Pour Michel Aoun, il n'est plus question d' «attendre plus» et de «perdre du temps, car les affaires de l'Etat ne peuvent pas être paralysées», même si le pays «est en sécurité sur tous les plans». Pour rassurer la population, il s'est félicité du «retour proche» de Hariri... Le chef de l'Etat libanais Michel Aoun a durci le ton hier contre l'Arabie saoudite en l'accusant de détenir le Premier ministre Hariri qui avait annoncé sa démission à Riyadh. «Rien ne justifie que M. Hariri ne revienne pas après 12 jours. Nous le considérons donc comme en captivité et détenu, ce qui est contraire à la convention de Vienne» régissant les rapports diplomatiques entre pays, est-il écrit dans un tweet rapportant les propos du président Aoun. M. Hariri a créé le choc, le 4 novembre dernier, en annonçant sa démission soudaine depuis la capitale saoudienne, tout en critiquant la «mainmise» sur son pays de l'Iran et de son allié libanais, le mouvement chiite Hezbollah. Depuis, il a été fortement question de sa «liberté de mouvement» dont le MAE français s'est fait rassurant sans parvenir à dissiper des spéculations grandissantes. M. Hariri était intervenu voici cinq jours à la télévision pour affirmer qu'il était parfaitement «libre» et qu'il comptait retourner au Liban au plus tard sous quarante huit heures. C'était une réponse explicite aux questionnements formulés la veille par le président Michel Aoun qui se demandait alors quelle était la situation véritable du Premier ministre libanais dont la démission doit être présentée en bonne et due forme. «Je vais revenir si Dieu veut à mon cher Liban comme je vous ai promis. Vous verrez», avait alors promis M.Hariri tandis que la présidence libanaise répliquait: «qu'il revienne au Liban soit pour présenter sa démission, soit pour revenir sur sa décision, soit pour discuter de ses motivations». Pour Michel Aoun, il n'est plus question d' «attendre plus» et de «perdre du temps, car les affaires de l'Etat ne peuvent pas être paralysées», même si le pays «est en sécurité sur tous les plans». Afin de rassurer la population, le chef de l'Etat s'est même félicité du «retour proche» de Hariri, se fiant à sa déclaration de dimanche. Ses «hôtes» saoudiens ont-ils cherché à gagner du temps? Et dans quel but? Ou veulent-ils simplement semer le chaud et le froid, dans l'espoir de provoquer une réaction quelconque des adversaires ciblés que sont le Hezbollah et l'Iran? L'annonce d'une réunion extraordinaire de la Ligue arabe au Caire avec comme ordre du jour les interférences iraniennes dans les «affaires intérieures des pays du Golfe» constitue la première explication pertinente de l'épisode Hariri qui se découvre otage du bras de fer entre Téhéran, allié du Hezbollah, et Riyadh, chef de file du CCG. Ce n'est pas par hasard que le Premier ministre libanais a évoqué, dans sa déclaration de démissio,n le cas du Hezbollah, seule partie libanaise à disposer d'un bras armé ou le rôle de l'Iran qui soutient les Houthis au Yémen. Ces derniers ont franchi le Rubicon il y a une semaine en lançant un missile balistique contre l'aéroport de Riyadh, ce qui a déclenché la colère saoudienne pour le moment circonscrite à un blocus renforcé du Yémen. Si Washington se contente d'appeler au calme du bout des lèvres, non sans souligner son attachement au respect de la stabilité et de l'intégrité du Liban, la France par contre multiplie les démarches prudentes pour tenter de déminer le terrain. Après la déclaration hier du président Emmanuel Macron qui «souhaite le retour de M. Hariri au Liban» conformément à ce qu'il a annoncé, c'est au tour du MAE Jean-Yves Le Drian de se rendre aujourd'hui même à Riyadh pour y rencontrer de nouveau le Premier ministre libanais. Les circonstances particulières de l'annonce de sa démission, depuis Riyadh, font planer le doute sur sa «liberté de mouvement», quoi qu'on en dise, beaucoup d'observateurs se demandant s'il n'a pas fait l'objet d'un interrogatoire dans le cadre de la purge qui a visé des dizaines de princes, de ministres et d'homes d'affaires saoudiens, au risque d'ouvrir une période d'incertitudes et de lourdes menaces dans le ciel libanais. Hier, des rumeurs non démenties évoquaient une tentative de suicide du prince Walid Ibn Tallal, dont la famille pourrait contester «un coup d'Etat» au profit de Mohamed ben Salmane. Comme il est le fils de Mouna al Solh, elle-même fille de l'ancien Premier ministre libanais Riyadh al Solh, il y aurait, comme qui dirait, des liens problématiques entre le prince Walid et Hariri que les Salmane chercheraient à éclaircir...