Même sans être passée par une école de danse, la chorégraphe a su transmettre une émotion de femme, car vraie... «Il y avait une jolie fille qui habitait dans ma cour, à Port-au-Prince. Elle était danseuse folklorique et je l'idolâtrai : je suis sûre qu'elle m'a donné envie d'entrer dans ce monde. Elle s'appelait Bertolette et c'était mon secret: je voulais être danseuse», confie Kettly Noël, chorégraphe française d'origine haïtienne. Avec le danseur Marius Moguiba, Kettly Noël a donné jeudi dernier à la salle El Mougar un beau spectacle où le corps se fait expression et parole scénique. Primée à Sanga III aux 5es Rencontres chorégraphiques de l'Afrique et de l'océan indien en novembre 2003, cette pièce intitulée Tichelbé, créée en 2002, a donné à voir l'angoisse que peut habiter un être seul en proie à l'aliénation. Les douleurs intérieures se dessinent par des gestes qui croiseront le fer avec la conscience d'un désert morbide. Une femme et un homme surgissent comme de nulle part se regardent, se jaugent, s'affrontent. Moment de violence. Le vide, puis de nouveau le combat. On court, on se rattrape, on se repousse, on s'agrippe, on chancelle. La peur mêlée à l'inconnu. Violence conjugale ou dépit amoureux. Silence. Cri du coeur où l'âme lasse de contenir ses errements. Abandon. La danseuse «est enfermée dans son corps malgré son désir d'en sortir, malgré ses ruades, ses chahuts et ses chavirements. Les sons qui l'entourent grincent, crissent, grésillent, témoins d'un vacarme intérieur, des cliquetis dans sa tête qui lui font perdre l'esprit. Sa conscience lui dicte des gestes incohérents». Un cas intéressant pour un psychiatre. Un mal l'habite mais qui saurait le résoudre? Est-ce cet homme sur lequel elle finit par avoir de l'ascendant et le dominer? Le rapport de force se décline sous nos yeux étonnés. Dualité homme/femme où la frontière entre la raison et la folie qui se tient sur un fil de rasoir. A la rizière de la schizophrénie ou l'enfermement mental, le sujet sera amené à affronter ses colères et trébucher. Le noir qui l'habite met à mal cette souffrance jusqu'à l'épuisement. Dans un huis clos où les deux acteurs cohabitent et s'affrontent, s'élève une musique d'à bout de souffle où seul le fort emportera le round du match. Mise en scène risquée par Kettly Noël qui n'a pas fait d'école pour apprendre à danser. «Pour moi, ne pas avoir eu de formation n'est pas le plus important. L'essentiel est de trouver comment exprimer ce que nous voulons dire», confie la chorégraphe. Débarquée à Paris au début des années 90, Kettly Noël a soif d'apprendre. Elle a l'énergie farouche et la volonté terrible. Elle monte une compagnie et plusieurs chorégraphies dont celle-ci: Tichelbe qui s'appuie sur les émotions d'une femme. Cette pièce a été fortement applaudie, hélas par un public restreint venu pour la majorité, peut-être, soutenir ses amis du groupe de hip-hop «Ouled El Bled». Une bande de jeunes gens à majorité masculine - deux filles contre cinq garçons - a assuré comme des grands, la première partie de la pièce de Kettly Noël, initiée par le CCF. Ces jeunes talents pleins de fougue ont mis en exergue leur authenticité mêlée à un esprit d'ouverture inspiré du quotidien algérien. Ils ont su révéler un savoir-faire où se conjuguent danse moderne et danse traditionnelle algérienne, notamment sur fond de musique naïlie. Ouled El Bled ont pu transmettre leur joie et leur peine sur fond de solidarité avec les victimes du séisme qui a frappé l'Algérie en mai 2003. De bons ouled el bled!