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«Vols» de nuit par train
ALGER - ANNABA
Publié dans L'Expression le 22 - 05 - 2005

Annaba est une ville relativement paisible. A première vue, celle qui répondait dans l'antiquité au nom de Hypône, berceau de l'évêque Saint Augustin, reflète l'image d'une cité où il fait bon vivre.
Elle inspire repos et confort à travers sa baie argentée par les rayons d'un soleil encore doux en ce début de saison estivale, sa corniche, ô combien sereine, encaissée au pied d'une multitude de monticules plus ou moins verdoyants, marquant les traits de l'horizon au dessous d'un azur bleu.
Seulement, la wilaya d'Annaba, située à l'extrême est de la côte algérienne, d'une superficie globale de 1 212 km² et où cohabite une population estimée à quelque 602.522 individus est-elle épargnée des maux de la délinquance de tous bords dont se plaignent la plupart, sinon la majorité des villes algériennes? Annaba est-elle étrangère à la notion du crime ? Assurément, la réponse à ces questions ne pourrait être que négative.
Preuve en est, cette wilaya a été «choisie» par le groupement national de la gendarmerie, comme troisième «escale» après Alger et Oran, dans le cadre de la lutte contre la criminalité et la délinquance en vue de lever le voile justement sur le degré de nuisance de ce genre de fléau qui sévit au détriment des paisibles citoyens. Une virée nocturne des éléments de la Gendarmerie nationale relevant du groupement d'Annaba a eu lieu en cette nuit de mercredi à jeudi dernier, dans des quartiers réputés «chauds» au coeur de cette ville. Laquelle tournée qui s'est traduite par l'irruption des gendarmes à l'intérieur de bars et de cabarets ainsi que par l'interpellation de plusieurs individus supposés agir en infraction. Une conférence de presse tenue dans la journée de mercredi au siège du groupement de la gendarmerie, situé au chef-lieu de la wilaya d'Annaba, a permis de savoir qu'au titre des activités inscrites pour le compte de l'année 2004, les éléments relevant de ce groupement ont eu à traiter pas moins de 1025 affaires délictuelles, criminelles ou ayant trait à diverses infractions. De plus amples informations concernant ces affaires, notamment le nombre de personnes interpellées dans la catégorie des crimes classés et dans celle des délits résolus, sont également fournies dans ce papier. Mais d'abord, il y a lieu de commencer par le commencement, c'est-à-dire à partir de notre embarquement ce mardi à 20 heures dans le train Alger-Annaba qui avait plus de 600 km à parcourir en un peu plus de 12 heures.
Hamza et les agressions dans les trains
Le départ d'Alger a eu lieu en compagnie d'une «poignée» de gendarmes chapeautés par le colonel Ayoub, chargé de communication dans ce corps constitué, M.Nacer Dib, spécialiste en matière de lutte contre les fléaux sociaux et président de la Fadea (Fondation algérienne des droits de l'enfant et de l'adolescent) agréée en 1995, ainsi que les représentants de plusieurs titres de la presse nationale.
Notre entrée dans le train à destination de l'est du pays constitue, bien sûr, une irruption inopinée pour le reste des passagers. Cette irruption a vite pris l'ampleur d'une descente quand, aux environs de 21h30 les gendarmes procédèrent à une «séance» de fouille et de contrôle des voyageurs. De jeunes gens ne dépassant pas la vingtaine étaient essentiellement, ciblés par ce contrôle. Ils ont été, en outre, soumis à un véritable interrogatoire et les questions que formulaient les gendarmes portaient notamment sur leur état civil, leurs activités, ainsi que le motif de leur voyage, la nuit. Quelques instants auparavant, notre attention avait été attirée par le jeune Hamza, âgé de 17 ans, qui s'était introduit «illégalement» dans le train. Malheur lui en prit, il tomba nez à nez sur les gendarmes. Ces derniers le fouillent et trouvent sur lui un cran d'arrêt. Le cas de Hamza s'aggrave. Les gendarmes, quant à eux, pensent avec certitude qu'il était monté dans le train dans le but d'opérer des agressions en s'attaquant aux voyageurs. Hamza est vite isolé de ces derniers et mis sous la surveillance des gendarmes qui ont décidé de le présenter devant la justice avec pour chef d'inculpation le port d'arme prohibée. L'on nous explique que Hamza pourrait bien faire partie d'une bande de malfaiteurs spécialistes dans les agressions à l'intérieur des trains. Alors que le mis en cause réfute en bloc cette thèse, l'on ajoute à propos de ce genre de malfaiteurs que leur mode d'opération s'articule de la manière suivante : «Grosso modo, ces malfaiteurs montent en groupe dans le train. Ils se dispersent par la suite à l'intérieur des wagons. L'un d'eux commet une agression à l'aide d'une arme blanche et s'enfuit d'un wagon à un autre. Il passe et son arme blanche et le butin de l'agressé à l'un de ses complices... Au cas où il est reconnu et identifié, l'on trouvera sur lui que dalle», nous dira à cet effet M. Dib Nacer.
