Une démission qui demande à être confirmée par le président Michel Aoun Le chef de la diplomatie américaine Rex Tillerson a mis en garde, vendredi dernier, «toute partie, à l'intérieur ou à l'extérieur du pays, qui utiliserait le Liban comme théâtre de conflits par procuration». Le président libanais, Michel Aoun, a demandé hier à l'Arabie saoudite d' «éclaircir les raisons» qui entravent le retour au pays du Premier ministre Saad Hariri dont la démission a plongé le pays du cèdre dans une nouvelle crise politique qui inquiète plusieurs capitales arabes et occidentales. Prise de court, la classe politique libanaise, dans son ensemble, s'interroge sur sa «liberté de mouvement», attestée par le chef de la diplomatie française Jean-Yves Le Drian, mais à ce jour non établie puisqu'il n'a toujours pas regagné Beyrouth alors que sa démission ne peut être acceptée par Michel Aoun tant qu'elle n'est pas formellement proclamée au Liban même. La situation était à ce point inquiétante que le président français Emmanuel Macron, en voyage à Abu Dhabi où il signait un contrat d'un milliard d'euros à la faveur de l'inauguration d'un Louvre émirati, a jugé indispensable de se rendre en Arabie saoudite où il a eu deux heures d'entretien avec le prince héritier. Fort de cette rencontre, il a rassuré son interlocuteur libanais quant à la volonté de Riyadh de ne pas attaquer le Hezbollah et de préserver la stabilité du Liban. Des assurances que sont venues conforter les déclarations américaines effectuées tant par le président Donald Trump que par le secrétaire d'Etat Rex Tillerson, qui ont tour à tour affirmé leur attachement à la sécurité et à la stabilité du Liban, mettant en garde contre tout ce qui pourrait provoquer des dégâts considérables dans la région. De Beyrouth, le président Aoun qui constate l'absence prolongée du Premier ministre, malgré toutes les assurances des uns et des autres, a estimé que «toute position ou mesure qu'il a pu prendre ou qui lui sont imputées sont le résultat d'une situation ambiguë et trouble qu'il est en train de vivre en Arabie saoudite et ne peuvent pas être prises en considération». Une manière diplomatique de partager le point de vue du Hezbollah qui lui, n'est pas allé par trente-six chemins pour répéter ses accusations contre Riyadh qui a non seulement imposé à Saad Hariri sa «prétendue démission» mais demandé également à Israël d' «attaquer le Liban». Le chef de la diplomatie américaine Rex Tillerson a mis en garde vendredi dernier «toute partie, à l'intérieur ou à l'extérieur du pays, qui utiliserait le Liban comme théâtre de conflits par procuration». Il n'empêche, l'inquiétude de la communauté internationale est de jour en jour plus forte car tous les ingrédients de la crise sont réunis pour que la flamme consomme la mèche. Pour la majorité des capitales, et pour la plupart des observateurs, l'épisode Hariri est la traduction immédiate du bras de fer exacerbé auquel se livrent depuis quelques années l'Arabie saoudite et l'Iran, allié du Hezbollah. Or, les deux pays se sont déjà affrontés directement ou par factions interposées dans plusieurs guerres qui affectent la région moyen-orientale, notamment en Irak et en Syrie, sans oublier le Yémen. C'est d'ailleurs du Yémen qu'est parti le vent qui promet la tempête, les houthis soutenus par Téhéran ayant tiré un missile balistique sur Riyadh qui a aussitôt durci le blocus imposé à tout le Yémen au risque d'une catastrophe humanitaire sans précédent. Si la réaction française traduit manifestement une «préoccupation certaine» de Paris très attaché à la sécurité du Liban, au point de souhaiter, dans une déclaration du Quai d'Orsay, que Saad Hariri «dispose de toute sa liberté de mouvement et soit pleinement en mesure de jouer le rôle essentiel qui est le sien», celle des Etats-Unis va clairement à l'encontre des objectifs de l'allié saoudien. De là à se demander si elle est de pure forme, il n'y a qu'un pays que n'ont pas encore franchi les capitales intéressées. Car il n'y a pas que Téhéran et Riyadh qui sont concernées par la crise. Outre les membres du Conseil de coopération du Golfe, Qatar excepté pour les raisons que l'on sait, la Turquie est de mise dans cette affaire, parce qu'elle entretient des liens puissants avec Israël et aussi parce qu'elle prétend au leadership sunnite dans la région, les liens du régime Erdogan avec les Frères musulmans n'étant pas pour plaire outre mesure au prince héritier Mohamed ben Salmane. Pris dans cet étau, le Liban qui est un pays aux équili bres communautaires fragiles ne peut que redouter de retomber dans une nouvelle guerre civile comme celle qui a failli l'emporter entre 1975 et 1990. Qui plus est, tous les Libanais s'accordent à reconnaître qu'en 2006, lors de l'attaque du sud-Liban par l'armée israélienne, c'est bien le Hezbollah qui a défendu et préservé l'intégrité du pays. Si les multiples appels au calme des chancelleries occidentales paraissent être entendues, pour le moment, au Liban-même, l'incertitude a cédé place à une inquiétude de plus en plus manifeste du fait de l'absence d'écho saoudien aux nombreuses sollicitations en faveur d'un retour de Saad Hariri à Beyrouth. Des inquiétudes qui ont été davantage nourries par les appels de l'Arabie saoudite, des Emirats arabes unis et de Bahrein à leurs ressortissants, les invitant à quitter «le plus vite possible» le Liban ou à «ne pas s'y rendre», laissant entendre implicitement qu'un conflit armé serait sur le point d'y éclater. Toujours est-il que, pour l'instant, le secrétaire d'Etat américain, le Quai d'Orsay qui a dépêché à Beyrouth un conseiller de haut rang chargé de suivre la suite des évènements au plus près, et l'UE ont exhorté toutes les parties à respecter les «institutions nationales légitimes du Liban». Apparemment, ils ne sont pas parvenus à émouvoir l'Arabie saoudite qui continue à affirmer que Saad Hariri est parfaitement «libre de ses mouvements»...