Les pétards, un marché juteux Moins de vendeurs de pétards sur les trottoirs, moins d'explosions qui résonnent pour annoncer plus d'un mois à l'avance, l'arrivée du Mawlid! Cela est dû au fait que les services de sécurité ont déclaré la guerre aux importateurs et vendeurs de pétards. L'offre a diminué, les prix ont flambé, mais cela n'a en rien diminué la détermination des «fous» du Mawlid... Mardi 28 novembre 2017, on est à trois jours de la fête d'El Mawlid Ennabaoui. Comme chaque année en pareille période, on est chargé par la rédaction de faire un reportage sur les vendeurs de pétards à la sauvette et leurs réseaux. On va donc sur le terrain à la rencontre de ses «saisonniers». Notre recherche commence dans la ville de Kouba, située dans la proche banlieue sud-est d'Alger. Surprise! On fait le tour de la ville, du Calvaire en passant par le centre- ville et le marché de Ben Omar jusqu'à l'Appreval: pas de traces de jeux pyrotechniques! On entend de temps à autre des petites pétarades lointaines, mais on ne sait pas où les trouver. Que se passe-t-il? pas de pétards pour ce Mawlid? «Ya kho, el baaie rahou nakasse, lazem bel maârifa bache atdabare (Frère, il ny a pas beaucoup de vendeurs cette année. Il te faut du piston pour en acheter)», nous lance un jeune vendeur de vêtements à la sauvette au niveau des arrêts de bus de Ben Omar, à qui nous avons demandé de nous orienter. Sceptique par la réponse de ce jeune homme, on décide d'aller dans une commune que l'on connaît bien, où l'on dispose de contacts chez les jeunes de l'informel, à savoir Rouiba (banlieue est d'Alger). Comme à Kouba, point de vendeurs de «m'harek» à Rouiba! On fait le tour de la ville sans succès! On va alors voir Amine, un trentenaire au chômage qui est «spécialiste» des métiers de circonstances, comme la vente de gâteaux et de brochettes durant le Ramadhan et bien évidemment celle des produits pyrotechniques à l'approche du Mawlid. La police et l'euro font flamber le marché... Après nous avoir fait la bise, Amine qui pratique ce genre de commerce depuis plus de 10 ans, confirme que cette année c'est la «dèche». «Ghir makalahe thawèsse à Rouiba (ce n'est pas la peine de chercher). Les seuls vendeurs qu'il y a ne posent leurs tables qu'en fin de journée. La police est en train de nous faire la guerre», affirme-t-il, dégoûté. «La marchandise coûte cher et c'est compliqué de s'en procurer. Tu risques de te faire saisir toute la marchandise si les policiers la découvre chez toi. Des amis ont été interpellés dans des barrages et on leur a saisi tout ce qu'ils venaient d'acheter, il y a même eu des cas de saisie dans les trains!», rapporte-t-il en faisant savoir que depuis son adolescence, c'est la première fois qu'il allait s'abstenir de faire des affaires durant le Mawlid. Amine nous oriente vers le centre d'Alger où, dit-il, on trouvera notre bonheur. Il prend son téléphone et appelle son ancien «grossiste» de Meissonnier. Ce dernier nous donne rendez-vous dans ce quartier marchand au coeur de la capitale. Arrivé sur place, on va à la rencontre de celui qu'on appellera Hakim. Il nous indique une petite ruelle où il a installé discrètement son petit étal. «Jusqu'à l'année dernière en cette période toute la rue était pleine de vendeurs de «m'harek». On pouvait commercer sans être dérangé, mais cette année «doula» (la police) est intransigeante. Ils ont reçu des ordres pour nous faire la guerre», témoigne-t-il. «Vous voyez, je me cache dans les petites ruelles, tout en restant sur le qui-vive prêt à me sauver avec ma marchandise. Ici, il y a des échantillons. J'ai caché le reste dans des cages d'escaliers avoisinantes et même dans des poubelles que mes amis surveillent. Comme ça, si on se fait saisir au moins on ne va pas tout perdre», explique-t-il non sans affirmer qu'il est difficile pour eux de s'approvisionner. «La marchandise n'est pas disponible en quantité comme