Pendant la fouille, les gendarmes ont aussi interpellé le nommé Abdelhak, 22 ans, en possession d'une boîte de Diazépam (psychotrope) ainsi que celui supposé être son complice, un sexagénaire répondant aux initiales de A. M. Ce dernier portait sur lui une ordonnance pouvant lui permettre de se faire servir du Diazépam par n'importe quelle pharmacie. Ce procédé ne semble pas échapper aux gendarmes. Il s'agit là d'un cas de complicité lucrative entre Abdelhak et A. M. et ce, même si Abdelhak prétend garder sur lui «le médicament du malade au cas où ce dernier ferait l'objet d'une agression à l'intérieur du train», a-t-il dit. Aux yeux des gendarmes, cette version ne tient point la route, d'autant plus que Abdelhak était plutôt bizarre dans son comportement. En effet, il avait lui-même ingurgité un de ces Diazépam. Abdelhak est un jeune de 22 ans, originaire de Sidi Moussa (Alger) et, selon lui, sa famille a été rasée par le terrorisme notamment ses parents qui «ont été assassinés durant les années de braise», s'écria-t-il, les yeux remplis de larmes d'où émanait une lueur mélancolique qui témoignait d'une douleur intense, encore vivace certainement aux tréfonds de son âme. Cependant, pour les gendarmes et face à de pareils cas, il n'y a point de place pour les sentiments mais plutôt à l'établissement de rapports et à la présentation de tous ces mis en cause devant le tribunal pour fin de jugement. Le train Alger-Annaba constitue aussi une nuitée dans une auberge pour beaucoup de ces SDF rôdant dans la capitale. Ils ne s'acquittent pas des frais du voyage et sur cette question, ils «s'en foutent» éperdument. Ils font ce trajet rien que pour satisfaire leur désir de fuir l'environnement dans lequel ils évoluent. Pourquoi? La réponse à cette question est à méditer...
Le voyage a duré toute la nuit et notre arrivée à Annaba a été aux alentours de 9h30 du matin du mercredi 18 mai 2005. Des officiers hauts gradés de la Gendarmerie nationale étaient là pour nous accueillir et nous conduire à l'hôtel Rym El-Djamil, un des fleurons du tourisme dans cette wilaya balnéaire et où nous devions séjourner. Faut-il souligner qu'Annaba est une contrée à vocation économique, touristique, agricole et industrielle. L'industrie à Annaba se distingue essentiellement par l'implantation de sociétés de conserve de produits alimentaires ainsi que par le fameux complexe métallurgique d'El-Hadjar connu aujourd'hui sous le nom d'Ispat et employant plus de 9800 travailleurs. Ce détail ainsi communiqué, rendez-vous est donné avec les gendarmes pour un point de presse l'après-midi en leur siège sur l'état des lieux de la délinquance et de la criminalité recensées dans la wilaya d'Annaba. Comme nous l'avons déjà dit plus haut, ce sont 1 025 affaires criminelles et délictuelles confondues, qui ont été traitées judiciairement au courant de l'année écoulée au niveau du commandement de la gendarmerie d'Annaba. Comparativement à l'année 2003, l'on fera remarquer qu'il y a eu «une légère baisse de la criminalité à Annaba», a souligné le lieutenant-Colonel Yahia Krouchi, chef du commandement de la gendarmerie dans cette wilaya, qui précise que le nombre de dossiers traités en 2003 s'élève à 1163. En 2004, indique l'intervenant, les 1025 affaires résolues se répartissent en plusieurs catégories. Ainsi, et s'agissant des crimes et délits contre les personnes, il y en a eu 512 qui se sont soldées par l'arrestation de 644 personnes dont 29 femmes. La majorité de ces crimes commis relève des agressions commises sur l'intégrité physique des personnes (coups et blessures volontaires) au nombre de 269. L'on indique au sujet des agressions que ce sont beaucoup plus les couples d'amoureux fréquentant les plages ou les jardins publics à des heures tardives de la nuit, qui sont essentiellement ciblés. Dans la catégorie des crimes et délits contre les biens, le nombre d'affaires résolues s'élève à 332 et celui des personnes arrêtées est de 548 individus. Le commandant de la gendarmerie d'Annaba a eu à traiter en 2004, 18 affaires relevant du délit de moeurs dans lesquelles étaient impliquées 32 personnes dont 9 femmes. Parmi ces affaires résolues, soulignons celle ayant trait à l'institution d'une maison close ou bien celle relative au détournement de mineur. Le même commandant a eu à procéder également, durant l'année dernière, au démantèlement d'une quinzaine de réseaux de malfaiteurs dont certains