«C'est un grand homme qui continue à se battre dans les coulisses des organisations internationales pour faire triompher le droit et la justice», dira en substance Ahmed Bedjaoui, le directeur artistique du festival qui s'étalera jusqu'au 8 décembre. «En 1964, Che Guevara demande au jeune Jean Ziegler de rester en Suisse pour lutter depuis «le cerveau du monstre capitaliste». Par la suite, écrivain, professeur, député et collaborateur de Kofi Annan, Ziegler n'a eu de cesse, à travers ses livres et ses discours, de fustiger les injustices, le pouvoir des oligarchies capitalistes et les responsables de la faim dans le monde. Aujourd'hui, à 82 ans, il se bat encore au sein de l'ONU, pour honorer sa promesse au Che dit le synopsis du film de Nicolas Wadimoff, réalisateur et producteur genevois qui, à 20 ans, eut la chance de rencontrer Jean Ziegler, alors qu'il était étudiant chez lui. «Je connais Jean Ziegler depuis de nombreuses années, j'ai eu la chance de suivre un de ses cours, en séminaire de sociologie, juste avant de décider d'arrêter de faire sciences politiques pour partir faire une école de cinéma au Canada. Le cours qu'il donnait portait sur les mouvements de l'armée de Libération nationale. Le ton était donné», fait remarquer l'auteur du documentaire Jean Ziegler, l'optimisme de la volonté, présenté vendredi à la salle El Mouggar en ouverture de la huitième édition du Festival culturel international d'Alger dédié au film engagé. Un film qui commence par des images en noir et blanc du Che et accompagne tout au long du sujet Jean Ziegler aujourd'hui par la pensée, notamment avec sa femme en retour à Cuba ou dans son travail à l'ONU ou lors des ventes-dédicaces de ses livres qui ont changé la vision des choses de pas mal de personnes dont ce jeune Français parti vivre à Cuba et dont Ziegler ira recueillir les témoignages pour sonder son avis sur Cuba d'aujourd'hui après que les USA de Obama eurent décidé d'aplanir la nature de leurs relations avec ce pays qui souffre pourtant du poids d'un gros blocus économique sur ses terres. Et le réalisateur de poursuivre: «Ce cours auquel j'avais assisté était très important. C'était en 1985. 4 ans avant la chute du mur de Berlin. C'est un moment qui m'avait marqué, qui m'avait donné envie de raconter cette période-là. D'essayer de raconter les combats de Jean Ziegler, mais aussi de parler d'un homme plein de contradictions dont la parole suscite le débat; avec une pensée parfois très déterminée, qui ne laisse pas beaucoup de place à la nuance, c'est ce qui fait sa force aussi et c'est pourquoi je le respecte aussi. Pendant une année, deux ans on a beaucoup dialogué. Avant qu'on se lance dans l'aventure et trouver ce terrain de dialogue où devait s'exercer le film.» En effet, que ce soit chez lui, au milieu de ses livres où il se raconte et se la raconte parfois, au milieu de la nature et l'air frais de Cuba où il réalise la grande chance qu'il a eue durant son parcours de naître bourgeois, jusqu'à ses confidences et mea-culpa sur les graves bêtises qu'il aurait commises sur tous les plans et enfin sa rédemption, c'est un Jean Ziegler à la fois bien attachant et fragile qui va se dévoiler à nous, tel un personnage dominant qui s'humanise de plus en plus au fur et à mesure que le film avance. Celui d'un homme qui a conscience qu'il est né «empli d'une mission» non pas divine, mais à hauteur humaine dans l'espoir toujours renouvelé de faire changer le monde et surtout mettre fin à la pauvreté et endiguer la faim dans les pays africains. Drôle et amusant, fort et hésitant à la fois, sans se départir de son discours bien rodé sur l'hégémonie actuelle de la droite, Ziegler reconnaîtra un moment dans le film qu'à force de lutter contre les impérialistes d'avant il oubliait peut-être ceux qui font manipuler le système capitaliste aujourd'hui en faisant référence aux milieux arabo-islamique et notamment à l'Arabie saoudite ou encore le