La mobilisation tout au long de ces 38 ans de combat sans relâche et surtout pacifique a fini par aboutir de fort belle manière Le défi passe désormais à un autre stade, celui du travail scientifique, de la recherche universitaire, de la production littéraire et cinématographique et de tout ce qui peut hisser la langue amazighe au niveau de toutes les autres langues. Il y a trente-huit ans, le 10 mars 1980, une conférence de Mouloud Mammeri sur les poèmes kabyles anciens a été interdite par les pouvoirs publics. Ce qui a donné lieu à une succession de manifestations populaires et de grèves ayant pour but d'exiger une reconnaissance officielle de l'amazighité, langue, culture et identité. Aujourd'hui, tamazight est langue nationale et officielle et Yennayer, jour de l'An berbère, est une journée de fête nationale chômée et payée. La mobilisation tout au long de ces 38 ans de combat sans relâche et surtout pacifique a fini par aboutir de fort belle manière. En se soulevant en 1980, il est clair que les militants de la cause berbère ne pouvaient pas avoir la ferme conviction que leur lutte allait aboutir. Il faut, pour s'en rendre compte, revenir au contexte de l'époque où l'heure était à l'unicité dans tous les sens. Aucune idée autre que celles officiellement véhiculées par le pouvoir politique de l'époque ne pouvait avoir droit de cité. Mais c'était compter sans la justesse de ce combat, et aussi la détermination des milliers, voire des dizaines de milliers de militants de cette cause. Ces derniers n'ont jamais désespéré, car une langue maternelle et une culture plusieurs fois millénaires ne pouvaient pas avoir d'autre destin que celui d'être réhabilitées dans leur berceau naturel qu'est l'Algérie. Le Printemps berbère a été le premier grand pas franchi par un combat qui allait connaître plusieurs autres rebondissements et étapes décisives avant qu'il n'aboutisse pratiquement entièrement avec la reconnaissance de tamazight comme langue officielle dans la Constitution de 2016. Quelques années plus tôt, en 2002, tamazight avait été également admise dans la Constitution comme deuxième langue nationale aux côtés de l'arabe. Des décisions historiques, voire révolutionnaires quand on sait que, quelque temps plus tôt, notamment avant 1988, tout ce qui avait trait à l'amazighité, à commencer par le simple alphabet tifinagh, pouvait mener tout droit en prison. Certains Algériens ne sont pas près d'oublier que le simple fait de parler en kabyle dans les années soixante-dix, à Alger, par exemple, pouvait mener vers les geôles du parti unique. Ceux qui ont vécu cette époque où tamazight était victime d'un ostracisme injuste et incompréhensible, sont peut-être les mieux à même d'apprécier à quel point les acquis arrachés par le combat identitaire amazigh aujourd'hui sont incommensurables. L'aboutissement du combat identitaire amazigh en Algérie ne doit pas nous faire oublier qu'une bonne partie de ceux qui l'ont mené nous ont aujourd'hui quittés mais sans eux, ce Printemps amazigh n'aurait sans doute pas pu fleurir aussi vite. On penserait d'abord aux précurseurs, ceux qui ont été à l'origine de la crise dite berbériste de la fin des années quarante à l'image de Khelifati Mohand Amokrane, Benai Ouali, Mbarek Aït Menguellet et Amar Ould Hamouda. Ensuite, on citera Taos Amrouche et Bessaoud Mohand Arab et tous leurs compagnons au sein de l'Académie berbère. Sans le travail de sensibilisation courageux et gigantesque mené par cette académie, les origines berbères de l'Algérie ainsi que la langue amazighe auraient sans doute fait long feu. Arrivèrent ensuite les artisans du Printemps berbère de 1980 dont les regrettés Achour Belghezli, Mustapha Bacha, Djaffar Ouahioune, Salah Boukrif, Maâmar Berdous, etc. mais aussi ceux qui sont vivants comme Mokrane Chemim, Arezki About, Djamel Lounaouci, Saïd Khellil et la liste est bien sûr longue. Parler du combat pour tamazight sans citer Matoub Lounès serait un non-sens. Cet artiste Rebelle», patriote des opprimés, porte-voix de l'amazighité, a été pour beaucoup dans ce combat pour lequel il n'a pas hésité à consentir le sacrifice suprême. Les millions d'élèves et d'étudiants qui ont perdu une année de leur vie et de leur scolarité suite à la grève du cartable en 1994-1995 en répondant à l'appel du Mouvement culturel bebrère, sont également entrés dans l'histoire par la grande porte car il ne faudrait pas oublier que c'est suite à cette action héroique des élèves et étudiants de Kabylie que l'Etat algérien avait pris la décision historique d'introduire, pour la première fois dans l'histoire, l'enseignement de la langue amazighe dans le système éducatif algérien. Aujourd'hui que ce combat a abouti, le défi passe désormais à un autre stade, celui du travail scientifique, de la recherche universitaire, de la production littéraire et cinématographique et de tout ce qui peut hisser la langue amazighe au niveau de toutes les autres langues ayant eu la chance de ne pas subir le même sort que la nôtre. Un mauvais sort qui relève du passé désormais. Enfin, souhaitons-le.