n'a eu le droit de cité en Algérie qu'au début des années 1990. Et il va de soi que si les premiers départements amazighs n'ont pas été mis en place au début de la décennie 1990, il n'y aurait ni enseignants ni enseignants chercheurs aujourd'hui.
Vous êtes auteur de six livres édités en tamazight de différents genres. Vous êtes donc bien placé pour nous dire quel sort réservent les lecteurs aux ouvrages écrits en tamazight. Y a-t-il un lectorat consistant ou bien la situation est très négative comme le laissent entendre certains éditeurs qui ferment les portes aux auteurs en tamazight?
Je crois que ces éditeurs «qui ferment les portes aux auteurs de tamazight», sont tout simplement des amateurs dans ce secteur. Il y a lieu de faire des enquêtes auprès des «vrais» éditeurs et des libraires pour avoir des chiffres et des statistiques exacts des ventes, mais d'après les informations que j'ai en ma possession, le livre d'expression amazighe, en général, s'achète relativement bien. Par la suite, il faut faire la différence entre recueils de poésie, récits (romans, nouvelles), lexiques, dictionnaires, etc. De l'avis de certains libraires, les livres parascolaires, les lexiques et les dictionnaires, par exemple, sont bien demandés.
En matière de quantité, il y a eu certes profusion d'auteurs en tamazight ces dix dernières années, mais concernant la qualité, les choses sont loin d'être reluisantes, partagez-vous cet avis?
Je pense que ce que vous dites est aussi valable pour les autres langues corésentes en Algérie. Tous les livres publiés en français et en arabe ne sont pas de «bonne qualité». Ceci dit, je crois qu'il y a du vrai dans ce que vous dites. D'un côté, beaucoup éditent à compte d'auteur, sans passer par aucun éditeur; de l'autre, beaucoup d'éditeurs ne jugent pas utile, par exemple, de mettre en place des comités de lecture qui évalueraient et choisiraient les «bons» livres à publier.
Depuis que tamazight est devenue langue officielle, il y a plus d'une année, on ne constate pas vraiment un grand changement sur le terrain. A quoi est due, selon vous cette lenteur dans la concrétisation d'une telle mesure constitutionnelle?
C'est une question à poser aux pouvoirs publics. Cette question ne fait pas partie de leurs priorités, peut-être (?).
Comment concevez-vous la future Académie de langue amazighe, dont la création a été annoncée avec l'officialisation de tamazight? Quelles devraient être sa composante, ses missions et prérogatives et quels seraient les moyens à mettre à sa disposition?
Je ne suis pas vraiment un partisan de cette proposition. Il y a eu déjà d'autres institutions de l'Etat relatives à tamazight qui ont été mises en place et nous savons sur quelle base leur personnel a été recruté.


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