Qui va le remplacer? L'un des «fondateurs «de la peinture moderne en Algérie et élève de Mohamed Racim est parti comme les braves, sans bruit, avant-hier matin. «L e grand manitou...le grand homme...le grand artiste, s'en est allé, l'amoureux de l'art total, est décédé aujourd'hui, on est triste, on s'incline à sa mémoire, on ne peut oublier celui qui a dit «'le signe est plus fort qu'une bombe''.» C'est par ce lâcher de mots qui sont tombés comme un couperet d'un coeur meurtri, celui de Karim Sergoua, qu'a été annoncée avant-hier matin la triste nouvelle de la disparition de Choukri Mesli, l'un des «fondateurs» de la peinture moderne en Algérie et élève de Mohamed Racim. Le monde des arts plastiques est en deuil. Les artistes pleurent ce grand homme dont beaucoup ne cessent de lui témoigner sur les réseaux sociaux leur grande affliction. En effet une avalanche de mots et de peine se lisent sur beaucoup de statuts suite à l'annonce du nom de cet homme qui révolutionna le monde des arts plastiques et qui aujourd'hui tire sa révérence en plein mois de novembre. Choukri Mesli est né à Tlemcen le 8 novembre 1931. Sa famille s'installe à Alger en 1947. La même année il réalise ses premières gouaches et, de 1948 à 1951, devient l'élève de Mohamed Racim à l'Ecole des beaux-arts d'Alger. Il participe en 1950 à la création de la revue Soleil, au mouvement des idées d'émancipation diffusées autour du journal Alger républicain, fonde le «Groupe 51» avec de jeunes poètes et peintres dont Kateb Yacine et M'hamed Issiakhem, et participe au Salon des orientalistes. De 1951 à 1953, il poursuit sa formation auprès de différents professeurs des beaux-arts. En 1953, il organise une exposition de la jeune peinture algérienne avec Sauveur Galliéro et Louis Nallard dans la salle du Crédit municipal d'Alger et obtient le Premier Prix de la ville d'Alger. De 1960 à 1962, Mesli séjourne au Maroc, à Rabat, où il exerce comme professeur de dessin et où naît sa fille Sofia. Il est nommé dès 1962 professeur de peinture à l'Ecole des beaux-arts d'Alger. Il fondera en 1963 avec M'Hamed Issiakhem, Mohamed Temam, Bachir Yellès, Mohamed Bouzid, Baya, Adane, Zerarti et Ali Ali-Khodja, l'Union nationale des arts plastiques (Unap). Celle-ci deviendra organisation de masse du parti unique en 1974, et sera baptisée Unac en 1984 avant de se séparer du parti après 1989, à la suite de l'adoption de la nouvelle Constitution. En 1967, Choukri Mesli participe avec Denis Martinez à la création du groupe «Aouchem» (Tatouages) dont il organise la première exposition. «(...) Nous entendons montrer que, toujours magique, le signe est plus fort que les bombes», déclare leur Manifeste. Mesli se marie la même année avec Annick, professeur de lettres, leur fils Tarik, qui deviendra également peintre, naît en 1968. Mesli travaille en 1969 à la préparation du Festival panafricain d'Alger en tant que responsable des expositions d'arts plastiques. Une seconde exposition du groupe «Aouchem «a lieu en 1971. Choukri Mesli effectue en 1982 un voyage d'études aux Etats-Unis, à New York, San Francisco, Atlanta et Washington, exposant avec un groupe d'artistes africains. Entre 1983 et 1985, il réalise à Alger une fresque (Les Trois révolutions) de cent mètres carrés en carreaux de métal émaillé pour la rampe Tafourah (Alger) et trois sculptures (Hydra, Bouzaréah, Bir Mourad Raïs), puis de nouvelles expositions personnelles en 1986 (textes de Malika Bouabdellah, Denis Martinez et Françoise Liassine) et en 1990 Palimpseste de Tin Hinan, avec une préface de Rachid Boudjedra. À la suite des violentes manifestations d'octobre 1988 à Alger, il est l'un des fondateurs du Raïs (Rassemblement des Artistes, des Intellectuels et des Scientifiques contre la torture). Mesli participe aux principales expositions collectives des peintres algériens en Algérie, au Maghreb et en France: Signes et désert à Bruxelles en 1989; Autres soleils et autres signes à Montpellier en 1990; Baya, Larbi, Martinez, Mesli, Silem, à la Galerie Art'0 d'Aubervilliers