les autres années. Car, en plus des petits marchands comme moi, «doula» s'est attaquée aux gros bonnets en saisissant beaucoup de marchandise au niveau des frontières terrestres, maritimes et aériennes», souligne-t-il. Les autorités filtrent donc mieux le passage de ces produits pyrotechniques aux frontières. Elles contrôlent également mieux les marchés. Les différentes saisies en temps record attestent de la volonté des responsables à arrêter la circulation de ces produits dangereux clairement interdits par la loi. Ce qui explique de ce fait, comme tout le monde l'aura remarqué, la nette diminution de ces produits prohibés. Mais cela veut-il dire que l'on assistera à un Mawlid silencieux? Depuis déjà trois ans, cette fête n'est plus aussi «explosive» qu'avant. Il y a moins d'explosions qui résonnent pour annoncer plus d'un mois à l'avance, l'arrivée du Mawlid! «Mais cela ne veut pas dire que le jour J, ça sera calme...», affirment à l'unanimité les personnes rencontrées. «Le manque de marchandise a fait flamber les prix, donc les gens préservent ce qu'ils achètent pour la soirée de jeudi prochain. Surtout qu'avec l'état actuel du marché, ils ne sont pas sûrs de trouver de la marchandise d'ici jeudi», fait savoir un autre vendeur, installé lui, dans la «Mecque» des jeunes Algériens amateurs de pétards, à savoir le marché de la rue Amar-Ali, à la Casbah ou plus communément appelé Djamaâ Lihoud. A partir de 150 DA... Tout en guettant l'arrivée de la police, ce jeune nous présente son arsenal. Il y a les pétards classiques que tout le monde connaît et dont le prix débute à partir de 150 dinars, mais il y a aussi ceux dont rien que le nom fait peur. On cite entre autres, «Mergueza, Chitana, Boumba, TNT, Double Bombe, Triple Bombe, grenades, Zerbout, Cristiano Ronaldo, la Tueuse, Pétards-missiles, Ben Laden». Ce sont des pétards, qui ressemblent plus à de véritables arsenaux de guerre, comme on en voit dans les films américains. «Il y a même des pistolets pour lancer les Doubles Bombes que vous pouvez fabriquer vous-mêmes, je peux vous montrer, c'est facile. Sinon, vous me les commandez, je vous les ramène», explique notre ami. «Mais attention, la police est très à cheval sur ce genre de lanceurs, s'ils vous attrapent vous allez avoir de gros ennuis», ajoute notre «armurier» comme pour témoigner de la dangerosité de l'«arme». «La nouveauté et ce qui est très demandé est la bombe qu'on l'on appelle «Daesh». La déflagration fait un bruit incroyable, cette bombe, qui coûte 700 dinars, est même capable de faire exploser des objets comme une boîte aux lettres», atteste-t-il fièrement. Il poursuit sa présentation avec les fumigènes et les mini-feux d'artifice qui sont aussi très demandés, et dont le prix est de 1100 dinars pour le premier et 600 dinars pour le 2ème. Néanmoins, ceux qui ont de l'argent n'hésitent pas à s'offrir ce qui est appelé la batterie. «C'est un feu d'artifice en forme de batterie, ce sont ceux qui sont à la mode pour les mariages. Ils coûtent 10.000 dinars, mais ça ne refroidit en rien les clients», rapporte-t-il. «Les Algériens sont accros aux pétards. Pour eux un Mawlid Ennabaoui sans pétards, n'est pas un Mawlid. Ils mettent des fortunes pour égayer leurs soirées avec», soutient-il non sans préciser que les prix ont carrément doublé. «A cause du manque de marchandise, mais aussi à cause de l'euro qui a augmenté sur le marché noir», précise t-il en résumant que la fourchette des prix varie entre 150 dinars et 10.000 dinars. «Il y a des gens qui dépensent des fortunes pour cette soirée», insiste-t-il encore. Farid fait partie des personnes qui se permettent ces folies «mawlidiennes». Et cela en déboursant des sommes incroyables, atteignant jusqu'à 50.000 DA!», témoigne ce père de famille qui partage son «butin» avec ses deux enfants. «Pendant que mes petits jouent avec leurs copains, moi je suis avec les miens pour perpétuer