Le baril de brut WTI a frôlé les 70 dollars, il y a un an, à la même période il frôlait les 50 dollars. En l'espace d'une année le pétrole a augmenté de 40%. Au manque de capacités excédentaires des pays producteurs et aux arrêts dans une dizaine de raffineries américaines, se sont ajoutées deux menaces géopolitiques : la volonté de l´Iran, deuxième producteur de l´Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep), de relancer son programme nucléaire militaire, quitte à s´exposer aux sanctions de l´ONU et l´hypothèque terroriste pesant sur l´Arabie Saoudite. Il arrivera, cependant, un temps où les contraintes d'ordre géologique (tensions politiques ou pas) seront elles qui auront un impact sur la disponibilité du pétrole et, partant, sur les approvisionnements. Les fluctuations quotidiennes ou hebdomadaires des cours du baril de brut sur le marché new yorkais sont dues à une multitude de facteurs d´origine et de portée très différentes. On cite les débits de l´Opep, l´état des stocks commerciaux américains, le temps qu´il fait, les spéculateurs, le terrorisme, la faiblesse des capacités de raffinage, la situation en Irak, en Iran, au Nigeria, au Venezuela, en Russie... Mais ces «explications», nous dit Yves Cochet,semblent valides quelle que soit la hauteur du cours du baril, 30 dollars, 40 dollars, 50 dollars..., alors que nous manque l´explication principale sur la hauteur elle-même, 60 dollars aujourd´hui. Trois facteurs décisifs poussent durablement les cours du brut à la hausse : la raréfaction géologique du pétrole conventionnel, l´entrée dans un monde de terrorisme et de guerres permanentes pour le contrôle du pétrole, la forte augmentation de la demande due à la croissance asiatique et au maintien de la consommation occidentale. C´est l´anticipation de ce dernier facteur par les négociants qui fait aujourd´hui flamber les cours. Yves Cochet L´ère du pétrole cher, Le Monde 11.07.05 Les chocs pétroliers de jadis étaient politiques, et aussi économiques. Aujourd´hui, alors que la demande mondiale moyenne en 2005 avoisine les 84 millions de barils par jour (Mb/j), les marges de manoeuvre de l´offre sont quasi inexistantes.Tous les robinets débitent à leur capacité maximale. Le risque d'un événement (grève, sabotage, conflit local...) amène une situation de pénurie relative et pousse les prix vers le haut. Qui en profite? Il est naturel dans les médias occidentaux, quand on parle d'augmentation des prix du pétrole, de parler des pays de l'Opep, c'est-à-dire des pays arabes et musulmans qui représentent 80 % de la production. On n'informe pas le consommateur de trois paramètres. D'une part que ce sont des dollars courants, qui ne tiennent pas compte de l'inflation, c'est-à-dire les 70 dollars actuels représentent les 25 dollars de 1980. L'inflation est passée par là. De plus, il faut savoir qu'il n'intervient que pour environ 20 % du coût de l'essence. C´est-à-dire qu'avec 10 dollars d'augmentation, le prix du baril d'essence sortie usine augmenterait de 2 dollars, enfin, il faut savoir que l'essentiel du prix d'un litre d'essence est constitué de taxes, la fameuse Tipp. En France, elle est d'environ 75%. En clair, quand l'automobiliste paye 1,5 euro, il faut savoir que 1,1 euro représente des taxes. Le gouvernement de Villepin promet de redistribuer une partie de la manne... Il faut savoir qu'hormis les pays producteurs, tous les maillons de la chaîne en profitent, de l´exploration-production à la distribution en passant par le raffinage, la construction navale, le transport et le stockage. Les bénéfices des grandes compagnies ont été encore très élevés au deuxième trimestre: 7,64 milliards de dollars pour Exxon Mobil (6,17 milliards d´euros), 4,98 milliards de dollars pour British Petroleum (BP), 4,6 milliards pour Shell, 3,79 milliards pour Total et 3,7 milliards pour Chevron. On a calculé qu'Exxon, qui compte 80.000 employés dont 4000 chercheurs, gagne près de 4 millions de dollars à l'heure soit 65.000 dollars à la minute! Elle consacre 4% de sa richesse à la recherche, plus que l'Algérie. Les entreprises parapétrolières (plates-formes offshore, robots et conduites sous-marines...) se portent aussi très bien. Le groupe franco-américain Schlumberger a dégagé un bénéfice net de 482,2 millions de dollars au deuxième trimestre (+35,6 % par rapport à 2004), tandis que le français Technip enregistrait, au premier semestre, 4,17 milliards d´euros de commandes, plus du double qu´en 2004. Hormis les majors, les