Qatar. Parmi tous ses regrets ou fautes qu'il consentira à avouer face à la caméra, il y eut ses fréquentations avec El Gueddafi dont il soulignera la grande intelligence, malgré la folie qui le caractérisait. Homme de la contradiction et de la culpabilité, car foncièrement libre dans la tête et incitant à la liberté, il estimera pourtant préférer voir un peuple protégé et assuré en matière d'alimentation et de santé à la présence de la liberté de la presse et du multipartisme. Un choix d'autant plus kafkaïen qu'il émane d'un grand intellectuel comme cet homme qui compte à son actif de nombreuses affaires de justice avec des chefs d'entreprise en Suisse qui l'ont souvent attaqué pour diffamation. Jean Ziegler, l'optimisme de la volonté a en tout cas le mérite d'exister car en dépeignant ce grand homme il a su aussi révéler les limites et les failles d'une légende, bien humaniste avec ses forces et faiblesses, comme nous tous, sans pour autant déflorer les secrètes et ses mystères qui resteront toujours intacts tant sa parole continuera encore à raisonner et tant que les injustices continueront à régner dans ce bas monde. Car seule cette parole juste compte. Une parole ô combien utile et nécessaire... D'où l'hommage que le Fica a voulu lui rendre cette année et Ahmed Bedjaoui directeur artistique du Festival du film engagé de révéler: «Jean Ziegler a été le compagnon des premiers présidents algériens dans les années 1960. Il était souvent ici. C'est quelqu'un qui pendant toute sa vie n'a jamais cessé d'être de ceux qui combattaient ou luttaient contre l'injustice. Il a été aux côtés des idéaux humanistes. Che Guevara l'avait incité à rester sur le terrain de la réflexion, de creuser ce sillon dans ce domaine-là.». Dans son allocution d'ouverture, la commissaire du festival, Zehira Yahi, qui lira la lettre d'excuse de Jean Ziegler n'ayant pas pu être présent à cause de son voyage à l'ONU, fera remarquer que «ce festival est dédié au film engagé et quand on dit film engagé, nous pensons au bon cinéma. Car au-delà les idéaux et loin de toute propagande, ces films de qualité sont porteurs de sincérité dans leurs contenus et porteurs d'art dans leurs formes. Ils sauront exprimer la condition humaine dans ses douleurs comme dans ses joies et ses espoirs. Cette année nous avons veillé comme d'habitude à mettre en place une programmation de qualité. Avec des films récents. Pertinents, étonnants et pour la plupart marquants». Enfin, le ministre de la Culture, Azzedine Mihoubi, a, dans son allocution d'inauguration du festival, estimé qu'il était naturel que l'Algérie qui a connu une histoire avec le mouvement de libération soit fidèle à ce passé grâce à ce festival qui garde un lien avec ce dernier. Mihoubi a souligné la crédibilité de ce festival dont d'aucuns professionnels dans le monde veulent coopérer avec lui. «Ce qui caractérise ce festival est qu'il a toujours été aux côtés de grands noms qui ont laissé leurs traces dans l'Histoire et ont combattu pour leurs idées et pour lesquelles ce festival rend hommage. Aussi, si l'année dernière le festival s'est arrêté aux côtés de Fidel Castro, cette année ce sera aux côtés du photographe serbe et caméraman des maquis de la Révolution algérienne Stevan Labudovic qui vient de nous quitter. Un homme qui a compté énormément pour l'Algérie. Une personne dont le nom est lié à la guerre de Libération nationale. Un colloque lui sera dédié bientôt», a-t-il conclu. Pour rappel, il est bon de savoir que 18 films figurent dans la liste des films en compétition entre fiction et documentaire. Au programme aussi, outre deux excellentes tables rondes dont une dédiée à Frantz Fanon, une nouveauté a été introduite cette année, celle de la section court métrage. L'entrée des projections, à savoir, de 14h, 16h30 et 19h est gratuite à El Mouggar, y compris à celles des rediffusions le lendemain à la cinémathèque. Les projections seront suivies de débats.