Le roi Salmane a reçu le Premier ministre libanais démissionnaire à titre exceptionnel Thamer al-Sabhan, ministre saoudien des Affaires du Golfe, quelques jours plus tôt, ne s'embarrassait guère de circonvolutions diplomatiques pour appeler à «renverser le Hezbollah». Il a même surpris son monde en promettant des «développements étonnants». La rupture des relations diplomatiques entre l'Arabie saoudite et le Liban est «une option actuellement à l'étude», selon le ministre saoudien des Affaires étrangères, Adel Jubeir, qui a reproché, encore hier, au Hezbollah d'utiliser le Yémen pour attaquer le royaume. «Nous étudions actuellement plusieurs options et nous consultons nos amis et nos alliés, à travers le monde, pour décider de la meilleure façon de traiter avec le Hezbollah», a déclaré Adel Jubeir. «Un très grand nombre de pays, à l'exception de l'Iran, s'opposent aux activités terroristes du Hezbollah qui prend en otage l'Etat libanais. Il ne peut pas y avoir de milice armée hors du contrôle du gouvernement», a dit le MAE saoudien. Riyadh «ne peut pas laisser le Liban devenir une base-arrière d'attaques contre le royaume», a-t-il martelé tout en exigeant du gouvernement libanais qu'il agisse concrètement contre le parti chiite. Ces propos confortent ceux de Thamer al-Sabhan, ministre saoudien des Affaires du Golfe qui, deux jours plus tôt, ne s'embarrassait guère de circonvolutions diplomatiques pour appeler à «renverser le Hezbollah». Il a même surpris son monde en annonçant des «développements étonnants» dans les «jours à venir». Jeudi, l'Arabie saoudite a appelé ses ressortissants à quitter «le plus vite possible» le Liban, quelques jours après l'annonce, à Riyadh, de la démission surprise de Saâd Hariri. Une source diplomatique citée par l'agence officielle SPA, a également demandé aux Saoudiens de ne plus se rendre au Liban, sans évoquer une quelconque menace. «Vu la situation au Liban, le royaume demande à ses ressortissants en visite ou résidant au Liban de le quitter le plus tôt possible et conseille à ses ressortissants de ne pas s'y rendre», a déclaré officiellement cette source, laquelle sera très vite suivie par un écho similaire depuis le Koweit qui invitait ses ressortissants à fuir le Liban «immédiatement». Et dans la même soirée, c'était au tour des Emirats arabes unis et Bahreïn de formuler cette exigence, assortie d'une mise en garde explicite. Pourquoi tout ce tintamarre, sinon pour laisser planer le doute d'une attaque préparée depuis des semaines, voire des mois? Le fait est que l'Arabie saoudite, passablement irritée par les revers subis en Irak et en Syrie dont le rival iranien a tiré profit et grâce auxquels le Hezbollah a conforté puissamment son expérience militaire, redoute de perdre totalement la partie, la dernière pièce se jouant au Yémen. Là aussi, les Houthis semblent sur le point de contre-balancer la machine de guerre mobilisée par Riyadh qui, à la tête d'une coalition de 10 pays, tente de contrecarrer l'avancée chiite. Avec le «game over» tout proche en Irak et en Syrie où Daesh s'éteint lentement mais sûrement, le bras de fer entre l'Arabie saoudite et ses alliés, d'une part, et l'Iran, d'autre part, se dessine peu à peu au Liban. Tout faire pour ne pas laisser à Téhéran le temps de savourer sa victoire, tel est le leit-motiv des Etats-Unis, d'Israël et de l'Arabie saoudite. Passant outre les risques terribles qu'un tel conflit ne manquera pas d'avoir pour l'ensemble de la région, ils jouent aux apprentis-sorciers en concoctant une nouvelle mixture dans laquelle les résidus de Daesh pourraient être assaisonnés encore un temps. Ce faisant, le défi porté par une telle composante ne peut avoir d'autre issue que celle d'une mobilisation générale des forces libanaises qui ne veulent en aucun cas d'une nouvelle guerre civile. Le leader du mouvement chiite Amal, Nabih Berri, président du Parlement, avait proposé en septembre dernier des élections législatives qui auraient sans doute affaibli davantage la position sunnite au Liban. C'est ce que l'Arabie saoudite a anticipé, optant pour une démission de Saâd Hariri qui provoque une crise institutionnelle et compromet un tel rendez-vous. Les paris sont ouverts sur un prochain durcissement des sanctions américaines contre le Hezbollah et le Liban tant que le parti siègera au gouvernement. Entre-temps, l'Arabie saoudite pourrait multiplier les infiltrations des rescapés de Daesh en Syrie et en Irak pour de nouvelles missions au Liban, attentats et contre-attentats ayant pour but de dresser les uns contre les autres chrétiens et chiites contre sunnites. Un vrai imbroglio qui prend de la mesure si l'on en juge par le branle-bas- de combat des trois pays du Golfe précités appelant leurs ressortissants à déserter le pays du cèdre sans tarder. Il me paraît néanmoins peu probable qu'un tel plan parvienne à faire basculer l'armée libanaise dans un camp plutôt qu'un autre. Sa mission pérenne n'est-elle pas de veiller à maintenir une paix fragile et chèrement payée? Les boute-feux auront beau se démener, de part et d'autre, elle demeurera, me semble-t-il, arc-boutée à sa mission fondamentale qu'elle honore scrupuleusement depuis la mise en oeuvre des accords de Taef. Les combats qui opposent l'armée syrienne à Daesh dans son ultime bastion d'Abou Kamal, à la frontière irakienne, engageant depuis quatre jours déjà les bombardiers Tu-22M3 russes, sont guettés par l'Arabie saoudite comme le signal fatidique d'une page qui se tourne et d'une autre qu'il lui faut entamer. Mais avec quels risques et périls? Une guerre contre le Hezbollah et le Liban, même appuyée par Israël, sera-t-elle bénéfique pour le nouveau palais saoudien? Ou ne va-t-elle pas plutôt conforter les équilibres financiers de ses protecteurs et promoteurs? Il est heureux que le MAE français-Jean-Yves Le Drian, revenu de Riyadh ait jugé opportun d'annoncer que Saâd Hariri est «libre de ses mouvements» mais que le Liban revit l'»incertitude»! Comme il est significatif que le président Macron, après l'inauguration du Louvre d'Abou Dhabi, ait jugé nécessaire de passer deux heures avec le prince héritier saoudien pour le dissuader de s'en prendre à une «chasse-gardée» de Paris. Sera-t-il seulement entendu? Mohamed ben Salmane est davantage enclin à pencher l'oreille du côté des Etats-Unis et d'Israël que de la France, surtout depuis l'arrestation de 200 personnalités accusées par Donald Trump d'avoir «saigné le pays»!