sociétés de raffinage en profitent. En avril, Valero Energy a pu racheter son concurrent Premcor pour 5,3 milliards d´euros et devenir le premier raffineur de brut d´Amérique du Nord. Jean Michel Bezat: Le prix du baril s´approche désormais des 65 dollars. Le Monde 09.08.05 La crainte d'un choc pétrolier n'est plus aussi «linéaire» qu'avant, en effet ce choc peut, avec un décalage, provoquer un ralentissement ou une récession dans une région du monde et, simultanément, stimuler l´économie dans une autre région. Il n'en demeure pas moins que le pétrole sera de plus en plus rare et cher et que le recours aux énergies renouvelables est incontournable pour tous les pays. Le président américain, George W.Bush, qui a signé, lundi 8 août, la loi sur l´énergie adoptée par le Congrès fin juillet, affirme qu´elle allait contribuer à renforcer l´économie américaine. La nouvelle loi «met un fort accent sur les économies et la meilleure utilisation de l´énergie». «Je suis sûr qu´un jour, les Américains considèreront cette loi comme un pas essentiel vers une nation plus sûre et plus prospère, moins dépendante des sources d´énergie étrangères», a affirmé le président Bush lors d´un discours. Le président américain George W.Bush signe la loi sur l´énergie Le Monde du 9. 08.2005. Pétrole sans nourriture ou la curée au détriment du peuple irakien Le scandale du programme Pétrole con-tre nourriture en Irak prend de l´ampleur à l´ONU. Le rapport met en cause Benon Sevan, directeur du programme «pétrole contre nourriture» d´octobre 1997 à fin 2003. En vigueur de 1996 à 2003, pour alléger l´impact sur les Irakiens de l´embargo international imposé au régime de Saddam Hussein, ce programme permettait à Bagdad de vendre du pétrole et d´acheter, en échange, des biens de consommation courante. D´une valeur totale de 64 milliards de dollars, plusieurs milliards de dollars ont été détournés. La commission d´enquête présidée et dirigée par l´ancien président de la Réserve fédérale américaine, Paul Volcker, a publié ce lundi de nouveaux détails qui montrent que l´ancien directeur du programme a bénéficié de pots-de-vin. Le nouveau rapport intermédiaire démontre qu´il y a bien eu corruption dans la gestion par l´ONU de ce programme destiné à venir en aide à la population irakienne, frappée par un embargo. Le Chypriote Benon Sevan, l´ancien directeur du programme, en a «tiré un bénéfice financier de manière corrompue». Le rapport cite la somme 147.000 dollars. Il lui est reproché aussi, d´avoir demandé aux responsables irakiens de donner des bons de pétrole à la société Africa Middle East Petroleum (Amep), une compagnie enregistrée à Panama et contrôlée par Fakhry Abdelnour, un cousin de Boutros Boutros- Ghali, et Fred Nadler, beau-frère du secrétaire général de l´époque. L´Amep a bénéficié de 7,3 millions de barils de 1998 à 2001, qu´elle a revendus en réalisant un profit de 1,5 million de dollars. Le quotidien de L´Expansion 4.02.2005. Le Russe Alexandre Yakovlev employé du département des achats a, par contre, plaidé coupable devant la justice américaine. Le fonctionnaire a été mis en garde à vue puis libéré après le versement d´une caution de 400.000 dollars et la levée de son immunité diplomatique par l´ONU. Il lui est reproché d´avoir touché près de 1 million de dollars de commissions. Il est accusé par la justice de complot, fraude et blanchiment d´argent. Il aurait perçu des centaines de milliers de dollars en pots-de-vin. Enfin, le président de la Commission a souligné que le secrétaire général, Kofi Annan, n´est pas exonéré de toute responsabilité dans cette affaire. Il pourrait y avoir eu un trafic d´influence de Kofi Annan dans l´attribution de contrats de l´ONU en faveur de la société qui employait son fils, Kojo Annan. Jusqu´ici, aucune preuve n´établissait une telle attitude. Mais la découverte d´un courrier électronique soulève de nouvelles questions sur ce que savait le secrétaire général. Daniel Fontaine - 9082005 La commission prévoit encore de publier deux rapports avant octobre, au risque de troubler la fête du 60e anniversaire de l´ONU à la mi-septembre. Le secrétaire général, qui s´était jugé «exonéré» après la publication des conclusions du deuxième rapport, est de nouveau en attente. La commission s´efforce de déterminer s´il a joué un rôle dans le fait que l´entreprise suisse Cotecna, qui avait opportunément recruté son fils Kojo, a obtenu le marché de la vérification en Irak. Elle avait conclu à l´absence