L'amour du livre n'est pas partagé par tout le monde Première ressource qu'il faut savoir exploiter, la frange juvénile reste livrée à elle-même, passant pour une proie facile aux deux extrêmes qui la guettent sans pitié. La fête de l'Aïd El Kebir s'est achevée, hier. Une fête destinée aux enfants qui deviendront par la suite des jeunes. On les aura vu participer aux festivités, mais la tête ailleurs. Certains se sont montrés plus religieux que jamais, alors que d'autres n'attendaient que l'ouverture de l'extrême opposée pour aller noyer leur chagrin. Mais tous rêvent d'un monde, celui de la paix, de la fraternité et surtout lavé de toute cette hypocrisie. Dans un pays où les loisirs, les cafés littéraires et la liberté d'expression sont perçus comme un danger qu'il faut écarter à tout prix, le jeune Algérien quant à lui, tente d'occuper son temps comme il peut. Faire des allers-retours dans les rues, occuper des chaises dans les cafés, se regrouper dans des lieux publics comme la place Mekbel ou la place du 1er-Novembre 1954. Et pour certains jeunes, le stade est leur destination de premier choix pour passer un temps agréable en compagnie d'amis car le stade est un endroit parfait pour faire passer des messages aux autorités qui aménagent peu de places dans les quartiers. Ce qui met forcément en danger ces jeunes qui ne trouvent pas un lieu pour s'amuser. La mosquée, ce lieu censé être celui de la prière, passe désormais pour une école d'endoctrinement. Il est primordial de signaler que du côté des filles, c'est encore pire. C'est une société d'hommes; les jeunes garçons et les jeunes filles n'ont pas les mêmes chances. Les filles ne peuvent pas profiter pleinement de leur jeunesse et du côté des loisirs, l'activité phare des femmes c'est le shopping. Pour l'instant, la situation et l'avenir inquiétant des jeunes ne semblent pas alerter les autorités qui refusent à ce jour de créer des espaces de loisirs. Malgré l'augmentation du taux de chômage, l'addiction des jeunes lycéens et étudiants à la drogue et autres fléaux sociaux qui menacent en premier lieu la stabilité du pays, rien n'est encore fait. Les associations culturelles averties par l'arrivée du danger essayent de jouer leur rôle dans la société. Elles organisent des cafés littéraires et autres, pour propager la culture du livre et du savoir afin d'inciter les jeunes à s'investir davantage dans le développement de leurs compétences intellectuelles d'une part, et combattre les fléaux qui empoisonnent la nouvelle génération. L'idée de ces associations semble convaincre certains jeunes. plusieurs d'entre eux ont décidé de se séparer de leur vie virtuelle et assumer leur vraie vie, mais les autorités n'ont guère apprécié ce changement. Le livre a perdu sa valeur En fait, la génération qui demandait seulement de la nourriture, n'existe plus; aujourd'hui, la nouvelle population a pris son courage pour affronter et critiquer avec audace et volonté la censure. Les multiples interdictions de tenue, des cafés littéraires et le système des autorisations auquel l'univers de la littérature et le savoir est confronté nourrissent une colère incontrôlable et un combat sans fin contre les autorités. La nouvelle génération ne connaît pas la vraie valeur du livre! Ou bien, le livre a perdu sa valeur! C'est par ces deux simples phrases que beaucoup de monde dans notre société définit la situation actuelle de la littérature et rejette le malheureux sort du savoir sur les épaules des jeunes gens. Loin, très loin de ce climat, les passionnés de la littérature s'amusent à lire pour combler le vide et le manque des espaces de loisirs. «Ça m'arrive de lire, des fois, quelques titres juste pour tuer le temps, mais aussi par envie d'approfondir mes connaissances sur tel ou tel sujet profitant des nouveaux termes de mon dictionnaire afin d'améliorer mon vocabulaire. Le manque de loisirs ça m'a poussé à trouver d'autres moyens pour passer le temps sans le gaspiller», raconte Youva un jeune étudiant à l'université de Béjaïa. C'est là une preuve que la nouvelle génération n'est pas à l'origine de ce qui est en train de se passer dans la littérature, encore moins aux loisirs. «J'ai tendance à lire des histoires, mais je n'ai jamais lu un ouvrage ou autre, je veux bien lire encore plus et plonger dans le monde de la littérature et de la science, mais j'ai besoin que quelqu'un m'aide», avoue Louisa, une jeune étudiante en droit. A partir de ce témoignage on peut s'interroger sur la nécessité de créer des rencontres entre les écrivains et les citoyens. «J'ai lu plusieurs livres durant ces trois derniers mois et je ne regrette pas parce que je veux étudier la littérature face au vide culturel», affirme Thinhinane, étudiante en français. La réalité paradoxale du projet «Tamousi Libeary» L'association «Cap stratèges» semble avoir capté le message et les SOS de la jeunesse. Passer du temps sans le gaspiller est le but de l'initiative de cette association. Dans un endroit très visité et apprécié comme la place du 1er Novembre 1954, elle a inauguré une mini- bibliothèque au plus grand plaisir des amoureux du livre. Cette initiative va forcément transmettre la culture du savoir, mais aussi du partage parce que chaque individu est appelé à partager ses livres avec les autres. Mais Kamel, gérant d'une librairie depuis 2012, estime que «le marché du livre est en perte de vitesse. La vente des ouvrages a beaucoup baissé ces derniers temps. On a deux librairies familiales, la première a vu le jour en 1989 et la deuxième il y a 3 ans. A mon avis, les jeunes ne lisent pas beaucoup parce que la majorité de mes clients est constituée d'adultes, on ne vend pas souvent, mais on essaye de tenir le coup, généralement les ventes connaissent une dynamique au mois de septembre, octobre et novembre, sinon, les autres mois de l'année et notamment durant la période estivale, on peut dire que c'est mort». «Les raisons du désintérêt des jeunes est pour moi une chose qui me dépasse, serait-ce les parents qui n'incitent pas leurs enfants à lire? Ou est-ce les enseignants qui ne jouent pas leur rôle? Ou bien, en clair, est-ce les réseaux sociaux qui freinent la volonté des jeunes?», s'interroge Kamel gérant d'une librairie. L'amour du livre n'est pas partagé par tout le monde. Pour réussir à transmettre cette culture à tous les jeunes, il reste beaucoup de travail à faire surtout pour les associations qui activent dans ce domaine. «Les jeunes lisent rarement, et je peux le prouver. Nous possédons une bibliothèque assez riche au niveau de notre école. Lors de l'ouverture récente d'une salle de lecture au sein de l'école pour les personnes intéressées de lire et consulter notre large gamme d'ouvrages, il s'avère que personne n'est venu, ne serait-ce que pour visiter, c'est malheureux», raconte Youcef, propriétaire et gérant d'une école privée de langues. «La lecture c'est la dernière chose à laquelle les jeunes pensent», regrette Youcef.