La vitesse de croisière du Sila a été atteinte dans la journée du premier novembre. L'effervescence s'est poursuivie jeudi et hier. «Avant la journée du 1er novembre j'avais prématurément décidé de ne pas revenir l'année prochaine compte tenu du peu d'affluence constatée les premières journées. Mais fort heureusement, depuis mercredi, les choses se sont sensiblement améliorées», nous confie le directeur de la maison d'édition Rich-Essalam, Karim Cherief. Ce dernier nous confie que le Sila a complètement changé de visage depuis la journée du Premier Novembre. Cette date symbolique et historique a donc été un porte-bonheur pour les centaines d'éditeurs présents à la 22e édition du Salon international du livre d'Alger qui se poursuivra jusqu'à la journée de dimanche prochain. Mais il y a des éditeurs qui ont été gâtés dès le départ. Il s'agit de ce qui est communément appelé les grandes maisons d'édition. Aussi, le constat de Karim Cherief n'est pas valable quand il est question par exemple des éditions Hachette, Flammarion et Gallimard de France où les étals ont commencé à se vider dès les premières journées. Certains livres étaient indisponibles dès les première et deuxième journées. Il en est de même pour certains éditeurs algériens comme ceux de l'Anep et Enag ou encore l'OPU qui ont enregistré des affluences record dès le commencement. L'éditeur «El Amel», n'a pas été affecté par ce manque d'affluence des premières journées, apprend-on aussi auprès de son directeur Si Youcef. Il faut reconnaître toutefois qu'avec l'arrêt des cours jusqu'à dimanche prochain, qui touche les écoles, CEM et lycées, la Safex a été carrément envahie par des dizaines de milliers de visiteurs, quotidiennement. D'ailleurs, depuis mercredi, il était difficile de se déplacer dans tous les espaces du Sila et plus particulièrement entre les stands ou à l'intérieur de ces derniers. Même à l'extérieur, en plein air, tous les endroits sont constamment noirs de monde. Le succès du Sila ne s'est donc pas fait démentir en dépit d'un début timide dû certainement au fait que l'on était en pleines journées de travail. La présence des auteurs a décuplé depuis la journée de mercredi où tous les stands étaient occupés parfois par pas moins de quatre écrivains à la fois en train de faire des ventes-dédicaces. Le stand des éditions Barzakh a choisi la journée de jeudi soir afin de convier son auteur fétiche, Kamel Daoud pour dédicacer son dernier roman Zabor ou les psaumes, mais aussi ses anciens livres dont Meursault contre-enquête et la préface du Nègre ou encore le recueil de chroniques intitulé Mes indépendances. La vente-dédicace de Kamel Daoud a été annoncée à 15 heures. L'auteur est arrivé un peu à l'avance. Les dizaines de lectrices et de lecteurs étaient déjà là en train d'attendre celui qui écume désormais les plateaux des chaînes de télévisions françaises et les colonnes de grands titres mondiaux. On a remarqué que la majorité des lecteurs de Kamel Daoud présents sur les lieux était constituée de jeunes de moins de vingt-cinq ans dont une grande partie constituée de la gent féminine. Ces derniers n'hésitaient pas à se montrer exigeants envers Kamel Daoud en demandant des «selfies» et des prises de photos. Le romancier s'y prêtait volontiers. Un seul écrivain a signé de sa présence la vente-dédicace de Kamel Daoud. Il s'agit de Amin Zaoui qui a tenu à faire le déplacement jusqu'à lui, le saluer et le féliciter pour son succès. Sofiane Hadjadj, l'éditeur de Kamel Daoud prend son appareil photo et demande aux deux écrivains de poser pour éterniser cet instant. C'est vrai qu'en ces moments de guerre fratricide et d'hostilités entre écrivains algériens francophones, deux écrivains qui se croisent et qui se saluent, devient un événement. C'est sans doute pourquoi Sofiane Hadjadj n'a pas voulu laisser passer inaperçue cette rencontre furtive, mais symbolique entre Zaoui et Daoud. Des journalistes sollicitent Kamel Daoud pour arracher quelques déclarations sur le Sila et sur son dernier roman. Kamel Daoud répond poliment qu'il a décidé de ne pas s'exprimer à cette occasion et de se limiter à la vente-dédicace. L'auteur poursuit donc sa séance de vente-dédicace dans un stand qui a sans doute battu le record des visites et des ventes depuis le premier jour du Sila, le 25 octobre dernier. Rachid Boudjedra surprend l'ambassadeur du Mexique Un peu plus loin, au stand des éditions Frantz Fanon, le grand romancier Rachid Boudjedra a poursuivi ses séances de vente-dédicaces quotidiennes. De nombreuses personnalités ont tenu à marquer une longue halte chez Rachid Boudjedra dont le minisitre de l'Enseignement supérieur Tahar Hadjar, mais aussi l'ambassadeur du Mexique à Alger, Juan José Gonzalez Mijares. Ce dernier a absolument tenu à ne pas rater le rendez-vous du Sila pour échanger quelques idées et opinions avec l'auteur de La