Coup de masse pour les partisans du «oui» avec à la clé une crise politique en France et, en filigrane, un coup d'arrêt à la construction de l'Europe. C'est une véritable déroute qu'ont infligée les Français aux tenants du traité constitutionnel européen, partisans du «oui», et, plus largement, à la politique du président français Jacques Chirac sanctionné, à l'évidence, pour sa politique sociale jugée négative. De fait, l'ampleur du « non » -qui a atteint 55,96% contre seulement 44,04% au «oui»- ne s'explique pas autrement que comme d'abord un vote sanction contre le gouvernement Chirac, ensuite contre un traité constitutionnel européen jugé trop libéral, -en cette période de marasme social de la classe moyenne française-. Aussi, en rejetant massivement le traité européen, les Français ont plus agi et réagi en «Français», soucieux de leur confort hexagonal, qu'en futur «Européens» appelés à dépasser le concept étroit de nationalisme et de communautarisme à la française. Sobrement, le ministre français de l'Intérieur, Dominique de Villepin, a indiqué que «les Français ont décidé de ne pas ratifier le traité constitutionnel européen», en annonçant dimanche les résultats partiels de la consultation référendaire du même jour, ajoutant que «les résultats du référendum marquent une nette victoire du non». M.de Villepin a par ailleurs précisé que 90% des votes ont été dépouillés. Ainsi, l'écart de douze points entre le «non», qui culmine à 56%, face au «oui» au plancher avec 44% des voix, plus qu'une défaite des partisans du «oui», constitue en fait un véritable séisme pour la France officielle induit par l'engagement personnel du président Chirac qui a mis tout son poids et le prestige de la fonction présidentielle dans la balance pour tenter de convaincre les Français à faire le bon choix. La victoire du non au référendum constitutionnel européen est ainsi d'abord une défaite personnelle pour le président Jacques Chirac, même si celui-ci a pris la précaution d'insister, au long de la campagne référendaire, que son avenir politique ne saurait être lié au référendum. Certes ! Mais gageant que M.Chirac, qui a «pris acte», dimanche, de la «décision souveraine» de rejet, par le peuple français, du traité européen prendra en compte l'ampleur d'un non qui prend les dimensions d'un désastre qu'exprime parfaitement le chef de la diplomatie française, Michel Barnier, qui a souligné que «c'est une épreuve pour la France et une vraie déception». Déception, certainement, mais le terme est encore faible face à une bourrasque qui remet en cause l'architecture même du paysage politique français, emportant dans son sillage, outre M. Chirac, qui est touché de plein fouet par le refus français, mais aussi l'ensemble des partis, de droite et de gauche, notamment le Parti socialiste et les Verts, qui ont soutenu le traité constitutionnel européen. Il ne fait pas de doute aussi que des remises en cause seront faites par les états-majors des partis politiques français renvoyés à leurs chères études par l'électorat. De fait, tirant les premiers enseignements de cette consultation référendaire, le patron de l'UMP (majorité présidentielle), Nicolas Sarkozy, rival potentiel de M. Chirac dans la perspective de la présidentielle de 2007, assurait que les «Français nous appellent à des remises en cause profondes, rapides et vigoureuses». D'aucuns se demandent par ailleurs quelle place sera désormais celle de la France dans l'échiquier européen, d'autant que c'est le premier pays de l'Union européenne qui a rejeté le traité constitutionnel européen, déjà ratifié par l'Allemagne et l'Italie, membres fondateurs, au même titre que la France, de l'UE, et sept autres pays dont l'Espagne laquelle a approuvé le traité par 72% de voix. M.Chirac, dans sa première intervention après les résultats du vote, a toutefois affirmé qu'au prochain Conseil européen à Bruxelles, le 16 et 17 juin, «je défendrai les positions de notre pays en tenant compte des messages des Françaises et des Français». Ce ne sera pas facile pour le président français qui devra jouer à l'équilibriste face à ses pairs européens qui ont mis beaucoup d'espoir dans le vote de la France, pays «clé» de l'Union européenne. Palliant au plus pressé, les dirigeants de cette dernière s'ingénient à calmer le jeu. Ainsi, le président en exercice de l'UE, le Premier ministre luxembourgeois Jean-Claude Juncker, tout en affirmant que «le traité n'est pas mort» a souligné que «la ratification de la Constitution européenne doit se poursuivre», mot d'ordre repris un peu partout hier parmi les 25. Toutefois, pédagogique, M.Juncker concède «nous avons omis de faire la bonne pédagogie nécessaire à l'Europe» soulignant «nous avons perdu la faculté de rendre les Européens fiers d'eux-mêmes, fiers de ce que nous avons accompli et qui impressionne ceux qui nous regardent de loin»