d´éléments, mais un nouvel e-mail, rendu public dans la presse, a mis M. Volcker sur une piste qu´il souhaite vérifier. Lundi 9 août, l´ancien banquier a indiqué avoir réinterrogé le secrétaire général, ainsi que son fils. M.Volcker semble aussi avoir des interrogations sur le rôle de l´ancien chef de cabinet Iqbal Riza. Il note que M.Riza a donné son accord pour qu´un certain nombre de documents officiels portant sur la période 1997-1999 soient passés à la broyeuse, alors même que la commission d´enquête commençait à se mettre en place. Le nouveau chef de cabinet de Kofi Annan, Marc Malloch Brown, a reconnu que cette action avait peut-être été «imprudente». Corine Lesnes Le Monde du 9 aôut 2005 Que peut-on en conclure? «Pourtant, une première remarque écrit Alain Gresh, s'impose... Aucune décision n'était possible sans l'aval des Etats-Unis qui, avec le Royaume-Uni, ont bloqué des contrats pour des centaines de millions de dollars, sous prétexte que certains produits risquaient d'être utilisés pour un programme d'armes de destruction massive» dont on sait maintenant qu'il n'avait d'existence que dans l'imagination des stratèges de Washington. Le programme était donc sous contrôle étroit et si des failles ont existé, les Etats-Unis portent au moins une responsabilité équivalente à celle des Nations unies. On pourrait aussi parler du détournement, par la communauté internationale, de dizaines de milliards de dollars, à travers le fonctionnement de l'United Nations Compensation Committee (Uncc), installée à Genève. Sous prétexte de dédommager ceux qui avaient souffert de l'invasion irakienne, cette commission, largement manipulée par Washington, a prélevé jusqu'à 30% des recettes pétrolières de l'Irak pour rembourser» des sociétés aussi «pauvres que la Kuwaiti Oil Company» dont les revenus sont deux fois ceux de l'Algérie. Un déboursement de 200 millions de dollars a été effectué en... avril 2005, deux ans après la chute de Saddam Hussein alors que le gouvernement irakien mendie désespérément des crédits. Alain Gresh Un scandale peut en cacher d'autres Le Monde Diplomatique. Aôut 2005 «Mais le scandale le plus criant n'a suscité la création d'aucune commission d'enquête. L'adoption de sanctions contre l'Irak en août 1990 et surtout leur maintien après la libération du Koweït en 1991, ont eu des effets dévastateurs dont l'Irak payera encore très longtemps le prix.. Les conséquences destructrices des sanctions sur la société irakienne elle-même ont été sous-estimées. Les infrastructures sont petit à petit tombées en ruine, malgré l'extraordinaire inventivité des ingénieurs irakiens; les services essentiels à la population, les ministères, les centrales électriques, l'eau potable, sont devenus fragiles; la corruption, jusque-là absente, s'est développée du haut en bas de l'échelle. Une autre dimension concerne les conséquences des sanctions sur la population elle-même. Le système d'enseignement, qui couvrait jusqu'alors la totalité des jeunes, a vu ses élèves déserter: ainsi a grandi une génération de quasi-analphabètes... Le système universitaire a été coupé de tout lien avec l'étranger; le simple envoi d'une revue scientifique était interdit par le comité des sanctions. Et tout cela pourquoi? Ces sanctions, tout le monde le reconnaît, n'ont pas puni les dirigeants du régime, qui continuaient à disposer de ressources importantes. le système de rationnement a permis au Baas de contrôler tout un chacun et le régime aurait pu survivre encore des années. De plus, si l'administration américaine était animée d'une bonne foi elle aurait dû confier les contrats de reconstruction aux sociétés qui connaissaient le terrain. (Siemens et ABB pour l'électricité et le téléphone). Mais Washington voulait punir les gouvernements de la Vieille Europe». Alain Gresh Le Monde Diplomatique. Aôut 2005 Ceci a permis contre toute règle commerciale et déontologique d'assurer des contrats juteux à quelques sociétés comme Bechtel ou encore Halliburton.Les sanctions ont fait des centaines de milliers de victimes civiles. Madeleine Albright disait que «c'était le prix à payer pour faire partir Saddam Hussein.» Elles ont surtout déstabilisé un des Etats les plus importants de la région et favorisé la marche vers la fragmentation. Quelle commission dressera le bilan de ces erreurs que tout le Proche-Orient paie chèrement? Sûrement pas les Nations unies dont on connaissait le fonctionnement erratique, nous y ajoutons désormais, le manque de crédibilité.