Premier long métrage du cinéaste égyptien Mohammed Hammad, cette fiction témoigne de la vitalité du cinéma indépendant en Egypte, à saluer bien bas. Un film d'une rare beauté dans la façon qu'il a de dresser le portait d'une femme courage dans l'Egypte conservatrice d'aujourd'hui. Ceci est le long métrage fiction que la cinémathèque de Béjaïa a eu à abriter jeudi soir dans le cadre des 15es Rencontres cinématographiques de Béjaïa. Le synopsis: une jeune femme traditionnelle et conservatrice, Iman, a dû s'occuper de Noha, sa soeur cadette, à la mort de leurs parents. Lorsque cette dernière reçoit une proposition de mariage, Iman doit demander à leurs oncles de rencontrer le marié et sa famille, puisque la coutume des sociétés arabes requiert la présence d'un homme de l'entourage de la mariée pour conclure un mariage. Mais Iman fait fi des traditions. Au-delà de ce résumé bien schématique, le film rend compte du quotidien morne d'une femme marquée par des gestes redondants au sein du foyer et les allers/retours à travers les dédales de la ville, du boulot à la maison. Le film se dessine comme un cercle vicieux, espace-temps, qui tourne en rond autour de cette femme aux traits durs qui se trouve piégée par moult obstacles. Non pas l'enfermement que ce film semble vouloir présenter, plutôt l'entre d'eux dans lequel la jeune femme se trouve bloquée alors qu'elle se croit atteinte d'un cancer de l'utérus. Le film dresse des murs d'obstacles devant cette femme comme autant de plans superposés telles des fenêtres entrouvertes sur un avenir incertain. L'incertitude émaille ce film car si le réalisateur suggère des choses, il laisse souvent le mystère planer. D'abord, sur cette femme, peu loquace, mais tenace et téméraire, sa supposée relation à venir avec son cousin, jusqu'à ses doutes qui se mettent à la hanter autour de sa maladie. Il y a dans cette cage vaste qu'est le pays dans lequel elle vivote, une espèce de grisaille qui plombe l'atmosphère jusqu'à la couleur de ses habits. L'histoire est triste. La monotonie est bien donnée à voir et à ressentir. Le film est ponctué de quelques signes métaphoriques telle cette tortue qui se renverse sur sa carapace et voit le monde à l'envers sans pour autant pouvoir se relever, ce chat énigmatique qui passe dans cette très belle séquence à l'hôpital au milieu du couloir, en miaulant. Un décor aussi pathétique parfois qui rappelle le sentiment de désenchantement dans lequel est plongée la grande soeur. Il y a enfin, ce sang de la serviette hygiénique de la soeur qui doit se marier et qui sous-entend le rapport filial, mais aussi la nuit de noces pour l'une quand l'autre est frappée d'une ménopause précoce. Le cinéaste qui filme son personnage féminin souvent en gros plan parvient à capter la mélancolie qu'exalte son visage, celui de cette grande soeur qui prend tout sur ses épaules, stoïque sans jamais baisser les bras ou pleurer. Son visage fermé lui confère une force intérieure incroyable qui la hisse au rang d'une madone. Femme meurtrie dans sa chair, mais aussi éteinte émotionnellement est cette femme voilée à l'extérieur, cheveux toujours attachés à l'intérieur de la maison... Le réalisateur parvient pourtant paradoxalement à montrer la profonde solitude et douleur qu'éprouve cette femme partagée entre un extérieur social routinier mais laborieux et un intérieur tout aussi ennuyeux flanqué des travaux ménagers... Le réalisateur qui aime filmer de plus près cette femme aime aussi sa ville. Une architecture du chaos et du vide qu'il donne à voir à travers des plans presque chirurgicaux. La vacuité nourrit ce film par autant de scènes qui racontent au-delà des mots, le désespoir et le mal-être de cette femme esseulée. Un mal-être prêt de l'explosion. Né en Egypte, Mohammed Hammad le réalisateur prodige qui a signé ce film bien audacieux et singulier est diplômé en communication de l'université de Helwan. En 2006, il écrit et réalise le court métrage La Cinquième Livre, suivi de Central (2008), de Rouge clair (2010) et d'un court documentaire, Ghattas Abdo Fanous (2012). Mohammed Hammad est membre de l'Association égyptienne des Critiques de cinéma. Withered Green est son premier long métrage. Il a participé à de nom breux festivals en 2016 et a été primé au Festival international du film de Dubaï 2016. Il faut savoir qu'il est d'abord caméraman et travaille en premier lieu dans la pub pour pouvoir financer ses projets. Il est loin d'appartenir à la mouvance du cinéma commercial égyptien. Intéressant et complexe, ce film l'est par sa façon d'évoquer tout à tour le mariage et son pendant, la réalité sociologique et culturel liée aux sociétés musulmanes conservatrices et de bifurquer vers la maladie et l'idée de la mort, la non- fertilité et enfin le dégoût d'être jusqu'au désir de l'autodestruction. Film éminemment puissant, il est d'autant plus tourné par un homme qui a su très bien évoquer le rapport à l'intimité chez la femme par un aspect technique et esthétique tout à fait nouveau. Des cadres et des images complètement inédits dans le cinéma arabe. Un film que l'on pourrait bien qualifier de féministe. Chapeau bas!