Des maisons qu'on détruit, une révolution qui arrive et une maman qui va peut-être bientôt mourir, le tout devant le regard mélancolique d'un cinéaste qui scrute sa ville, qui part à la dérive tout en tentant de panser ses blessures après le départ de sa bien-aimée tout en poursuivant sa quête de la beauté...tel est le résumé du sublime film «Les derniers jours d'une ville». Est-ce les derniers jours du festival d'Oran? Tout porte à le croire avec ces signes qui sont loin d'être trompeurs. On achève bien les chevaux et, ce festival qui a connu ces dernières années beaucoup plus de bas que de hauts vient de connaître un nouveau coup de grâce par cet énième problème technique des plus graves, survenu dans la journée de vendredi. En gros, deux salles de cinéma sont inopérantes depuis. La salle Esaada et la cinémathèque dont le DCP de l'Onci qui s'est arrêté de fonctionner. Résultat des courses: tous les films seront projetés dorénavant à la salle le Maghreb avec des horaires décalés et une déprogrammation qui, bien évidemment, n'a nulle trace sur le site Web du festival, quant au programme en papier on peut toujours l'attendre! Si les films présentés sont bons dans l'ensemble, ce sont ces failles d'organisation qui entachent durement le bon déroulement de cet événement et font que les invités se plaignent et ne soient pas contents. Le dernier en date est le réalisateur égyptien Tamer El Saïd, un jeune réalisateur dont «Les derniers jours d'une ville», un génial long métrage d'une finesse poétique inouïe n'a pu être présenté au festival! Voilà que les organisateurs ne lui ont pas envoyé le billet d'avion, alors qu'il est en compétition sans même lui dire aussi la date de diffusion de son film. Sur les réseaux sociaux le réalisateur se demande pourquoi il n'a pas été invité tout en s'excusant auprès du public algérien qu'il aurait aimé rencontrer. De quoi parle son film?Nous sommes en 2009 au Caire. Khalid, passionné de cinéma, filme l'âme de sa ville et de ses habitants. Sa mère est hospitalisée. Avec sa caméra qu'il ne lâche pratiquement pas Khalid qui cherche aussi une nouvelle maison fait face à l'anéantissent de sa ville, sans doute de ses valeurs. Il y a comme un changement imminent dans l'air. Une sorte de mort programmée. Un état des lieux végétatif et trouble noyé dans la mélancolie et la forte résignation de Khalid qui, paradoxalement, prépare le lit à un bouleversement proche. Khalid, lui, semble être hors du temps, ballotté dans ce grand espace roi qu'est sa ville dont il ne sait plus s'il lui appartient encore ou pas. Aime-t-il encore Le Caire ou pas? Sans doute que oui viscéralement. Ce trouble dans lequel il est jeté est pourtant partagé par trois de ses amis cinéastes aussi, irakiens et un Libanais. Tous rêvent de paix et d'harmonie. En attendant, à l'aide de leurs caméras ils tentent d'enregistrer la moindre parcelle de vie qui bouillonne dans leur ville et débusquer la flamme de poésie qui s'y cache. Quand la ville s'embrase, dans les premiers moments de la révolution égyptienne, les images deviennent la raison d'être de Khalid, même si parfois il passe souvent à côté des manifesations sans y participer. Son combat à lui est de filmer. Les images du Caire, mais aussi celles de Beyrouth, de Baghdad et de Berlin, que lui envoient ses amis. Sa souffrance intérieure, sa peine provoquée par le départ de son amie qui le quitte pour partir ailleurs se conjugue avec la transformation progressive de cette ville et de ses gens où bientôt rien ne sera plus pareil qu'avant. Beauté et douleur se croisent et s'entrechoquent pour faire naître des fragments d'images en miroirs déformants de nous-mêmes, mais tellement vrais dans leur reflet, le silence de ses hommes, et le vide de ses maisons. Et pourtant, ça rit de toutes parts durant les manifestations. Quelque chose de surannée habite Khalid, ce garçon nonchalant et zen qui contraste avec la violence qui pointe son nez, mais qui s'installe doucement, mais sûrement. Quelqu'un l'a-t-il vu venir? Khalid marque ces temps d'arrêt pour respirer et voir naître les instants fugaces d'avenir où la lutte n'est pas seulement d'ordre politique ou social, mais aussi psychologique et individuelle. Il y a en effet la mère de Khalid qui lutte contre la maladie tandis que son fils tente de gagner son chagrin et repartir du bon pied. Mais rien n'est facile et surtout rien n'est acquis. Le réalisateur Tamer El Said filme sa ville comme rarement l'ont fait ses prédécesseurs. Avec un réalisme palpable. Son immersion dans la ville fait déambuler le spectateur avec lui en l'introduisant au sein de chaque plan, dans l'intimité de ses regards blessés, avec calme et sérénité. Là où l'émotion se ressent sans dire un mot quand le rythme prend le temps de la sensation. Les derniers jours de la ville vous soutirent des larmes de soulagement presque comme une peine qui s'échappe après l'avoir trop tue. Tel cet oiseau en cage qui se doit de voler de ses propres ailes même si cela fait mal à son maître de le laisser partir. Si le film paraît anodin au départ, un peu lassant par son trop-plein de silence pesant, son effet relaxant vous poursuit à la fin et agit sur vous comme un pansement non pas anesthésiant, mais apaisant...La profondeur abyssale de ses gros plans et visages continuera à vous habiter longuement et c'est cela la magie du cinéma...