Répudiation. Mais, l'anecdote concernant cette halte devant l'auteur du scénario du film Chronique des années de braise c'est quand Rachid Boudjedra a troqué la langue française qu'il maîtrise pourtant mieux que quiconque contre la langue espagnole qu'il s'est avéré parler, également, couramment. C'est donc en espagnol que Rachid Boudjedra a parlé à l'ambassadeur du Mexique à Alger. Ce dernier n'a pas manqué d'exprimer son admiration en découvrant qu'en plus d'être un excellent écrivain, Rachid Boudjedra est aussi un parfait polyglotte. Notre écrivain, après cette surprise, a continué à dédicacer notamment ses livres dont la réédition du roman L'escargot entêté. On apprendra sur place auprès de son éditeur, Amar Ingrachen, que ledit roman a été traduit en langue amazighe et est actuellement en pleine impression. Il sera disponible dans les prochains jours dans les librairies. C'est le premier roman de Rachid Boudjedra à être traduit en langue amazighe. L'un des détenus d'avril 80, au Sila Avant, on les conduisait tout droit en prison pour atteinte à la sûreté de l'Etat. Maintenant, ils ont leur place à part entière au Salon international du livre. Quand bien même le contenu du livre ne va pas dans le sens du poil, leurs ouvrages sont pourtant disponibles au Sila. Ils sont même là, sur place, pour dédicacer leurs livres. Cette fois-ci, l'un des invités du Sila ayant animé une séance de vente-dédicace au Pavillon central n'est autre que le grand militant de la cause berbère Mokrane Chemim. Ce dernier a été l'un des 24 détenus emprisonnés lors des événements du printemps berbère de 1980. D'ailleurs, Mokrane Chemim a été le premier militant à avoir été arrêté par les gendarmes dans son village natal dans la commune d'Ath Aissi au mois de mars 1980, bien avant la grande explosion du 20 avril. Quelques jours plus tard, ses compagnons «d'armes» le rejoindront dans la cellule comme Arezki Abbout, Arezki Ait Larbi, Said Khelil, Idir Ahmed Zaid, Achour Belghezli, Djamel Zenati, Mouloud Lounaouci... Depuis, que de chemin parcouru! Tamazight est devenue langue nationale et officielle malgré de grandes insuffisances, faut-il le rappeler. Mokrane Chemim est présent au Sila en tant qu'auteur. Il est venu dédicacer son tout nouveau livre intitulé Le monde arabe, mythe ou réalité. Mais aussi ses anciens ouvrages comme Adar itheddou s azar et son Dictionnaire de langue amazighe. Concernant son point de vue sur l'évolution de la langue amazighe. Tout en reconnaissant que tamazight a certes avancé, Mokrane Chemim reste sceptique. Pour lui, la seule solution efficace consiste à étendre l'enseignement de tamazight à l'ensemble des 48 wilayas du pays, mais aussi à rendre cet enseignement obligatoire. Si cette mesure venait à être prise par le pouvoir, ajoute Mokrane Chemim, on pourra dire qu'enfin, le problème de tamazight est définitivement réglé. Un autre détenu de 80, aux éditions Koukou Un autre détenu des événements de 80, faisant aussi partie des 24, est présent tout au long du Sila. Il l'est pratiquement tous les ans depuis qu'il a lancé sa maison d'édition. Il s'agit de Arezki Ait Larbi, directeur des éditions Koukou. Un éditeur iconoclaste qui a une ligne éditoriale qui surprend à chaque fois. C'est dire que même en étant éditeur, Arezki Ait Larbi a gardé sa verve de militant. Il montre une grande audace dans le choix des livres à publier. Des thèmes qui font souvent peur à certains éditeurs. Arezki Ait Larbi n'a pas hésité à rééditer Heureux les martyrs qui n'ont rien vu de Bessaoud Mohand Arab, le fondateur de l'Académie berbère en France. Le titre de ce livre à lui-seul suffit pour montrer de quoi il s'agit. Pour le Sila dans sa 22e édition, les éditions Koukou sont revenues avec quelques nouveautés, toujours dans la même veine. Le lecteur pourrait ainsi trouver au stand de Koukou éditions: Naufrage judiciaire, les dessous de l'affaire Cnan de Ali Koudil où ce dernier, ancien P-DG de la Cnan, raconte son calvaire après avoir été broyé par une affaire dans laquelle tout n'a pas encore été dit. «Il dévoile la face cachée de ce dossier ainsi que le procès, en plus de la vie quotidienne en prison», souligne l'éditeur en guise de présentation de l'ouvrage. L'affaire Khider est un autre livre que le lecteur ne pourra qu'apprécier. Le livre écrit par Tarik Khider, fils de Mohamed Khider, revient sur l'affaire de l'assassinat politique dont a été victime son père Mohamed Khider. «Il s'agit de révélations sur l'assassinat d'un des leaders de la Révolution algérienne en 1967 à Madrid», précise l'éditeur qui nous apprend que sa maison d'édition a édité à l'occasion du Sila toujours d'autres titres. Il s'agit de La violence sociale en Algérie du psychiatre Mahmoud Boudarène, Mes cousins des Amériques de Arezki Metref, Ali Bitchin de Ricardo Nikolai, Amar Imache de Mohamed Imache, ainsi que Islamo-féminisme de Feriel Bouatta.