«Nous ne sommes pas la France qui a envahi l'Algérie» a donc tenu à rappeler M. Cavusoglu, laissant entendre ainsi que l'intention de son pays n'est nullement de demeurer ad vitam aeternam en Syrie, mais uniquement de parer à la menace kurde sur ses frontières. Si l'opération turque s'avérait «prendre un autre tour qu'une action pour lutter contre un potentiel terroriste menaçant la frontière turque et que c'était une opération d'invasion», elle poserait un problème réel à la France, avait mis en garde le président Emmanuel Macron dans un entretien au quotidien Le Figaro, paru mardi dernier. L'opération militaire «Rameau d'olivier» «suppose d'avoir des discussions et de prendre des décisions à la fois entre Européens, mais plus largement entre alliés. Car elle change la nature de cette incursion turque», a poursuivi le chef de l'Etat, à l'issue d'un dîner du Conseil de coordination des organisations éniennes. Depuis que les forces turques soutenues par l'Armée syrienne libre (ASL), ont entamé leur offensive contre les Kurdes des Unités de protection du peuple (YPG) dans la région d'Afrine, le 20 janvier dernier, cette région est en proie à toutes sortes de calculs, à la fois des autres factions kurdes comme les Forces démocratiques syriennes (FDS), basées à Raqqa et soutenues par les Etats-Unis, et des autres groupes rebelles face à l'armée syrienne dans la région d' Idlib. Réagissant aux propos du président français, le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlüt Cavusoglu, n'y est pas allé avec le dos de la cuillère, considérant que la France «n'a pas de leçon à donner à la Turquie». Dès lors qu'«ils savent très bien ce qu'est l'objectif de cette opération», il dénonce une «hypocrisie» des pays européens qui déclarent «certaines choses dans les réunions bilatérales» et vont en claironner d'autres sur les places publiques. «Nous ne sommes pas la France qui a envahi l'Algérie» a donc tenu à rappeler M. Cavusoglu. Voilà déjà une quinzaine de jours qu'Ankara a lancé cette offensive militaire baptisée «Rameau d'olivier» contre le canton syrien d' Afrine, pour en déloger la milice kurde des Unités de protection du peuple (YPG), qualifiée de «terroriste» par Ankara tout en étant «alliée» des Etats-Unis. Faisant la sourde oreille aux appels multiples à la «retenue», le président Recep Tayyip Erdogan a martelé sa détermination à poursuivre l'opération jusqu'à «l'élimination totale de la menace terroriste» kurde, donnant crédit à une possible avancée vers Manbij où se trouvent les soldats américains. Washington a opposé une fin de non-recevoir à sa demande de retirer les troupes de la périphérie de Manbij, laissant planer un doute sur un face-à-face américano-turc dans les prochaines semaines. Anticipant la volonté d'Ankara de s'installer en Syrie, le président français a été on ne peut plus clair quand il soulignait que «s'il s'avérait que cette opération devait prendre un autre tour qu'une action pour lutter contre un potentiel terroriste menaçant la frontière turque et que c'était une opération d'invasion, à ce moment, cette opération nous pose un problème réel». Même si le Premier ministre turc Binali Yildirim avait rétorqué aussitôt que l'idée d'une «invasion» était «fondamentalement erronée», la question du président Macron avait au moins le mérite d'être claire. Sauf qu'elle a été posée dans un cadre qui ne pouvait pas susciter l'enthousiasme de la Turquie puisqu'il prenait en même temps l'engagement, en faveur des Arméniens, d' inscrire dans le calendrier une «journée de commémoration du génocide» de 1915 dont ils auraient été victimes de la part de la Turquie. Chose ressentie par Ankara comme une double provocation. Pour elle, il n'est pas question de génocide, mais d'une guerre civile, dans un contexte aggravé de famine, au cours de laquelle entre 300 000 et 500 000 Arméniens et autant de Turcs ont trouvé la mort. Hier, l'offensive sur Afrine n'était pas encore achevée, des combats meurtriers ayant lieu entre les forces turques et les Kurdes des YPG qui ont lancé un appel de détresse en direction de Damas, oubliant que le régime syrien a ses propres interrogations sur leurs desseins. Réagissant à cette situation jugée catastrophique, Human Rights Watch a dénoncé, hier encore, l'usage d'une «force meurtrière» par les gardes-frontières turcs pour refouler les demandeurs d'asile syriens, tout en appelant Ankara à accueillir «les milliers» de personnes qui fuient la guerre à Idlib et Afrine, devenant la cible des gardes-frontières. Durant les sept années de guerre en Syrie, la Turquie a accueilli plus de 3,5 millions de réfugiés mais en août 2015, elle a verrouillé tous les passages sur sa frontière Sud.