en 1991. Avec les assassinats d'artistes, il est contraint à l'exil dans les années 90. Il s'installe en 1994 dans la banlieue parisienne. Le chef de l'Etat lui a décerné la médaille de l'ordre du Mérite national au rang de «Achir» en avril dernier. Dans un témoignage des plus sincères, l'artiste Kamel Yahiaoui écrit sur sa page Facebook: «Notre pays perd l'un des derniers des fondateurs de l'art moderne en Algérie, pour l'indépendance de laquelle il s'est battu avec son art et toutes ses forces et a eu à se consacrer avec M'hamed Issiakhem à la construction d'une pensée artistique libre et indépendante afin de transmettre leur savoir à toutes les générations passant par l'Ecole des beaux-arts et en dehors» et de préciser: «Pour information c'est Choukri Mesli qui a présenté Issiakhem à Kateb Yacine en 1951 et c'est le premier artiste à transcrire le signe berbère dans une peinture dans une Algérie hostile à son histoire, Choukri Mesli a refusé en 1962 des propositions artistiques de grande envergure à l'étranger pour se donner corps et âme à la fondation d'un art libre et faire renaître une Ecole des beaux-arts agonisante.» Pour Kamel Yahiaoui, la perte de cet artiste est assimilé au départ d'«un maquisard», viscéralement africain; sans lui, sans Issiakhem et une poignée d'artistes visionnaires, pour n'en citer que quelques-uns, Baya, Khadda, Benanteur, Aksouh, Denis Martinez... nous en serions encore au stade des travaux de décoration de mauvais goût, aujourd'hui même la lutte continue, pour préserver le patrimoine de nos aînés et suivre leur chemin dans notre histoire contemporaine» et de conclure dépité: «L'histoire de notre père Choukri Mesli est un océan d'histoires, pour l'écrire, la raconter, il faut des milliers de pages et des centaines de films ce n'est pas seulement un deuil des artistes, c'est un deuil national de Tlemcen son lieu de naissance jusqu'au fin fond du Sahara. «S'exprimant aussi sur les réseaux sociaux, l'artiste-peintre Djahida Houadef qui, visiblement très émue, fera remarquer pour sa part: «Voilà encore un autre départ en l'espace de peu de jours! Salah Hioun, ensuite toi, Choukri Mesli. Ce suivi successif me fait peur! Nos artistes plasticiens qui ont honoré et rehaussé la culture lors de notre indépendance, qui ont marqué dignement notre mémoire, qui ont su colorer le visage d'une Algérie assombrie par l'atrocité d'une guerre, sont devenus une valeur en voie de disparition. Ces départs me chagrinent profondément dans mon être. J'ai peur d'affronter une faille qui ne saura pas retrouver vos traces. J'ai peur que nous n'ayons pas fait assez pour retenir l'essentiel de vous, l'offrir aux autres. Ceux qui nous demanderont des comptes sur notre passé! Ceux qui ne sauront avancer sans ces passerelles qui soutiennent les souffles des grandes traversées, et garantissent le rythme de la continuité» et de renchérir: «Déjà, tu es parti une première fois ou plutôt on t'a forcé à partir. Tu as ramassé tes bagages pour les accoster ailleurs. Dommage, tu avais pris beaucoup de choses avec toi. C'est vrai que tu avais laissé ton esprit et ton image dans cette grande école mythique, ouverte aux lumières, à la mer et aux rêves. Beaucoup d'étudiants qui avaient la chance de t'apprivoiser se rappellent encore de toi, c'est vrai! Mais ceux qui t'ont poussé à partir ne comprenaient pas que dans ces bagages de maître, il y avait la transmission aussi!» Et de confier: «Je n'ai pas eu le privilège d'être ton élève, mais j'étais une voyeuse qui ne s'arrêtait pas de voler toutes ces images où tu donnais aux autres tout ce que tu possédais. D'ailleurs elles resurgissent comme les senteurs jadis, à chaque fois qu'on évoque ton nom! Ton monde n'était bâti que de ces femmes rondes et tatouées. Elles revenaient continuellement pour nous remplir la vue de leurs beautés authentiques. A leurs images, l'Algérie ne pourrait qu'être au féminin. Porteuse, donneuse, valeureuse et généreuse. Sois en sûr l'artiste, tu as la bénédiction de nos mères. Adieu l'artiste...»