Seize ans après l'invasion de l'Afghanistan pour punir les taliban d'avoir protégé les responsables des attentats du 11-Septembre, un homme au passé trouble essaye de vendre à Washington son plan pour mettre fin à la plus longue guerre des Etats-Unis. Depuis quelques semaines, Erik Prince, fondateur de Blackwater, une société de mercenaires qui a laissé de sinis-tres souvenirs en Irak, promène sa silhouette d'athlète et son visage de super-héros hollywoodien à Washington. Il propose essentiellement de privatiser la guerre qui déchire l'Afghanistan et voit les taliban reprendre du terrain aux forces gouvernementales, malgré le soutien de l'Otan - et surtout des Etats-Unis - en hommes, en armes et en milliards de dollars. Certains l'écoutent. Ni George W. Bush, ni Barack Obama n'ont trouvé une solution durable pour ce pays surnommé «le cimetière des empires» et Donald Trump cherche lui aussi une stratégie. Outre un vice-roi qui, à l'instar du rôle joué par le général Douglas MacArthur dans le Japon vaincu de l'après-guerre, n'aurait de comptes à rendre qu'au président des Etats-Unis, Erik Prince propose de remplacer les troupes américaines - à l'exception de forces spéciales - par 5 500 mercenaires chargés d'entraîner les soldats afghans et de se battre à leurs côtés. Une petite armée de l'air privée viendrait compléter le dispositif. 90 avions pour appuyer les troupes au sol. M. Prince estime la facture à 10 milliards de dollars par an, soit bien moins que les 45 milliards que la présence militaire américaine va coûter au contribuable en 2017. Ces dernières années, cet ancien officier des Navy Seals - forces spéciales de la marine américaine - a fait profil bas mais sans jamais renoncer aux affaires. Il a vendu Blackwater en 2010. Trois ans auparavant ses employés, chargés de protéger des diplomates américains, avaient tués 14 Irakiens non-armés sous une pluie de balles et en avaient blessé 17 autres. L'incident a jeté une lumière crue sur les pratiques critiquables de l'entreprise, l'une de celles qui a le plus profité de la guerre en Irak déclenchée par George W. Bush. Le plan d'Erik Prince, frère de la ministre de l'Education de Donald Trump, a été reçu favorablement par le controversé chef stratégiste du président, Steve Bannon, et par certains membres du Congrès. Mais au Pentagone, la réception a été glaciale. Dès son arrivée à la Maison-Blanche, Donald Trump a demandé que l'on passe la stratégie afghane en revue. Quelque 8 400 soldats américains y sont stationnés tout comme 5 000 soldats de l'Otan pour aider une armée afghane qui souffre de pertes jugées «insupportables» face à des taliban qui contrôlent de plus en plus de territoire. La décision du président sur la marche à suivre se fait attendre mais il a promis jeudi qu'elle viendrait «très bientôt». «Nous sommes très proches. C'est une décision très importante pour moi, j'ai hérité d'une véritable pagaille», a accusé M. Trump. Son ministre de la Défense Jim Mattis penche pour envoyer 4 000 soldats supplémentaires. Erik Prince a confié à CNN qu'il n'avait pas rencontré le président et avoué que ni M. Mattis, un ancien général des Marines, ni le conseiller à la sécurité nationale H.R. McMaster, général d'active de l'armée de terre, n'étaient séduits par son plan. Il a mis cela sur le compte d'un certain traditionalisme chez les généraux. Ce ne sont pas les seuls sceptiques. «C'est un truc qui sort d'un mauvais roman de mercenaires», a lâché Lindsay Graham, un influent sénateur républicain, dans le Washington Post. Et d'ajouter, cinglant: «Je fais confiance aux généraux, pas à des sous-traitants pour prendre les décisions qui impliquent notre sécurité nationale». Sean McFate, un ancien sous-traitant militaire en Afrique et auteur de «The Modern Mercenary», a jugé le plan «incroyablement dangereux et insensé», soulignant l'absence de tout mécanisme de contrôle. «Au bout du compte, vous n'en aurez que pour l'argent que vous payez», a-t-il déclaré. Stephen Biddle, professeur de sciences politiques à l'université George Washington, juge le plan «franchement mauvais». «Le président n'est pas très content des options qu'on lui propose et il a une tendance à aimer les choses neuves», a expliqué M. Biddle. «Mais toute idée neuve n'est pas forcément une bonne idée», a relevé le professeur.