Scène du film Des moutons et des hommes Le nouveau film documentaire de Karim Sayad a été projeté vendredi soir à la cinémathèque de Béjaïa en avant-première algérienne. Un film très touchant qui raconte la société algérienne avec ce qu'elle a de particulier, voire de singulier. Le rideau est tombé sur la énième édition de la manifestation cinématographique-phare de Béjaïa et de l'Algérie même, tant ce rendez-vous est devenu incontournable dans l'univers du 7e art algérien. La soirée débutera par la remise des prix dans le cadre des deux concours lancés par le Béjaïa Cinéma Laboratoire il y a deux ans. Aussi, Sur la route de Leila Beratto a remporté la bourse d'aide à la finition prix Mouny Berrah tandis que la bourse d'aide à l'écriture Les Ateliers sauvages-Hafid Tamzali est revenu à L'Algérie en Auvergne de Lina Soualem. La soirée de clôture a été poursuivie par la projection en avant-première algérienne du documentaire de Karim Sayad Des moutons et des hommes. Le film nous plonge dans le terrain vague attenant à la cité d'Urgence d'El Harrach qui connaît une ferveur inhabituelle en cette fin d'après-midi d'été. De grosses sommes d'argent liquide circulent entre les mains d'une centaine de personnes qui crient et s'interpellent bruyamment. Sur le côté, des béliers tenus en laisse par des jeunes hommes fiers, bêlent. Habib, la vingtaine, s'apprête à faire combattre le mouton destiné à être sacrifié par sa famille à l'occasion de la fête de l'Aïd El Adha qui approche. Habib a 16 ans et ne va plus à l'école. Il occupe son temps avec son mouton, son animal de compagnie presque. Il y a aussi Samir, vendeur de moutons qui parle de son métier. Le réalisateur le suit dans ses péripéties dans le bus vers Constantine avec tous les jeunes de son quartier La Carrière. Les scènes de combat que Karim Sayad montre à l'écran sont épiques. Malgré la cruauté qui semble se dégager de cette forme de sport, il y a une espèce de chorégraphie adoubée à la beauté du cadre qui lui confère une aura fantastique. Le sacrifice du mouton a-t-il un lien avec le sacrifice humain? Sommes-nous le mouton de quelqu'un d'autre dans la vie? Samir évoque à la fin du documentaire, à juste titre, les terribles années de guerre civile où beaucoup de sang a coulé. Le cinéaste montre aussi une scène de sacrifice de mouton sans montrer l'égorgement, mais juste quand on enchaîne les pieds du mouton. Au-delà de la thématique masculine, des hommes qui jouent à gagner des combats de lutte entre béliers, il y a en arrière-fond une autre lecture qui se dégage, à savoir la profonde tendresse qui se dessine dans les rapports de cet animal avec l'homme, son attachement à lui et son affection qu'il finit par lui porter quand l'humain peine à exprimer sans doute ses sentiments envers son semblable dans une société encore «traumatisée par la guerre civile» dixit Samir. Pour rappel, Karim Sayad vit en Suisse où il a suivi des études en relations internationales. En 2007, à l'âge de 23 ans, il reste 6 mois à Alger pour effectuer un stage au Pnud, jusque-là il connaissait son pays à travers ses séjours de vacances en famille. Il revient en 2010 travailler un an dans la même structure pour un programme d'appui au Parlement. Dès lors, il entre dans un nouveau cycle d'aller-retour entre la Suisse et l'Algérie qui se traduit notamment par des films: Avancez l'arrière (autoproduit, Sour El Ghozlane, 2012), Babor Casanova (Close up films, Algérie/Suisse 2015). Dans ce dernier film, l'amorce chez le réalisateur de presque un parallélisme dans le descriptif de la société à travers ses petites gens qu'on voit rarement à l'écran, qui vivent difficilement, mais malgré leurs mauvaises conditions de vie pourtant, ils s'adonnent aux loisirs et possèdent une passion qui les rend utiles. Des moutons et des hommes nous introduit ainsi au coeur de la capitale avec les quartiers chauds de Bab El Oued histoire de désacraliser ces endroits et montrer l'autre versant du décor, des hommes qui ne sont pas si violents, qu'on le croit malgré les préjugés. Des moutons et des hommes est surtout un film qui, en réalité parle d'amour, mais aussi d'une recherche éperdue de la vie et du partage quand beaucoup de choses viennent à manquer à des groupes de jeunes qui trouvent dans ces jeux de combat de moutons une certaine raison d'être et d'exister, pour vaincre leur solitude.