Projeté en compétition officielle, la veille de la clôture, «El Jaida» est un film tunisien de Selma Baccar, qui n'a pas laissé le public annabi indifférent... Le synopsis: quatre femmes se retrouvent à Dar Joued (prison de femmes) huit mois avant l'indépendance de la Tunisie (entre octobre 1954 et juin 1955). D'âges et de conditions sociales différents, elles sont condamnées à cohabiter ensemble en subissant l'autorité et les injustices de leur geôlière, la jaida, campée par la valeureuse et intrépide Fatma Ben Saidane. Elles vont partager les souvenirs du monde extérieur, joie, émotions et détresse de leur quotidien. Sur fond de guerre contre la France et de militantisme se trame dans les tribunaux un combat des plus grands, celui des femmes en lutte pour l'acquisition de leurs droits, droit de pouvoir dire non à son mari sans se voir châtier et jeter dans une maison de correction. Judicieux, le film qui brossera le portait de différents profils de femmes, de celle lettrée qui a refusé la couche de son mari après l'avoir trompé avec sa soeur, en passant par celle qui ne s'entend pas avec sa belle-mère, à celle qui désobéit à son oncle parce qu'elle aime un jeune garçon. Que des libertés individuelles brimées! Liberté de choisir d'être qui on est, de jouir de ses désirs, de ses propres choix de vie et de mouvements! Si le côté théâtral prédomine parfois et l'aspect caricatural de certains personnages comme celui du kadi ou juge se veut accentué l'histoire, néanmoins de ces quatre femmes prend corps tout au long du film et laisse le public s'attacher à leur triste sort. Selma Beccar signe avec ce film une oeuvre viscéralement féministe et humaniste surtout qu'il plaide pour les droits de la femme a fortiori aujourd'hui, après la révolution tunisienne où certains acquis de la politique de Bourguiba avaient été remis en question par le parti islamiste En Nahdha. Encore mieux, son film s'inscrit dans cette nouvelle page qui est en train de tourner tout doucement concernant l'égalité dans l'héritage entre femme et homme et la possibilité pour une Tunisienne-musulmane de se marier avec un non-musulman. Des choses qui sont pour autant loin d'être acquises, fera remarquer la comédienne Fatma Ben Saidane lors du débat qui a suivi la projection du film au théâtre Azzedine Medjoubi. «Ce long métrage est un film d'époque. C'est moi avant l'indépendance et l'instruction du statut et le Code de la femme. Le combat continue. Les droits ne sont pas entièrement acquis. Bien que nous jouissons de pas mal de droits en Tunisie. Comme je le dis, il y a la Journée internationale des droits de la femme, le 8 Mars et il y a le 13 août, Journée nationale de la femme tunisienne. C'est très important. La fin de l'histoire n'était pas dans la première écriture du film. Selma Beccar avait ce film il y a très longtemps. Elle est arrivée au Sénat et elle a tenu à mettre le discours de l'Assemblée nationale dans le film pour rafraîchir les mémoires et dire aux femmes: attention il ne faut pas lâcher vos acquis, c'est très important parce qu'après la révolution, il y a eu quand même avec En Nahda, pas un retour puisque la femme tunisienne était là en train de combattre dans la société civile, mais comme une tentative de vouloir revenir en arrière. Il y a eu un million de femmes qui ont voté contre En Nahdha pour dire notre mécontentement vis-à-vis de ces idées qui veulent nous ramener en arrière. On veut avancer et avoir une société moderne, laïque. Défendre les droits des femmes, pour moi je défends les droits des femmes, mais aussi ceux des hommes. Si je suis féministe c'est pour me libérer moi et libérer aussi l'homme tunisien parce que lui aussi il a des contraintes» et d'estimer: «Ce film n'entend pas évoquer le passé par nostalgie, mais une halte de commémoration dans l'histoire. Ce que nous avons vécu, nous refusons de le vivre encore. Les lois instaurées par Bourguiba ne sont pas tombées du ciel. La femme tunisienne a toujours revendiqué ses droits et a été pétrie de personnalités et d'idéaux. Bourguiba ne descend pas du néant. La nouvelle génération ne sait pas ce qu'ont souffert les femmes avant elle. Il s'agit de leur signaler cette lumière rouge, cette interdiction de retourner en arrière. On n'est pas nostalgique de Bourguiba, mais de ses idées progressistes. On ne veut pas revenir en arrière, mais poursuivre le combat qui doit suivre son cours et ne pas s'arrêter. Les belles idées, on veut y prendre dessus notre élan et ne pas s'y mobiliser. La continuité s'impose.» Film politique, même si sur fond de drame social, la réalisatrice, à vouloir trop dire s'y a fini par s'égarer en fin du parcours de son film en donnant plus à écouter qu'à avoir... Et d'une histoire fictionnelle elle nous surprend par une séquence qui se veut coller à la réalité en convoquant l'appel à la Constitution d'aujourd'hui. Résultat des courses: le cinéma qui semble servir la cause des femmes s'en éloigne dans la mesure où l'on balaie d'un trait l'histoire touchante des quatre femmes pour pénétrer dans un autre champ visuel. L'intellectuelle prend le dessus sur la cinéaste Selma Beccar. Par orgueil ou pas, le politique supplante la beauté des plans et la douceur des dialogues et ce condensé de romantisme à fleur de peau qui caractérisera le film. L'heure est grave, il faut passer à l'acte! Pourtant, le récit de ces femmes est en soi une belle tragédie shakespearienne, pourquoi en rajouter?