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"Pyongyang force la porte du Club nucléaire"
HOCINE MEGHLAOUI, ANCIEN AMBASSADEUR, À L'EXPRESSION
Publié dans L'Expression le 04 - 09 - 2017

Les autorités nord-coréennes, à leur tête le président Kim Jong-Un, ont parlé d'une réussite totale
Auteur de l'ouvrage «Le défi nucléaire: l'atome dans les relations internationales», paru chez Casbah Editions, Hocine Maghlaoui, ancien ambassadeur, a abordé longuement la question des essais nucléaires nord-coréens dont il estime qu'ils ont suscité un climat de tensions, tel qu'une guerre nucléaire entre la Corée du Nord, d'une part, les Etats-Unis et leurs alliés sud-coréens et japonais, d'autre part, devient une menace de plus en plus probante. Son analyse, à la lumière des récents évènements et tout particulièrement du sixième essai effectué hier par Pyongyang qui parle d'une bombe H beaucoup plus puissante que les essais précédents, apparaît d'une brûlante actualité, à l'heure où toutes les grandes capitales ne cachent plus leur profonde inquiétude.
L'Expression: On savait la situation préoccupante, mais avec ce sixième essai, il semble qu'un pas décisif est franchi par la Corée du Nord dans sa longue marche vers l'arme nucléaire?
Hocine Meghlaoui: La crise coréenne plonge ses racines dans la guerre de Corée qui a divisé la péninsule en deux Etats antagonistes: la Corée du Nord (Pyongyang) qui a bénéficié de l'appui de la Chine et de l'Urss et la Corée du Sud (Séoul) qui a pour principal allié et soutien les Etats-Unis. Cette guerre a commencé en 1950 et a pris fin en 1953 par l'accord de cessez-le-feu de Panmunjom et non par un traité de paix. Les deux Corées sont donc toujours techniquement en état de guerre. Elles sont séparées par une zone démilitarisée le long du 38ème parallèle (un couloir long de 238 km et large de 4 km).
Cette zone est un des principaux points chauds du globe. Sa surveillance mobilise, entre autres, près de 30.000 Américains...
S'agissant des programmes nucléaire et balistique nord-coréens qui exaspèrent le président Trump, il convient de rappeler que ce sont les Etats-Unis qui furent les premiers à introduire des armes nucléaires en Corée du Sud dès 1957; ils ne les ont retirées qu'en 1992. Dans un climat de tension permanente, nourri par la Guerre froide et sous la menace d'une frappe nucléaire américaine, la Corée du Nord a développé une capacité nucléaire et balistique le 9 octobre 2006. Son cinquième essai, le 9 septembre 2016, a convaincu les plus sceptiques. Elle est créditée de deux à trois dizaines de bombes de première génération (identiques à celles larguées sur Hiroshima et Nagasaki).
La surenchère verbale des leaders coréen et américain implique-t-elle un dérapage imprévisible?
Jamais l'éventualité d'une guerre nucléaire n'a été évoquée autant de fois en si peu de temps, par une multitude de responsables mondiaux et avec autant de légèreté. Elle le fut parfois pendant la Guerre froide, mais pour être aussitôt dépassée par des solutions au niveau politique et diplomatique. Or, ce qui se passe actuellement entre les Etats-Unis et la Corée du Nord semble s'inscrire dans la durée. Par ailleurs, la diplomatie est impuissante lorsque le linge sale est lavé en public. Les leaders des deux pays concernés font effectivement assaut d'une rhétorique guerrière inquiétante. On sait que lorsqu'un Etat fabrique une arme, c'est pour l'utiliser.
Le président Trump est-il capable de déclencher une frappe nucléaire unilatérale?
Il est difficile de se prononcer sur les intentions de quelqu'un, surtout à ce niveau et compte tenu de l'imprévisibilité du personnage, mais on peut avancer quelques réflexions:
-s'agissant de la Corée du Nord, aucun des alliés de Washington dans la région, notamment Séoul et Tokyo, ne veut la guerre car elle serait ruineuse pour tout le monde. Imaginez les conséquences de frappes nord-coréennes contre la Corée du Sud et le Japon sur l'économie mondiale. A commencer par un crash boursier.
-Les Etats-Unis eux-mêmes ne seraient pas épargnés car les cibles américaines à portée de frappes nord-coréennes sont multiples. Washington a quadrillé le monde avec des bases militaires sans compter ses porte-avions, ses sous-marins et ses avions stratégiques qui font partie de la triade nucléaire. Ce déploiement aux quatre coins de la planète offre des cibles multiples pour les ennemis des Etats-Unis. Le président Trump est sur plusieurs fronts, plus ou moins chauds sous différents prétextes: Corée du Nord bien sûr, mais aussi Iran, Russie, Chine, Venezuela. On peut ajouter Cuba, l'Irak, la Syrie, l'Afghanistan... C'est trop, même pour une «hyperpuissance».
Et si tel est le cas, quelles pourraient être les conséquences?
Tout dépend de l'envergure des acteurs qui seraient engagés dans une éventuelle guerre et de la nature des armes qui seraient employées (armes nucléaires tactiques ou Icbm). Les Etats-Unis et la Russie possèdent plus de 90% des stocks d'armes nucléaires qui totalisent actuellement 15.500 unités (contre 80.000 au milieu des années 1980), dont 2000 environ sont en état d'alerte avancé, c'est-à-dire prêts à l'emploi en quelques minutes. On peut affirmer que si, par malheur, un conflit mondial impliquant ces deux pays éclatait, ce serait la fin de l'humanité. Nous sommes donc tous concernés par la question du désarmement et la communauté internationale doit exiger plus que jamais le démantèlement complet des arsenaux nucléaires pour cesser de vivre sous «l'épée de Damoclès nucléaire», selon l'expression du président John F. Kennedy. Pour ne pas être utilisée, une arme doit être détruite. Or, les Etats dotés d'armes nucléaires rejettent cette évidence et s'accrochent à leurs privilèges. Contre l'avis de la quasi-totalité de la communauté internationale, ils défendent la fable de l'arme nucléaire garante de la paix. Leur position n'est pas juste et n'est pas tenable, mais ils ont la force avec eux.
Dans ces conditions, une solution pacifique est-elle possible?
La paix est toujours possible, mais la guerre n'est jamais loin. Tous les efforts entrepris ces dernières décennies pour régler la crise coréenne sont restés vains, malgré quelques éclaircies fugaces consécutives aux négociations qui ont lieu notamment dans le Groupe des Six (les deux Corées, la Chine, les Etats-Unis, le Japon et la Russie), dont les travaux sont à l'arrêt depuis plusieurs années.
Les sanctions internationales (plusieurs résolutions du Conseil de sécurité) et unilatérales décrétées par les pays occidentaux et leurs alliés n'ont pas empêché la Corée du Nord de devenir une puissance nucléaire, balistique et même spatiale. La réunion de trois conditions semble nécessaire pour une solution pacifique de la crise coréenne: la reconnaissance diplomatique de ce pays, notamment par les Etats-Unis, l'octroi de garanties de sécurité sérieuses qui impliquent la négociation d'un traité de non-agression entre Pyongyang et Washington, la possibilité pour la Corée du Nord de poursuivre un programme nucléaire civil. Suivrait la levée de toutes les sanctions, Une telle solution pacifique ferait d'abord le bonheur des pays de la région qui, encore une fois, ne veulent pas la guerre.


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