disposaient d'appareils informatiques de haut niveau, utilisés dans le trafic de véhicules. Et pour d'autres, il s'agit de véritables criminels qui s'attaquaient de jour comme de nuit à la population, notamment lors des mariages afin de subtiliser davantage de téléphones portables beaucoup de bijoux et d'argent, via le recours entre autres, à l'usage de gaz lacrymogène et à celui des armes blanches. La mise hors d'état de nuire des 15 réseaux sus-cités, ayant à leur actif une totalité de 24 crimes et délits, n'a pas été sans l'arrestation d'environ une centaine de bandits. Le trafic de drogue à Annaba est également au centre des préoccupations du commandant de la gendarmerie de cette wilaya de l'est du pays. Le nombre effarant de 65 affaires traitées en 2004, ayant permis l'arrestation de 102 trafiquants, en témoigne à plus d'un titre. Au cours de cette même année, plus de 135 kg de kif traité (cannabis) et une quantité de 800 plaquettes de psychotropes de marque Rivotril ont fait l'objet de saisies opérées par les gendarmes. Autres affaires délictuelles recensées à Annaba, il s'agit du détournement de deniers publics et de falsification de documents administratifs. En ce sens, l'ex-P/APC de la commune de Sidi Ammar, son adjoint ainsi que cinq employés au sein de différentes structures administratives, impliqués dans ce genre d'affaires relevant du faux et d'usage de faux, ont tous été mis sous les verrous. Le liquidateur de la société Enapal est aussi au centre d'une enquête menée par les gendarmes relevant du groupement d'Annaba, indique-t-on lors de la conférence de presse tenue mercredi dernier. Il semblerait que ce liquidateur ait «commis de graves dépassements» ajoute-t-on encore sans préciser avec exactitude la nature de ces infractions. Le détournement du foncier fait ravage également à Annaba. Sur ce point précis, l'enquête est en cours au sujet d'une dizaine d'exploitations agricoles collectives et individuelles (EAC et EAI) et de la distribution jugée illicite de sept terrains de construction au bénéfice de deux investisseurs, l'un au chef-lieu de la wilaya d'Annaba et l'autre dans la commune d'El Bonni.
Le trafic de véhicules à Annaba n'est pas lui aussi laissé en marge des activités de la Gendarmerie.
Une dizaine d'affaires de ce genre ont été traitées en 2004, et le dernier véhicule saisi est une Mercedes réquisitionnée, mercredi dernier au cours d'une virée nocturne des gendarmes en compagnie des journalistes.
Virée nocturne à la traque des criminels
La première halte de cette tournée a été celle qui nous a conduit au lieu dit «Toche» dans la commune de Aïn El Achir. Ici, pas moins de six cabarets et deux bars sont situés les uns à proximité des autres. Les décibels de la musique raï résonnent de partout avec un rythme assourdissant dans ce lieu qualifié de «lieu de réjouissances».
Quand les gendarmes font irruption dans ces bars et cabarets, la musique s'arrête.
Des femmes employées, habillées d'une manière peu orthodoxe et maquillées telle qu'on dirait qu'ici, le célèbre Picasso est ressuscité pour les repeindre, étaient au summum de leur curiosité au sujet de cette «intrusion» inopinée. Les gendarmes passent au peigne fin ces endroits à l'aide d'un chien renifleur de drogue et procèdent à la fouille notamment celle les clients. Beaucoup de personnes ont été interpellées, l'une d'entre elles était venue en possession d'un sabre, indique-t-on, assouvir sa vengeance pour une histoire d'agression. Tabacoq a été pour nous la halte suivante et c'est là que la Mercedes évoquée plus haut a été saisie. Cet endroit a été visé par les gendarmes pour vente illégale de boissons alcoolisées. Le vendeur, propriétaire du véhicule réquisitionné a été arrêté ainsi qu'un bon nombre de personnes. La dernière escale de notre tournée de la nuit de mercredi jeudi a eu lieu dans la commune de Sidi Ammar que d'aucuns affirment qu'elle est la plus surpeuplée dans toute la wilaya d'Annaba. L'une des conséquences immédiates de cette surpopulation n'est autre que l'évolution du nombre des crimes et délits perpétrés.
Une visite à l'intérieur de l'unité de gendarmerie implantée dans cette commune a permis de savoir que la moyenne d'intervention des gendarmes au quotidien est de six par jour. A Sidi Ammar, une trentaine d'armes blanches de tout genre sont récupérées mensuellement par les éléments de la gendarmerie.


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