Quelques points de repère pour voir l'Aïd d'un Bab El-Oued «mahgor», oublié des hommes et de la wilaya. APC de Bab El-Oued. Cinq familles sont dans la rue depuis plusieurs jours devant le siège même de la commune. Sous des tentes de fortune, femmes et enfants, dont des bébés, ont subi le froid de 5 degrés et la pluie. Mais le pire pour eux, «ce sont le mépris et l'indifférence des autorités», comme le dit ce père de famille qui n'arrive plus à dormir. «Ils prétendent que nous sommes de faux sinistrés, qu'ils viennent faire leur enquête, nous n'avons plus où aller!», explose cette femme dont l'enfant a vomi du sang la nuit dernière. Evacués de force de l'APC, ballottés entre des décisions et des accusations d'opportunistes et de faux sinistrés, ces enfants de Bab El-Oued n'espèrent plus rien. «C'est ça l'Aïd ?», s'interrogent-ils. Selon leurs dires, un homme, qui est venu leur proposer de les aider, a été immédiatement embarqué par les policiers du 5e. «Ils empêchent même les gens de venir nous aider», commente avec des larmes aux yeux cette jeune femme. Conflits sociaux, fractures familiales, «faux sinistrés» diront les autorités, là n'est pas le propos. Des Algériens, hommes, femmes et enfants dorment dans la rue. Ceci est inacceptable, un point c'est tout. Rue Rachid-Kouache. L'entrée du bâtiment n°5 a été murée et ses habitants relogés dans des cités à Dar El-Beïda, Aïn Naâdja, etc. Ce n'est pas le cas de ce père de deux filles en bas âge, qui est hébergé par une famille habitant le bâtiment en face. «Je ne la connaissais pas avant, et pourtant elle s'est portée à notre secours et m'a offert un toit avec elle», raconte-t-il. Il nous montre sa feuille de route. Il devait être relogé, lui aussi, à Dar El-Beïda, mais sa mère et ses belles-soeurs en ont décidé autrement et l'ont tout simplement jeté dehors en le menaçant avec des couteaux. Sa femme et ses deux petites filles dont l'une de 5 mois partagent l'exigu appartement avec cette autre famille. «Les autorités nous ont dit qu'elles ne sont pas responsables des cas sociaux», nous rapporte la mère. Un peu plus loin, au numéro 9 de la même rue, cette famille conteste le choix des sites et des logements. «Comment pourrais-je vivre avec toute ma famille dans un petit F2 à Surcouf, aux environs de Aïn Taya», s'insurge le père de famille. Huit familles sont toujours installées, c'est trop dire, dans cet immeuble frappé de la croix rouge qui le destine à la démolition. «Mes enfants ne vont plus à l'école, mon fils ne peut pas aller à l'école, trop choqué, et ils ont fait passer les examens à ma fille au lycée Okba alors qu'elle ne pouvait même pas réviser...», dit la mère en nous montrant l'état de la maison où des balluchons et des cartons jonchent le sol un peu partout. «On attend...», lâche le père. Sur les murs du quartier, des appels pathétiques placardés par le ministère de l'Intérieur incitent le citoyen à aider pour que Bab El-Oued retrouve sa «beauté d'antan». Un jeune lance à ses amis de l'autre côté d'une rue boueuse, «pour l'Aïd, achetez-moi un sachet en plastique pour protéger mes chaussures». Local de l'association SOS Culture Bab El-Oued. Les mem-bres de six familles s'entassent dans ce réduit d'à peine une dizaine de mètres carrés. Issues de la bâtisse de la rue Omar-Berzouane, complètement rasée, ces familles n'ont pas été relogées. Après avoir squatté le CEM d'à-côté, puis avoir été jetées à la rue une première fois, elles regagnent leurs maisons qui menaçaient effondrement, ces familles ont été une seconde fois jetées à la rue après la démolition de leurs maisons. «Des autorités on n'attend plus rien si ce n'est qu'elles viennent ici pour nous buter»,, ironise l'un de nos interlocuteurs. «Des familles qui avaient bénéficié de logements en 1989 après le séisme ont, encore, eu droit à un autre logement, cette fois encore», indique cet autre homme qui ajoute: «L'Etat n'a pas élaboré sérieusement ses enquêtes et voyez le résultat!» Les membres de l'associations aident du mieux qu'ils peuvent, sans relâche, depuis le 10 novembre. Deux jeunes femmes, algériennes installées à Paris, de l'association humanitaire Solimed, sont venues, elles aussi, apporter soutien moral et tenter de trouver des partenaires, comme l'association SOS Culture, pour organiser l'acheminement des dons en provenance de France. C'est ainsi que Bab El-Oued a passé son Aïd, entre les morts et les précarités, mais surtout avec ce sentiment d'être déjà oublié.