La Russie, accusée par Londres d'être responsable de l'empoisonnement des Skripal qui a déclenché l'une des plus graves crises diplomatiques entre Moscou et les Occidentaux depuis la Guerre froide, a dénoncé devant le Conseil de sécurité de l'ONU «une campagne ordonnée, préparée à l'avance» contre elle. «On accuse sans preuve», a déclaré l'ambassadeur russe à l'ONU, Vassili Nebenzia, pour lequel «il s'agit de discréditer la Russie». «Nous sommes dans le théâtre de l'absurde», a lancé le diplomate russe. «Nous avons dit à nos collègues britanniques "Vous jouez avec le feu et vous le regretterez".» Au lendemain du refus de l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques (Oiac) d'inclure la Russie dans son enquête, M. Nebenzia a exigé des réponses à une série de questions. L'ambassadrice britannique, Karen Pierce, a affirmé en réponse que Londres avait suivi toutes les procédures légales et internationales. «Le plus important maintenant est de laisser l'Oiac» tirer ses conclusions «en gardant le Conseil de sécurité informé», a-t-elle dit. Les membres occidentaux du Conseil de sécurité ont réaffirmé leur soutien au Royaume-Uni. «Il n'y a pas d'autre explication plausible que la responsabilité de la Russie», a ainsi déclaré l'ambassadeur français, François Delattre. Et les Etats-Unis ont estimé que la réunion du Conseil de sécurité était «une nouvelle tentative de la Russie de l'utiliser pour des gains politiques». Pour la Chine, en revanche, «il est urgent de faire la vérité et de tirer des conclusions sur la base de preuves irréfutables». L'empoisonnement le 4 mars sur le sol britannique de Sergueï Skripal et de sa fille a suscité depuis le 14 mars une vague historique d'expulsions croisées de la Russie et des pays occidentaux, concernant au total environ 300 diplomates. Les 60 diplomates américains expulsés par la Russie ont quitté Moscou jeudi avec leurs familles. «Il ne sera pas possible d'ignorer les questions légitimes que nous posons», a prévenu le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov. La situation autour de l'affaire Skripal «crée une menace pour la paix et la sécurité dans le monde», a déclaré M. Lavrov. «Nous insistons pour que soit menée une enquête substantielle et responsable». Devant l'Oiac, Moscou avait proposé en vain que la Russie mène une enquête conjointe avec la Grande-Bretagne, avec la médiation de cette organisation internationale. La Russie s'estime confortée dans ses dénégations par les déclarations du laboratoire spécialisé britannique qui a analysé la substance utilisée contre l'ex-espion. S'il l'a identifiée comme étant du Novitchok, un agent innervant de type militaire de conception soviétique, le laboratoire a reconnu ne pas avoir de preuve que la substance utilisée contre les Skripal ait été fabriquée en Russie. Selon des médias britanniques, les services de Londres auraient toutefois localisé le laboratoire russe où cet agent innervant aurait été fabriqué, qui serait sous la supervision du renseignement extérieur russe. Un haut responsable russe a explicitement affirmé mercredi que l'affaire Skripal était une manipulation occidentale antirusse. Elle a été «grossièrement fabriquée par les services spéciaux de Grande-Bretagne et des Etats-Unis», a déclaré le chef du renseignement extérieur russe, Sergueï Narychkine. Par ailleurs, Moscou a démenti hier les affirmations du quotidien britannique The Times selon lesquelles la substance utilisée pour empoisonner l'ex-espion russe Sergueï Skripal a été conçue dans une ville fermée de la région de la Volga. Jeudi, le quotidien britannique The Times a cité des sources dans les services de sécurité britanniques affirmant que l'agent innervant militaire utilisé pour empoisonner l'ex-espion russe a été conçu à Chikhanny, dans la région de Saratov (sud-ouest), près de la Volga.The Times a comparé Chikhanny à un «Porton Down russe», du nom du laboratoire militaire britannique spécialisé dans les recherches chimiques et biologiques. «Ce laboratoire n'a jamais fait partie de notre champ de travail», a déclaré à l'agence de presse Interfax Mikhaïl Babitch, le représentant du Kremlin dans le district fédéral de la Volga. «Toutes les bases où des armes chimiques ont été stockées sont bien connues. Chikhanny n'est pas une d'entre elles», a ajouté M. Babitch, qui est l'ancien président de la Commission d'Etat russe pour le désarmement chimique.