Le quartier de Harasta bombardé mercredi dernier «Ceux qui sont responsables de la situation dans la Ghouta orientale sont ceux qui soutiennent les terroristes qui s'y trouvent encore. Et comme vous le savez, ni la Russie ni la Syrie ni l'Iran ne font partie de cette catégorie de pays», a répliqué Moscou, jeudi soir. Le Conseil de sécurité devait voter hier soir un projet de résolution portant sur un cessez-le-feu de 30 jours dans la Ghouta orientale, en Syrie. La raison invoquée concerne l'acheminement d'une aide humanitaire au profit des factions terroristes qui maintiennent leur présence dans cet ultime refuge, à quelques encablures de la capitale Damas qu'ils n'ont pas cessé de bombarder, ces derniers mois. La nouvelle version du projet qui a subi des modifications après les réserves exprimées par la Russie sur le texte initial indique que le Conseil «demande» et non plus «décide» une trêve dont seront exclus les «individus, groupes, entreprises et entités associées» à Al-Qaïda et au groupe Etat islamique, les deux dernières organisations étant les seules exclues dans la version antérieure. Jeudi soir, la Russie avait annoncé par la voix de son ambassadeur à l'ONU, Vassily Nebenzia, que les 15 membres du Conseil n'étaient pas parvenus à un accord, d'où les modifications du projet. Malgré ces amendements, les calculs et les arrière-pensées étant toujours de mise, il y a fort à parier que le document final peut se heurter à un veto de la Russie. Comme à Alep, en 2016, les arguments en faveur d'un allègement du siège imposé par l'armée syrienne aux groupes dits rebelles pour leur «livrer une aide humanitaire urgente» (vivres et médicaments) et pour effectuer les «évacuations médicales nécessaires» ne parviennent pas à convaincre Damas. Ainsi, le président français et la chancelière allemande ont écrit hier au président Poutine pour lui demande de voter la résolution. Initié par la Suède et le Koweit, le projet s'était rapidement enlisé tandis que les bombardements de l'aviation syrienne se sont intensifiés au cours de la semaine dernière. Pendant que des puissances occidentales haussaient le ton lors des quatre derniers jours, les parrains régionaux des groupes comme Al Nosra, devenue par la force des choses Fateh al Cham, ont étrangement affiché un profil bas. Il est vrai que la Turquie est empêtrée dans l'opération «Bouclier de l'Euphrate» par laquelle elle cible en priorité les combattants des YPG kurdes qualifiés de terroristes et qu'elle entend chasser de la zone frontalière. Quant à l'Arabie saoudite, l'enlisement au Yémen et les conséquences plus ou moins contraignantes de la chute des cours du baril ont fait que la politique vis-à-vis de la Syrie est devenue une question tout à fait secondaire, même si l'hostilité et la méfiance à l'égard de l'Iran, soupçonné de volonté hégémonique, restent de mise. Voilà il a fallu attendre hier pour que le MAE saoudien Adel al Jubeir, en visite à Bruxelles, déclare lapidairement au Parlement européen que son pays «cherche un règlement politique en Syrie», même s'il affirme «la nécessité pour le régime syrien d'arrêter la violence (à la Ghouta) pour permettre l'aide humanitaire». Les autorités saoudiennes invoquent en outre la «poursuite des efforts avec la Russie pour faire pression sur le régime d'Assad afin de mettre fin à l'escalade en Syrie». Une manière de signifier sa prise de distance avec les partenaires de la coalition internationale que Riyadh avait généreusement financée, sans aller jusqu'à faire montre d'un revirement stratégique global. L'un comme l'autre, les parrains régionaux confirment la conviction généralisée selon laquelle seul Moscou est désormais en mesure d'influer sur la stratégie militaire du régime syrien face aux groupes de toutes obédiences injectés dans le conflit. C'est dire combien la position de l'Arabie saoudite comme celle de la Turquie est devenue alambiquée, surtout compte tenu des enjeux prioritaires apparus au fil du déroulement de la guerre. Porteuse d'une menace kurde indépendantiste devenue une obsession pour Ankara, elle apparaît aux yeux des Saoudiens comme un insupportable tonneau financier des Danaïdes à l'heure où il faut se désengager sans trop de casse du Yémen où les Houthis se sont révélés prêts à tous les défis. Erdogan a obtenu le feu vert de Moscou pour l'offensive contre les Kurdes des YPG et le fait que des forces alliées du régime syrien soient venues leur prêter main forte mardi dernier constitue un message clair à ses yeux. A trop vouloir jouer sur plusieurs tableaux, il risque de compromettre des relations difficilement rebâties avec la Russie, après l'incident de l'avion de chasse russe abattu par la DCA turque en 2016. Or, le jeu n'en vaut pas la chandelle ni politiquement ni économiquement, les relations «privilégiées» avec Washington ayant été source de nombreuses désillusions au cours des trois dernières années. La hantise turque reste donc d'éviter à n'importe quel prix un nouveau coup de blizzard dans le partenariat entre les deux pays, garant du retour des touristes ou de la finalisation du mégaprojet de gazoduc. Cette donne implique d'ailleurs une volonté partagée entre Turcs et Syriens de ne pas s'affronter à Afrine pour sauvegarder la confiance nécessaire à la bonne marche du processus d'Astana et Sotchi, d'où le voile pudique que la Turquie semble avoir jeté sur le sort des «rebelles» de la Ghouta orientale incapables de faire le poids avec sa priorité du moment. Réagissant mercredi aux accusations américaines selon lesquelles elle est responsable des bombardements auxquels est soumise l'enclave rebelle, la Russie a démenti jeudi dernier, de façon catégorique, toute implication de son aviation, ajoutant que «ceux qui sont responsables de la situation dans la Ghouta orientale sont ceux qui soutiennent les terroristes qui s'y trouvent encore. Et comme vous le savez, ni la Russie ni la Syrie ni l'Iran ne font partie de cette catégorie de pays».