L'ayatollah Ali Khameneï et le président Vladimir Poutine L'ayatollah Ali Khameneï vient, ces jours derniers, de donner le signal à une nette inflexion de la politique étrangère du pays qui devrait se rapprocher davantage des grandes puissances que sont la Russie et la Chine ainsi que de certains pays asiatiques. Depuis son élection, voici plus d'un an, le président américain Donald Trump n'a pas fait mystère de sa détermination à saborder l'accord sur le nucléaire iranien, difficilement réalisé par l'administration de son prédécesseur, Barack Obama, de concert avec les autres puissances occidentales (Royaume-Uni, Allemagne, France), la Chine et la Russie. Cette menace à peine nuancée est ainsi pendante et elle peut tomber tel un couperet, du jour au lendemain, de sorte que les dirigeants iraniens n'ont d'autre choix que de l'anticiper. C'est pour cette raison que le Guide suprême iranien, l'ayatollah Ali Khameneï, vient ces jours derniers de donner le signal à une nette inflexion de la politique étrangère du pays qui devrait se rapprocher encore plus des grandes puissances que sont la Russie et la Chine ainsi que de certains pays asiatiques. Conséquence de l'impatience engendrée par le discours et les menaces du président Trump qui semble avoir fait sienne l'opposition d'Israël à l'accord sur le nucléaire iranien, Téhéran ne croit plus à un quelconque progrès dans ses rapports aussi bien économiques que politiques avec les pays occidentaux. C'est là un facteur déterminant qui va influer, dans les prochains mois, et plus encore dans les prochaines années, sur les relations que l'Iran escomptait développer avec la France et, surtout, l'Allemagne dont les diplomates, suivis par les hommes d'affaires, avaient commencé la prospection aussitôt l'accord conclu. C'était compter sans la hargne israélienne et l'avènement de Donald Trump qui apparaît, aux yeux de beaucoup, comme un obstacle résolu. Un alignement radical de l'Iran sur la Russie serait en soi une révolution car, pendant longtemps, la doctrine des ayatollahs était de garder leur distance vis- à-vis des deux superpuissances. L' engagement russe dans le conflit syrien pour sauver le régime du président Bachar al Assad de la double menace terroriste et hégémonique a considérablement rapproché les deux pays, puis la remise en cause de l'accord sur le nucléaire est venue à point nommé pour parfaire l'union sacrée. Khameneï l'a clairement affirmé: «Préférer l'Orient à l'Occident devient (désormais) l'une de nos priorités.» A cela, il existe des motifs à la fois divers et objectifs. La Chine, par exemple, est le premier partenaire commercial et économique de l'Iran depuis de nombreuses années. Quant à la Russie, les échanges se développent à une cadence impressionnante et cela concerne de nombreux domaines, dont le militaire et le scientifique. L'aspiration des modérés, que représente le président Hassan Rohani, à un dégel avec les Etats-Unis s'est considérablement étiolée et les dirigeants iraniens savent que les autres puissances occidentales sont tributaires des choix et des orientations de Washington. Pour Ali Khameneï, la preuve est faite que l'accord de 2015 montre bien que «des négociations avec l'Occident ne peuvent donner des résultats positifs», et que «les Etats-Unis font montre de mauvaise foi». Autant changer de cap en mettant les bouchées doubles pour une coopération intensifiée avec la Russie et la Chine, estiment alors les dirigeants iraniens, pour une fois unanimes. Ce choix n'est ni fortuit ni hasardeux. Il résulte manifestement des déclarations du président américain qui a sommé, début janvier dernier, l'Iran de réduire son programme balistique et cesser ses «activités déstabilisatrices» dans la région du Proche-Orient, allusion claire au soutien apporté par Téhéran au régime syrien et aux Houthis du Yémen, sous peine de sanctions «beaucoup plus sévères». Le refus de Washington de respecter certaines clauses de l'accord et de lever les sanctions sortant de ce cadre pénalisent les activités bancaires internes et extérieures du pays au point d'alarmer les dirigeants iraniens. Ceux-ci y ont vu la preuve que, quelle que soit l'administration américaine, républicaine ou démocrate, la démarche est identique qui consiste à étouffer leur économie et empêcher leur développement. A l'inverse, l'engagement total de la Russie aux côtés du régime syrien aura agi comme un déclic et achevé de convaincre les plus réticents quant à la nécessité d'accélérer la coopération la plus large possible avec Moscou, Pékin et d'autres pays asiatiques (Corée du Sud, Turquie, Inde etc.), ne serait-ce que pour s'affranchir du diktat américain. Conscient du manque d'enthousiasme des puissances européennes, l'Iran n'a pas d'autre choix que de parier sur cet autre registre, après avoir espéré en vain une inflexion de la politique américaine à son égard.