une tradition» que sont les batailles entre quartiers. J'y participe depuis mon plus jeune âge et ce n'est pas demain la veille que je m'arrêterai...», atteste-t-il, tout heureux. Alors, tant qu'il y aura des gens qui éprouvent du plaisir à voir le fruit de leur travail partir en fumée, toutes les mesures restrictives du monde n'empêcheront pas ces marchands de nuisance de sévir... Rien qu'en une journée 42.000 produits pyrotechniques saisis La tolérance zéro des services de sécurité Rien que lundi dernier et rien que par les gendarmes, 42.000 unités de pétards de différents types, ont été saisies. Par ailleurs, le 26 novembre 2017, lors d'un contrôle de police de la route sur la RN 03, reliant Biskra à Batna, dans la circonscription communale d'El Hadjeb, les gendarmes de l'Escadron territorial de sécurité routière de Biskra ont interpellé un individu âgé de, 21 ans, qui voyageait à bord d'un autocar de Sétif vers Illizi, en possession de 10 040 pièces de pétards de différentes marques. Toujours, le 26 novembre, lors d'un contrôle de police de la route sur la RN 77, reliant Sétif à Batna, dans la circonscription communale de Beïda-Bordj, les gendarmes de la brigade locale ont interpellé trois personnes qui voyageaient à bord d'un autocar assurant la desserte d'El Eulma vers Batna, en possession de 4498 pièces de pétards de différentes marques. Lors d'un contrôle de police de la route sur la RN 77, reliant Sétif à Jijel, commune de Bazer Sakra, les gendarmes de la brigade locale ont interpellé deux personnes qui transportaient à bord d'un véhicule, 13.982 pièces de pétards de différentes marques. A Blida les services de sécurité ont lancé une large campagne à l'encontre des vendeurs de produits pyrotechniques et saisi d'importantes quantités, au centre- ville de Blida ou de Boufarik, Ouled Aïch et Béni Tamou. Ces opérations ont permis, à ce jour, la saisie de 118.000 unités de ces produits, a indiqué la même source qui signale la poursuite de cette campagne jusqu'à l'éradication totale de la vente de ce type de produits, interdite par la loi. La brigade ferroviaire relevant du Groupement territorial de la Gendarmerie nationale de Blida a saisi, la semaine dernière, 22 000 unités de produits pyrotechniques. Ce ne sont que quatre petits exemples d'une bataille sans relâche que mènent depuis plus d'un mois, gendarmes, policiers et douanier où ils ont mis la main sur des millions de produits pyrotechniques. La guerre est déclenchée... La Fédération des consommateurs appelle au boycott des pétards Un appel au «boycott» des produits pyrotechniques (pétards) illégalement commercialisés a été lancé hier par la Fédération algérienne des consommateurs (FAC) en perspective de la célébration du Mawlid Ennabaoui Echarif. «La FAC met en garde contre l'usage de ces produits dangereux qui font leur apparition dans le marché informel chaque année durant la célébration de la fête religieuse», a déclaré le président de la FAC, Zaki Hariz. La mise en garde de la FAC est également consolidée par une campagne d'information et de sensibilisation axée sur «la responsabilité parentale» face à ce phénomène qui expose les enfants à de graves accidents. L'usage des produits pyrotechniques cause chaque année des blessures à divers degrés de gravité tant aux utilisateurs qu'aux tierces personnes. Les bilans du Centre hospitalo-universitaire d'Oran (Chuo) font état de 46 blessés en 2015 et de 10 autres en 2016 durant la célébration de la fête religieuse indiquée. La diminution observée s'explique, selon la FAC, par une plus forte mobilisation sur le terrain des services compétents à l'instar de la Sûreté et de la Gendarmerie nationales. La contribution des imams, des personnels éducatifs, du mouvement associatif et des autres acteurs sociaux est également escomptée dans le cadre de cette action de sensibilisation, a souligné la Fédération algérienne des consommateurs.