Depuis quatre mois les relations algéro-françaises se sont tendues et le torchon brûle entre Alger et Paris. «Nous devons être vigilants à l'égard de ces lois qui sont loin d'être innocentes», a mis en garde, hier, le président de la République, Abdelaziz Bouteflika, en référence à la loi du 23 février adoptée par l'Assemblée française vantant les mérites de la colonisation. Pour le chef de l'Etat, un Parlement, aussi ami qu'il soit, ne peut ni doit faire l'apologie du colonialisme. Dans son allocution d'ouverture du colloque international sur la naissance et l'évolution de l'Armée de libération nationale (ALN), le chef de l'Etat s'est demandé comment «un Parlement peut glorifier une période coloniale coupable de massacres contre un peuple en entier, et prétendre que cette présence a rendu service aux peuples colonisés». Ladite loi évoquant le rôle «positif de la présence française, notamment en Afrique du Nord» a suscité de vigoureuses protestations en France, notamment d'historiens et d'enseignants, qui ont dénoncé «e mensonge officiel sur des crimes, et des massacres allant parfois jusqu'au génocide». La loi de la discorde Dans son intervention, Abdelaziz Bouteflika a, à juste titre, déploré que «les générations des années 1980 ne savent rien de l'histoire de leur pays à part le terrorisme» avant d'appeler ces générations, en particulier, et le peuple algérien, en général, à se montrer «fiers de l'ALN et fiers d'appartenir à la génération de Novembre qui a accompli son devoir en payant le tribut du sang et qui a poursuivi le combat de l'édification de l'Etat national moderne». «L'ALN, étant une institution légale et légitime de la révolution armée, était un outil de libération et un moyen de défense des droits du peuple algérien», a rappelé le chef de l'Etat avant de préciser que «l'ALN était le garant de l'unité de la révolution, de l'unité de décision et de l'unité de destin». Une précision de taille quant au rôle joué par l'ALN quant à l'indépendance du pays et l'édification d'un Etat moderne et souverain n'acceptant de leçons de quiconque. Depuis quatre mois, les relations algéro-françaises se sont tendues au point où le torchon brûle entre Alger et Paris. Cette divergence est apparue au lendemain de l'adoption, le 23 février dernier, par l'Assemblée française de la loi portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés. Une loi perçue par Alger comme une volonté flagrante de la glorification du colonialisme français alors que les deux pays ont conclu à la refondation des relations bilatérales à travers un partenariat d'exception, devant être couronné par le traité d'amitié dont le paraphe a été annoncé pour la fin de l'année en cours. Cette loi, de la discorde, a été déjà dénoncée à plusieurs reprises par le président de la République et les pouvoirs publics. Il est «difficile de ne pas être révolté par la loi votée par le Parlement français et qui représente une cécité mentale confinant au négationnisme et au révisionnisme», a déclaré Abdelaziz Bouteflika dans un discours à Tlemcen à l'occasion du 50e anniversaire de la création de l'Union générale des étudiants musulmans algériens (Ugema) pendant la guerre d'indépendance. Qualifiant le colonialisme d'un «des plus grands crimes contre l'humanité que l'histoire ait connus», Abdelaziz Bouteflika a affirmé que «si notre pays était prêt à signer avec l'Etat français un traité de paix et d'amitié sur la base de l'égalité des nations et de la complémentarité de nos intérêts, il ne saurait en aucun cas cautionner, même par son silence, une prétendue mission civilisatrice» du colonialisme. Dans le même ordre d'idées, il a invité la société française à «se libérer des relents d'un passé attentatoire à la dignité humaine et qui, bien que s'affaiblissant au fil des ans, se manifeste maintenant comme le fantasme d'une puissance perdue, et semble-t-il regrettée par les nostalgiques de la domination coloniale». Fuite en avant Déjà, début juin, le Front de libération nationale (FLN) avait condamné cette loi «avec la plus grande fermeté» et a estimé qu'elle «consacre une vision rétrograde de l'histoire» et pouvait «remettre en cause» l'avenir des relations algéro-françaises, notamment le traité d'amitié. D'ailleurs les deux chambres parlementaires (APN et Sénat) devaient adopter une motion dénonçant la fameuse loi française avant d'être reportée. Mais il n'est pas exclu que cette motion soit adoptée au vu des derniers événements. Cette mise au point de l'Etat peut être, également, assimilée à une réponse à la déclaration d'un député de la majorité parlementaire française qui a réclamé des «excuses» à Abdelaziz Bouteflika. Comme quoi «chacun s'exprime comme il estime devoir le faire» à sa première diatribe au moment même où la France officielle n'a toujours pas fait repentance de ces crimes commis lors des manifestations du 8 mai 1945. Des méthodes que le président Bouteflika a comparées aux «fours crématoires des nazis», les fours à chaux ayant servi à incinérer des cadavres de personnes tuées lors de la répression de manifestations à Guelma. Sur un autre volet le chef de l'Etat a réitéré l'attachement de l'Algérie à l'indépendance de la République sahraouie et aux résolutions onusiennes et que le processus maghrébin n'a rien à voir avec ce contentieux. «L'Algérie est profondément attachée à la construction de l'UMA», a déclaré le chef de l'Etat, dans un entretien accordé à la revue tunisienne Réalités paru jeudi. Catégorique, Abdelaziz Bouteflika a rejeté l'amalgame sur la question sahraouie quant au report du dernier sommet de l'UMA. Revenant sur la réconciliation nationale, le chef de l'Etat a indiqué que celle-ci est une «exigence politique majeure». Devant les réticences de certaines parties, le président de la République a reconnu qu'il est «difficile de demander à celles et à ceux qui ont été directement affectés d'accepter que la page soit simplement tournée», mais, a-t-il fait remarquer, la réconciliation nationale «ne vise évidemment pas à banaliser le crime ou à éteindre la responsabilité morale devant Dieu et devant l'histoire». «Elle ne vise pas non plus à placer la victime et le coupable sur un même plan», a précisé le président pour qui l'entreprise se veut un «sacrifice supplémentaire qui doit être accepté pour préserver notre société et l'avenir de nos jeunes».